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Interview avec Ahmed Harrouz : «Deg Souiri», un patrimoine impacté par la rupture des relations maroco-algériennes


Rédigé par Rime Taybouta Mercredi 23 Mars 2022

Fils d’Essaouira engagé depuis plusieurs années dans le mouvement culturel et associatif, Ahmed Harrouz, que nous avons rencontré, vendredi, lors d’une conférence organisée par l’association Mimouna, nous parle de l’empreinte de la culture juive et amazighe sur la fabrication des bijoux.



- De par l’Histoire, les bijoux marocains étaient portés indifféremment par les juifs et les musulmans. Toutefois, certains bijoux étaient réservés exclusivement à la communauté juive. Quelle a été la contribution des bijoutiers juifs à la bijouterie artisanale au Maroc ?

- Synonyme de raffinement, la bijouterie marocaine et la fabrication des objets en argent font partie du patrimoine culturel musulman et juif. Dans ce sens, il faut noter que la ville d’Essaouira compte parmi les centres les plus importants de la production bijoutière au Maroc. D’ailleurs, plusieurs maisons et portes dans la médina portent toujours une trace artisanale juive, musulmane, amazighe et africaine.

Cet artisanat est la synthèse de différents apports appartenant à trois cultures (NDLR : amazighe, juive, arabe) qui ont composé la population d’Essaouira dès sa fondation. Ce qui a été porté par les juifs uniquement se manifeste en caractère purement religieux, comme le symbole de mezouza par exemple, les seuls caractères qui font la différence entre les deux communautés.

Rappelons qu’actuellement, des familles marocaines musulmanes répondent toujours à des commandes des familles juives. A travers ces créations, les artisans veillent à préserver notre patrimoine, tout en innovant afin d’accompagner les changements que connaît la société d’aujourd’hui et satisfaire tous les goûts.


- Le marché de la bijouterie arrive-t-il toujours à tirer son épingle du jeu ?

- La crise sanitaire a énormément impacté le marché des bijouteries, étant donné que les touristes se faisaient rares. Mais outre le contexte pandémique, la rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie a également impacté le marché local de bijoux, notamment en ce qui concerne les commandes reçues par les artisans.

Ce conflit a fait que plusieurs commandes de bijouterie ont été annulées. Les maîtres de la bijouterie au Maroc recevaient de grandes commandes des entreprises comme des particuliers algériens. Chaque semaine, les artisans recevaient environ 15 commandes de « Mdama », des ceintures fabriquées, en or ou en argent, incrustées de pierres précieuses ou modelées, qui illustrent le talent des artisans bijoutiers. Les affaires allaient donc bon train, il y avait de la demande sur la matière première et la création de l’emploi était également au rendez-vous puisque de telles commandes demandaient un travail d’un groupe composé de 5 ou 6 maîtres marocains.


- La transmission de cet art est-elle assurée par l’Etat, la société civile ou encore les artisans ?

- Cet extraordinaire héritage marocain, artistique et culturel, doit se transmettre de génération en génération. Or, aujourd’hui, cet art, rassemblant les musulmans et les juifs, est en risque de disparaître, ce qui constitue un danger pour une partie de notre culture. Localisé dans la région d’Essaouira, Deg Souiri apporte à la fois l’effet amazigh, musulman, avec ses formes spirituelles et l’effet judaïque avec ses symboles aussi, sans oublier son esthétique distinguée par la trace andalouse, témoignant également d’un brassage millénaire des différentes civilisations qui se sont succédé dans le Royaume.

L’Etat, généralement, prépare des locaux, notamment un complexe artisanal, pour les artisans afin d’exposer leurs produits artistiques. Pour vraiment appuyer le processus de transmission et protection de ce patrimoine, l’Etat doit justement résoudre le problème de la matière initiale et aussi régler le problème de la douane en leur permettant d’exporter des produits qui ne sont pas nécessairement du patrimoine.

Pour les efforts fournis afin de sensibiliser les jeunes de l’importance de cet artisanat, l’Etat a préparé un centre de formation et un institut technique pour les intégrer, mais il faut également les appuyer par des bourses, des projets et des ateliers pour pratiquer son apprentissage.


- Aujourd’hui, le modernisme a transformé les habitudes, notamment en matière de port de bijoux durant les occasions spéciales (mariage, naissance, fête...). Comment la communauté juive vit ce changement ?

- Aujourd’hui, les Marocains retournent avec soif à ces pratiques et à la recherche de ce patrimoine partagé que ce soit sur la production matérielle, notamment la bijouterie, mais aussi sur ce qui est immatériel, comme la poésie, la chanson… Un retour revu avec beaucoup de nostalgie et un effort de le protéger. Dans le discours des représentants d’institution au niveau de chaque province, les responsables doivent travailler plus sur des projets concrets en investissant et intégrant les jeunes pour garantir un suivi, et non pas seulement sur la construction des espaces d’exposition.



Recueillis par Rime TAYBOUTA
 


La vie associative, une contribution au rayonnement d’Essaouira
 
Artiste peintre et chercheur en art et patrimoine culturel, Ahmed Harrouz est natif d’Essaouira et est un fervent défenseur de la référence culturelle, artistique et historique de Mogador. Membre de l’Association Essaouira Mogador, Harrouz lutte pour sauvegarder et faire la promotion du patrimoine social, économique, urbanistique et culturel de la ville et de sa région.

L’artiste cristallise en quelque sorte au niveau local sa volonté d’ouverture et de diversité, mais aussi la passion qui l’anime pour la création artistique et le patrimoine historique et humain de sa ville natale. Un acteur social avec une vision philosophique, l’artiste a étudié la philosophie et les sciences humaines à la Faculté des lettres et des sciences humaines à Rabat.