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Interview avec Abid Kabadi : « Il reste à  espérer l'intervention du Législateur pour rééquilibrer les rapports de force entre franchiseur et franchisé »


Rédigé par Safaa KSAANI Jeudi 4 Mai 2023

Les contrats internationaux  de Franchises connaissent un grand essor au Maroc. Il s’avère cependant que les rapports de force contractuels penchent en faveur du Franchiseur, en l'absence d'un dispositif légal spécifique pour protéger le Franchisé, à l'instar de ce qui existe en Droit comparé. A ce propos, M. Abid Kabadi nous explique les risques encourus lors des négociations des contrats internationaux de Franchises.



- Des activités de production ou de distribution se développent au Maroc sous forme, notamment, de contrat international de franchise. Quelles précautions prendre par les Franchisés ?
 
- Tout d’abord, Il s’agit de définir le concept de Franchise : la franchise est une technique importée au Maroc qui permet au Franchisé de produire et/ou de distribuer des biens ou services par l’usage et l’exploitation du portefeuille de la propriété industrielle, du savoir-faire et de l'assistance technique du Franchiseur, en contrepartie du paiement d’un droit d’entrée et de redevances.

Par conséquent, il existe trois types de franchise : la Franchise industrielle ou de production, la Franchise de services, et la Franchise de commerce ou de distribution.

Cette définition est le résultat d'un processus jurisprudentiel et doctrinal d'origine étrangère.
Le Contrat de Franchise est apparu au Maroc avec d’autres contrats, dits contrats de réseaux de distribution, notamment le contrat de concession commerciale, le contrat de distribution exclusive, le contrat de distribution agréée, le contrat de distribution sélective.
Ce sont des contrats dits innommés issus des pratiques professionnelles développées à l'étranger et réceptionnés au Maroc, au gré de l'extension des activités des producteurs ou distributeurs, dans le cadre du commerce international.

Ces contrats vont connaître des développements importants, grâce aux disponibilités des zones industrielles, soit pour la délocalisation des productions étrangères au Maroc, soit par l'importation et la distribution des produits, compte tenu du développement de l'urbanisme commercial.
Ces contrats, à caractère économico-juridique et technique, constituent des moyens de modernisation des industries de production, par les brevets et le savoir-faire et/ou la modernisation des circuits de distribution.

Ils constituent des outils juridiques, parmi d'autres pour nouer des partenariats.
Entre les contractants, l'équilibre des forces n'est pas au même niveau. Aussi, des précautions sont à prendre tant au niveau de la naissance, de l’existence et de la fin des relations contractuelles.

D'autant plus que pour une entreprise marocaine franchisée, souvent, le contrat international de franchise constitue son principal actif autour duquel l'activité économique est conçue (usine clef en mains, bail commercial ou acquisition immobilière, financement, aménagement du local, recrutement, formation, publicité…) soit pour produire, soit pour distribuer.

Autrement dit, une grande prudence s'impose en pareille matière avant d'investir, souvent en s'endettant lourdement.

En fonction de la nature de la franchise, la première précaution est de vérifier l'existence et la validité au Maroc du portefeuille de la propriété industrielle du Franchiseur à exploiter par le Franchisé.

S’il s'agit d'une franchise industrielle (ou de production), il y a lieu de vérifier, notamment, le dépôt, la validité des brevets, des dessins et modèles, la capacité des transferts de technologies vers le Maroc (double usage), l'état de l'art technique..., la pertinence de l'assistance technique, l'adaptation des équipements industriels en respectant les normes environnementales...

S'il s'agit d'une franchise de commerce, de distribution ou de services, il y a lieu de vérifier si la marque est déposée au Maroc, renouvelée et exploitée régulièrement. Le défaut d’exploitation d'une marque pendant cinq ans constitue un motif de déchéance, d'où l'intérêt des Franchiseurs de chercher de plus en plus de partenaires franchisés ou de masters franchisés au Maroc pour éviter cette lourde sanction. C'est presque un "service" que les Franchisés rendent aux Franchiseurs. Ceci devrait constituer un argument suffisant pour écarter le paiement du droit d’entrée comme pour négocier des royalties à des taux réduits.

Il est à rappeler que le contrat de franchise repose sur 3 éléments essentiels : l'existence et la mise à disposition du portefeuille de la propriété industrielle : brevets-marques, dessins et modèles... pour exploitation, avec toutes les garanties; la transmission d’un savoir-faire réel et sérieux; la fourniture garantie d’une assistance technique continue et sans cesse mise à jour.

A défaut, le contrat de franchise serait annulable pour défaut d’objet, ou requalifiable en un autre contrat.

Il est évident que d'autres précautions s’imposent, d'autant plus que la législation marocaine ne dispose pas de l'équivalent de la loi dite « Doubin » en France qui protège le Franchisé et impose au Franchiseur de délivrer, au préalable, un certain nombre d'informations essentielles au franchisé, pour prendre sa décision en connaissance de cause et ceci avant la signature du contrat.

Si le contrat signé entre le Franchiseur et le Franchisé est soumis au droit français, l'ensemble du dispositif légal issu de la loi Doubin, codifié dans le code de Commerce français, s'applique dès l'initiation des pourparlers.

- D’un point de vue législatif, le contrat de franchise souffre de l’absence, au Maroc, d'une loi spécifique. Qu’en est-il ?
 
- Ce n’est pas parce qu’il n'existe pas de loi spécifique relative au contrat de franchise qu’il ya absence de toute réglementation applicable.

Il existe des lois de droit commun qui encadrent l’activité du contrat de franchise, notamment : les dispositions juridiques du Dahir des Contrats et des Obligations; la fiscalité en tenant compte des conventions évitant les doubles impositions en ce qui concerne les retenues à la source ; la TVA, dans le cas d’un contrat de Franchise internationale ; le Droit des Douanes ; le code de commerce ; le droit du travail ; le droit de la propriété industrielle ; la loi sur la concurrence ; le Droit de la consommation ; la réglementation de l’Office des Changes.

Souvent, le Franchiseur, dans le cadre d'un contrat international, impose ses conditions contractuelles au Franchisé dans le cadre d'un contrat-cadre d'adhésion. De surcroît, il lui impose l'application de son droit national et parfois la compétence du tribunal ou d'une institution d'Arbitrage de son pays d'origine.

Une fois le contrat conclu, le Franchisé est présumé connaître l'ensemble de la législation, la doctrine et la jurisprudence étrangères applicables au contrat, que ce soit lors de sa naissance, son exécution ou sa fin.
Ceci doit constituer pour le Franchisé un point important de vigilance.

- Est-ce qu’aujourd’hui les Franchisés sont suffisamment "épaulés" par les conseillers en propriété industrielle ou d'autres conseils ?

- D'abord, Il faut savoir que les Franchiseurs sont, souvent, assistés par une armada de juristes-conseils spécialisés en matière de techniques contractuelles dans le domaine des Franchises et, au-delà, en droit de la distribution, qui constitue une discipline universitaire autonome. Le contrat de Franchise en est une composante essentielle.

Le contrat devient un outil stratégique pour préserver les intérêts des Franchiseurs et limiter les risques d'ordre juridique, économique, financier, technique, fiscal ou autres, à tel point que le contrat de franchise n'est plus un contrat négocié mais un contrat d'adhésion. Les Franchiseurs sont soutenus, par ailleurs, par des doctrines et des jurisprudences bien établies dans le cadre de l'esprit d'un certain droit basé sur la liberté contractuelle poussée aux extrêmes.

Du côté des franchisés, le recours aux conseils dépend de la volonté qui les anime et leur prise de conscience des risques encourus.

Normalement, ça doit être un réflexe de prudence du Franchisé que de recourir à l'assistance de juristes spécialistes en la matière, compte tenu de la complexité du contrat dans ses dimensions économique, technique, financière, fiscale, parfois très importantes.
Le Franchisé doit se comporter en mode préventif et non pas curatif.

- A la fin "normale" des relations contractuelles, se pose la question : à qui appartient la clientèle, et au-delà, le fonds de commerce ? Y a-t-il des indemnités reconnues au Franchisé non fautif ?

- Sans entrer dans les détails, mettre fin à un contrat de franchise est considéré comme l'exercice normal du droit contractuel, reconnu au Franchiseur comme au Franchisé.
Même si le Franchisé a toujours respecté ses obligations contractuelles - qu'importe la durée de la relation contractuelle de partenariat passée de 5 ans, de 20 ans, de 25 ans ou autres -, le Franchiseur peut prendre l'initiative de rompre le contrat, sans justification aucune.

Une fois la rupture du contrat effective, le Franchiseur est libre de contracter avec d'autres distributeurs et/ou s'installer directement.

L'ex-Franchisé (concessionnaire ou autres contrats similaires) ne pourrait pas, dans l'état actuel du Droit, prétendre à des indemnités, à la fin des relations contractuelles, pour défaut d'existence du fonds de commerce propre, parce que la clientèle serait prétendument rattachée à la marque de l'ex-franchiseur !

- Y a-t-il un recours ?

- Souvent, l'application du Droit étranger, favorable aux Franchiseurs, accepté par le Franchisé au moment de la signature du contrat, lui est opposable, sauf dans de rares exceptions basées sur la faute prouvée du Franchiseur. Le Juge ne peut pas, normalement, interférer dans les relations contractuelles, sauf exception.

Pour le Franchisé (comme pour le concessionnaire), le réveil après quelques années de partenariat pourrait être douloureux.

- Alors, que devient l’investissement ? Que devient la clientèle développée par le franchisé ? Que devient le financement accordé par les banques avec un nantissement de fonds de commerce non reconnu au franchisé ? Quel avenir pour les salariés ? Que deviennent les sous-Franchisés ?
 
- Dans l’état actuel du Droit, la rupture du contrat CDI ou le non renouvellement du contrat CDD, ne protège pas les Distributeurs-Franchisés, sauf à recourir à des longues et périlleuses procédures contentieuses pour démontrer le comportement fautif du Franchiseur devant une instance judiciaire, arbitrale, voire même devant le Conseil de la Concurrence .

Donc, le Franchisé qui investit en recourant au concept de la franchise doit prendre conscience de sa faiblesse juridique actuelle, à savoir l'absence d'un fonds de commerce propre, reconnu par des jurisprudences et/ou des doctrines.
Parfois, des clauses sont imposées, dès le départ, par le Franchiseur au Franchisé écartant toute indemnité de rupture, pour quelque motif, notamment la revendication d'un fonds de commerce propre.

Après la fin des relations contractuelles, d’autres clauses prévues par le Franchiseur s'imposent à l'(ex-) Franchisé et se mettent, automatiquement, en œuvre, notamment : ne pas écouler le stock, ne plus faire référence à la propriété industrielle comme la marque, les dessins et modèles, les logos, ne plus utiliser le savoir-faire, les manuels, les documents spécifiques à la Franchise et, au-delà...de prendre en charge les licenciements de salariés si l' ex-Franchisé n'arrive plus à continuer à les employer étant donné la spécificité du secteur d'activité...

- Compte tenu des risques détectés, faut-il un texte de loi pour protéger le Franchisé en tant que "partie faible" du contrat, à l'instar du régime de l'agence commerciale qui accorde des indemnités lors de la rupture du contrat ?

- Au delà du contrat de Franchises, me semble-t-il, une réflexion doit concerner l’ensemble des contrats des réseaux de distribution (contrat de franchise, contrat de concession, contrat de distribution sélective et autres), pour résoudre ce problème latent des conditions de naissance des contrats de distributions, et surtout la titularité de la propriété du fonds de commerce et de la clientèle à la fin des relations contractuelles, en précisant bien sûr l'absence de fautes du Franchisé.

Des réflexions, entre Universitaires, Professionnels, Conseillers et Entrepreneurs existent, dans le cadre du Centre Marocain des Contrats et le Cendre des études juridiques de la Faculté de Droit - Agdal.

La rupture, sans indemnités, du contrat de franchise, (tout particulièrement à l’initiative du Franchiseur et surtout en l'absence d'une faute du Franchisé), est économiquement pénalisante, et est moralement injuste !

L’investissement, parfois de toute une vie, doit être sécurisé, surtout si le franchisé a toujours respecté ses obligations contractuelles.

Autrement, c'est tout un ensemble de petites et moyennes entreprises qui seraient menacées à tout moment par l'application du principe traditionnel de la liberté contractuelle, notamment concernant la rupture.

Effectivement, il reste à espérer l'intervention du Législateur par un projet ou une proposition de loi-cadre, d'ordre public économique, pour rééquilibrer les rapports de force entre Franchiseur et Franchisé (et autres) en reconnaissant aux Franchisés un certain nombre de droits, dès avant la naissance des relations contractuelles et surtout l’existence d’un fonds de commerce propre au Franchisé, en cas de rupture à l'initiative du Franchiseur, évidemment, en dehors de la faute contractuelle du Franchisé.
En attendant, c’est au Franchisé de prendre ses précautions, avant, pendant et à la fin des relations contractuelles.








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