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Interview avec Abdessalam Saâd Jaldi « Vers un nouveau modèle d’intégration maghrébin »


Rédigé par Safaa KSAANI Lundi 11 Décembre 2023

Faut-il réinventer le modèle d’intégration maghrébin ? La question mérite d’être posée à la lumière des enjeux et défis économiques mondiaux actuels ou à venir. Abdessalam Saâd Jaldi, chercheur senior en relations internationales au PCNS, brosse un tableau global de la sous-région alors que la création de l’UMA en 1989 permettait tous les espoirs.



L’échec de la mise en place d’un marché maghrébin commun a poussé les pays du Maghreb à conclure des accords économiques bilatéraux
L’échec de la mise en place d’un marché maghrébin commun a poussé les pays du Maghreb à conclure des accords économiques bilatéraux
  • Dans le quatrième rapport annuel du Policy Center for the New South sur l’Economie de l’Afrique de 2022, votre contribution porte sur la réinvention du modèle d‘intégration maghrébin. Quelles sont les défaillances de ce modèle, conçu dans le sillage de la fondation de l’UMA en 1989 ? Et sur quoi porte votre vision ?
  •  Le rapport a esquissé les jalons d’une stratégie d’intégration économique qui visait l’établissement, dans un premier temps, d’une zone de libre-échange en 1992 ; ensuite, d’une union douanière en 1995 ; puis d’un marché commun en 2000 et, enfin, la réalisation de l’intégration monétaire à l’horizon 2006. Or, faute d’une dimension politicoinstitutionnelle du processus d’intégration régionale, les recommandations du Sommet de Ras Lanouf sont restées lettre morte. En outre, l’échec de la mise en place d’un marché maghrébin commun a poussé les pays du Maghreb à conclure des accords économiques bilatéraux, à l’exemple de l’accord tuniso-marocain de 1999 établissant en 2007 une zone de libre-échange.

Or, la multiplication des accords de libre-échange bilatéraux au détriment de la mise en place d’un marché régional maghrébin commun réduit fortement la cohérence globale de la stratégie d’intégration maghrébine, ce qui ne peut qu’accentuer la sous-exploitation du potentiel économique et commercial des pays maghrébins.  

Concernant l’intégration de jure, l’architecture institutionnelle de l’UMA est très centralisée autour du Conseil de la présidence qui est l’unique instance décisionnelle au sein de l’organisation maghrébine. Sachant que ce dernier ne s’était plus réuni depuis la fermeture des frontières algéro-marocaines dans le sillage du Sommet de Tunis de 1994.

Les autres organes prévus par l’accord de Marrakech, notamment le secrétariat général, qui constitue le bras exécutif de l’UMA, ou encore le congrès général qui est son apanage législatif, ne disposent d’aucune compétence externe pour conclure des accords de libreéchange avec des organisations internationales similaires, ou pour ratifier des accords de partenariat avec d’autres institutions internationales. L’impression qui se dégage est que cette forte concentration du pouvoir décisionnel dans un seul organe neutralise les moyens d’action de l’UMA.  
  • L’intégration maghrébine est un projet à l’arrêt depuis des décennies en raison de la question du Sahara et des divergences entre Rabat et Alger. Dans quelle mesure cette situation impacte-t-elle les efforts de coopération entre les pays de la région et ses partenaires étrangers ? 
  • Mais elle l’est aussi en raison des défaillances de l’intégration de jure et de facto qui préjudicient l’action de l‘UMA.

Notons que l’article 2 du traité de Marrakech de 1989 qui reprend au pied de la lettre les quatre libertés de Bela Belassa, stipule que : « L’Union vise à œuvrer progressivement à réaliser la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux ».

Or, 33 ans après la codification de ce dernier, force est de constater que la mise en place d’un marché commun sans frontières, clé de voûte de tout processus d‘intégration régional inclusif, au sein duquel les biens, les personnes, les services et les capitaux doivent pouvoir circuler librement, peine à se concrétiser. 

S’agissant de la libre circulation des services et des marchandises, les échanges commerciaux intra-maghrébins restent faibles, voire décevants. Ils représentent moins de 5 % de l’ensemble des échanges des pays membres, alors que la part du commerce intrarégional atteint 16 % environ en Afrique subsaharienne, 19 % en Amérique latine, 51 % en Asie, 54 % en Amérique du Nord et 70 % en Europe.

Concernant la libre circulation des capitaux, l’intégration financière maghrébine est malmenée par la faiblesse de l’infrastructure maghrébine, à l’exception du Maroc qui dispose d’un système financier vigoureux, et par l’inexistence d’un cadre juridique facilitant, en dépit de la constitution en 2015 de la banque du Maghreb pour l’investissement et le commerce extérieur (BMICE).

Les investissements directs étrangers intra-maghrébins n’atteignaient que 0,8 % du total dans la région. Enfin, au sujet de la libre circulation des personnes, et d’après l’Organisation internationale du travail (OIT), les ressortissants des pays membres de l’UMA résidant dans les pays du Maghreb ne représentent que 1 % de la population totale de la région.

Ce constat fait que l’UMA demeure la communauté économique régionale (CER) africaine la moins classée dans l’indice composite comparé à l’intégration régionale de la Banque africaine de développement (BAD), alors que le FMI et la BM reprennent souvent le chiffre de 2 % annuel de PIB perdu comme coût du non-Maghreb.  
 
  • Quelles sont les limites de forme contenues dans le traité de Marrakech que vous décortiquez ? 
  • La grande lacune du Traité de Marrakech aura été non seulement le silence du préambule sur ce qu’est le Maghreb, mais surtout la raison d’être de l’UMA, réduisant l’organisation à une simple étape dans l’intégration arabe et africaine. Le préambule du document avait pris en effet en compte cette posture, puisqu’il énonçait : « Exprimant leur sincère détermination à œuvrer pour l’Union du Maghreb Arabe soit un moyen de réaliser l’unité arabe complète et un point de départ vers une union plus large, englobant d’autres États arabes et africains ». Et pourtant, l’UMA s’était bien construite dans la perspective d’un destin : le plus puissant facteur d’union, de communautarisation au sens symbolique du terme, du Maghreb, tient dans la croyance des peuples maghrébins que le destin commun maghrébin est inéluctable, renforcé par le sentiment d’appartenance à la même communauté. C’est ce qui ressort du préambule du Traité de Marrakech qui souligne noir sur blanc : « Ayant foi, dans les liens solides qui unissent les peuples du Maghreb Arabe et qui sont fondés sur la Communauté d’histoire, de religion et de langue ; Répondant aux profondes et fermes aspirations de ces peuples et leurs dirigeants à l’établissement d’une Union qui renforcera davantage les relations existantes entre eux et leur donnera davantage la possibilité de réunir les moyens appropriés pour s’orienter vers une plus grande intégration ». Paradoxalement, l’objectif de fonder une union sans frontières de l’ensemble des peuples arabes et africains constitue le paradigme dominant de l’UMA. C’est rédhibitoire pour tout projet de construction régionale, alors que l’article 17 du Traité de Marrakech autorise des pays qui ne font pas partie de l’espace maghrébin à rejoindre l’organisation : « Les autres États appartenant à la Nation Arabe ou à la Communauté africaine peuvent adhérer à ce Traité sur acceptation des États membres ». 
 
  • Qu’est-ce qui pourrait aider à inverser cette tendance ?
  • Le traité de Marrakech constitutif de l’UMA a été façonné par la méthode des « petits pas », appelée « méthode Monnet-Schuman » qui constitue le paradigme dominant de l’intégration durant les débuts de la construction européenne. Ceci n’est pas rédhibitoire car, outre la proximité géographique, l’UE constitue, de loin, l’exemple d’intégration régionale le plus avancé et fait donc souvent figure de proue et de référence pour les autres régions du monde.
 

Ce modèle consistait à construire l’Europe par « le bas », afin de créer une solidarité de fait entre les pays européens, en opposition à une construction par « le haut » qui instituerait directement une fédération européenne. Or, le blocage incessant de l’UMA, de surcroît aggravé par le contexte géopolitique morose qui submerge le Maghreb, font resurgir le débat sur la réinvention du modèle d’intégration régional maghrébin.  

Dans la consécution du modèle européen, l’expérience des accords commerciaux régionaux (ACR), qui constitue le paradigme dominant du Mercosur et notamment de l’Association des nations de l’Asie du SudEst (ASEAN), peut être mobilisateur. Ce modèle d’intégration régional repose sur une méthode de prise de décision en vertu de laquelle les pays membres ne renoncent pas à leur souveraineté et conservent un droit de veto sur l’application des accords régionaux. 

Trois principes caractérisent cette approche : le caractère consensuel des prises de décisions, la non-ingérence dans les affaires nationales et la prise en considération des besoins spécifiques des pays membres en fonction de leur complémentarité. Dans le même ordre d’idées, la success story de l’ASEAN nous apprend que le recours aux ACR en tant que première étape de l’intégration économique régionale présente deux caractéristiques intéressantes. D’une part, l’intégration économique régionale concerne des pays proches géographiquement, ce qui confirme les théories développées en économie spatiale.

D’autre part, les ACR donnent la possibilité aux pays signataires de créer de grands espaces d’intégration et d’interconnexion, facilitant ainsi d’autant l’organisation et la restructuration compétitive des réseaux de production et des chaînes de valeur, tout en favorisant l’émergence d’alliances stratégiques, susceptibles de pacifier les relations entre les États et de rétablir le climat de confiance.
 
Recueillis par Safaa KSAANI 
 








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