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Interview avec Abdellatif Bouazza : « Le Maroc est une “success story” en matière d’urbanisation »


Rédigé par Safaa KSAANI Dimanche 9 Octobre 2022

Une nouvelle politique publique de l’aménagement du territoire, prenant en considération des paramètres nouveaux, est de mise. Le point, sur ce débat plus que jamais actuel, avec Abdellatif Bouazza.



- Cette année, la 37ème édition de la Journée mondiale de l’habitat a été célébrée le 3 octobre. Quel est le maître mot pour cette année ?

- Du 1er au 31 octobre, ONU-Habitat célèbre « Octobre urbain » ponctué par l’organisation de nombreuses activités qui touchent à l’urbanisme, à l’aménagement, à l’habitat et aux établissements humains de façon générale. L’Assemblée Générale des Nations Unies a décidé de faire du premier lundi d’octobre de chaque année la Journée mondiale de l’habitat.

Cette année, le thème choisi est : «Attention à l’écart ! Ne laissez personne ni aucun lieu de côté». Un thème qui tombe à point nommé. Malheureusement, la pandémie a fait beaucoup de dégâts. En 2021, elle a créé 163 millions nouveaux pauvres, selon les estimations des Nations Unies. La crise climatique et celle des conflits ne sont pas moins durement ressenties. Le 31 octobre, on célèbre la journée mondiale des villes sous le thème : «Act Local to Go Global ».


- ONU-Habitat, le programme des Nations Unies, a ouvert, en mars 2021, un nouveau Bureau-pays à Rabat qui servira de «centre de développement urbain stratégique et durable ». Pouvez-vous nous dresser un bilan de cette première année d’activité ?

- Effectivement, le Bureau ONU-Habitat de Rabat a ouvert ses portes le 8 mars 2021 à l’occasion de la visite officielle au Maroc de la directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour les établissements humains, Maimunah Mohd Sharif. La cérémonie a été, notamment, marquée par la signature du programme pays de l’ONU-Habitat 2020-2023, entre le ministère de l’Aménagement du Territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville et ONU-Habitat. Malheureusement, à cause de la pandémie, nous n’avons pas assez avancé pendant les deux années 2020 et 2021. Ce programme-pays comprend neuf axes et vingt-quatre grands projets, qui touchent à toutes les prérogatives du ministère.

Pour être plus concret, la responsable onusienne et le ministre en charge alors avaient mis en place cinq priorités. Il s’agit, entre autres, de l’amélioration des conditions de vie des populations vivant dans les montagnes du Moyen Atlas et impactées par les changements climatiques, en partenariat avec le ministère et la Région Fès-Meknès, du développement de projets territoriaux intégrés, communément appelés centres émergents (CREM), qui sont situés entre le milieu rural et le milieu urbain. L’autre priorité est l’évaluation de la politique de la ville, lancée en 2012. On va évaluer dix ans de politique de la ville pour avoir une nouvelle vision et une bonne politique qui prend en considération les défis de l’urbanisation et répond aux besoins des populations.


- Vous affirmez ainsi que la politique actuelle a montré ses limites ?

- Je ne l’affirme pas car à cette époque, il n’y avait pas de crise sanitaire, environnementale, climatique, ni de lois organiques sur la régionalisation avancée, ou encore les objectifs de l’agenda 2030 du développement durable, notamment l’ODD 11, tenant compte des priorités nationales et des spécificités locales, pour ne citer que ces défis. On ne peut pas imaginer une politique de la ville sans prendre en considération ces éléments. On considère que c’est sage de la part du ministère de vouloir évaluer cette politique.
 
Le Maroc joue un rôle important dans la coopération Sud-Sud qui est un pilier fondamental de sa politique étrangère.

- Donc, la politique publique idéale, selon ONU-Habitat, est celle qui prend en considération ces nouveaux défis …

- Absolument. Le but est d’avoir des villes durables, intelligentes, inclusives et sûres. La sécurité est un élément très important. Dieu merci, le Maroc est connu pour sa stabilité et sa sécurité dans les villes. ONU-Habitat travaille sur ceci, et a sa propre stratégie.


- Quelles sont les grandes lignes de votre stratégie ?

- Notre stratégie comprend quatre grands domaines de changement. D’abord, réduire l’inégalité spatiale et la pauvreté à l’horizon 2027.

Deuxièmement, assurer un meilleur partage de la prospérité dans les villes et les régions, pour éviter de créer des disparités, surtout à travers la création de richesses et de l’emploi et à travers la finance locale. Cette dernière permet aux villes de diversifier leurs ressources financières sans trop dépendre des subventions de l’Etat.

Troisièmement, le renforcement de l’action climatique et l’amélioration de l’environnement urbain. Les villes sont responsables à 70% de l’émission des gaz à effet de serre. Il faut le prendre en considération. Le quatrième domaine de changement porte sur la prévention et la gestion des crises urbaines, qui vise notamment le renforcement de l’intégration sociale et la résilience du cadre bâti et des infrastructures.


- La ministre de l’Habitat a lancé dernièrement un dialogue national sur l’urbanisme et l’habitat. Comment ONU-Habitat juge-t-elle cette mesure ?

- L’un des objectifs de ce dialogue national est de discuter de l’avenir de nos villes, de la population, de l’aménagement du territoire, des politiques urbaines. Plus précisément, les thèmes débattus sont la planification et la gouvernance, l’offre de logement, l’appui au monde rural et la réduction des disparités territoriales, ainsi que le cadre bâti. La démarche suivie est participative pour faire adhérer l’ensemble des parties prenantes à ce débat.

L’objectif est de discuter des différents défis imposés par l’urbanisation galopante et réfléchir à des solutions innovantes pour assurer un bien-être et une meilleure qualité de vie aux citoyens. En tant qu’organisation internationale qui s’intéresse à juste titre à l’ensemble des thématiques du dialogue, on ne peut qu’encourager et appuyer cette initiative qui permettra certainement de créer une rupture avec les pratiques du passé et s’orienter vers l’innovation pour des villes modernes, inclusives et durables.


- Au Maroc, en près d’un siècle le taux d’urbanisation est passé de moins de 10% à près de 65% en 2022 et dépassera probablement les 70% d’ici 2030, selon des données officielles. Quelle lecture en faites-vous ?

- L’augmentation du taux d’urbanisation est un phénomène mondial, notamment en Afrique, où il est plus rapide qu’ailleurs. Les seuils de 90% sont déjà atteints dans de nombreux pays occidentaux. La moyenne mondiale est de 55%. Le Maroc est l’un des pays les plus urbanisés en Afrique. Sur le continent, cette moyenne est en-deçà de 50%. Elle est accompagnée de nombreux défis relatifs au logement, au transport, à l’emploi, à l’éducation, à l’environnement… En même temps, elle représente un gisement d’opportunités. La grande question est de savoir comment faire de cette urbanisation un vrai levier de développement ? Cela se fera à travers la création de la richesse, de l’emploi, de villes inclusives et à travers le respect de l’environnement.


- Quel rôle pourrait jouer le Maroc sur le continent africain dans ce domaine ?

- Le Maroc est une “success story” en matière d’urbanisation. L’exemple en est Tanger d’aujourd’hui, qui n’a rien à voir avec celle d’il y a dix ans. A Agadir, j’étais agréablement surpris par le chantier à ciel ouvert, le téléphérique, les infrastructures routières, les espaces verts, etc. Nous avons également une magnifique expérience de villes sans bidonvilles, notamment au niveau de Rabat et Salé. Le logement social de 250.000 dh est une riche expérience.

D’ailleurs, le Royaume accorde une importance cruciale à la coopération Sud-Sud. Le Maroc est toujours à l’écoute des pays africains frères avec lesquels il partage des valeurs de respect, de tolérance et de paix. Beaucoup d’opérateurs marocains oeuvrant dans le domaine du logement et de l’habitat sont déjà présents dans ces pays. Le Maroc joue un rôle important dans la coopération Sud-Sud qui est un pilier fondamental de sa politique étrangère.



Recueillis par Safaa KSAANI