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Interview avec Abdelkrim Belguendouz : « Le Pacte européen pour la migration devrait interpeller le Maroc »


Rédigé par Hiba CHAKER Lundi 21 Février 2022

Après le sixième Sommet UE-UA qui s’est tenu les 17 et 18 février à Bruxelles, le Royaume a affirmé que la migration et la mobilité constituent l’enjeu du partenariat euro-africain. Dans cette interview, Abdelkrim Belguendouz, professeur universitaire et chercheur en migration, fait l’analyse des enjeux de cette coopération. Entretien.



Ph : El Mehdi Moussahim
Ph : El Mehdi Moussahim
- Pourquoi le nouveau Pacte européen sur la migration devrait interpeller le Maroc ?

- Présenté mercredi 23 septembre 2020, le texte proposé par la Commission Européenne ambitionne de réformer la politique migratoire de l’Union. Il doit notamment modifier en profondeur le système de Dublin, qui régit les demandes d’asile dans l’UE. Cette dernière envisage de mettre des feuilles de route adaptées à chaque pays, notamment le Maroc. Ce qui doit fortement interpeler le Royaume.

A travers ce pacte, l’Union Européenne cherche à fortifier son aspect de forteresse en adoptant une conception ultra sécuritaire. En se concentrant plus sur la réadmission et le renvoi des migrants en situation illégale, cela devrait également interpeller notre pays. Le pacte encourage toutefois la venue des talents. C’est une nouvelle forme de spoliation de la matière grise africaine.


- Quels sont les principales raisons pour lesquelles le Maroc devrait dire non à ce pacte ?

- En tant que pays d’immigration et de transit, le Maroc ne peut pas gérer la migration tout seul et doit entretenir des relations de coopération avec les pays africains, vu que la migration en Afrique est d’abord intra-africaine et avec l’Europe, vu que cette dernière accueille entre 5 et 6 millions de Marocains. Mais ce partenariat doit être un partenariat gagnant-gagnant pour les pays et pour les migrants. Sauf que ce pacte insiste principalement sur les retours forcés, les réadmissions, sur comment stopper et contenir la migration irrégulière.

C’est donc un pacte contre la migration et non pas pour la migration. Je ne vois pas donc pourquoi le Maroc devrait signer ce pacte ou encore un accord général de réadmission avec l’Europe où le Maroc devrait accueillir non seulement ses ressortissants mais tous les étrangers qui ont transité par le Maroc.

D’ailleurs, le Maroc a une vocation africaine. Il une profondeur géostratégique et des intérêts à défendre, notamment son intégrité territoriale, il ne peut pas alors accepter ce pacte et faire le rôle d’un « gendarme » pour l’Europe car cela menace les intérêts géostratégiques du Maroc en Afrique.


- Vous décrivez la fuite de compétences comme une hémorragie problématique. Comment cette migration impacte le développement économique et social de notre pays ?

- A l’heure du Nouveau Modèle de Développement et dans ce contexte de pandémie, le Maroc a besoin de toutes ses compétences et ses énergies. Je signale d’abord qu’il y a un problème de terminologie.

Certains parlent de mobilité de compétence, ce qui donne un aspect positif et moderne à cette migration alors qu’en réalité c’est beaucoup plus une fuite des compétences et d’un exode des cerveaux. C’est une sorte de déni des responsabilités internes à l’hémorragie des talents.

En effet, ce phénomène est préjudiciable pour le Maroc qui investit beaucoup d’argent pour bien former ces cadres. Certains disent qu’on va former plus, ainsi on peut répondre à la fois au besoin interne et externe.

Au niveau de la santé à titre d’exemple, on a constaté le grand manque des cadres (médecins, infirmiers...) durant la pandémie, toutefois, ces derniers continuent à quitter le pays annuellement en aggravant la pénurie.


- Comment minimiser les effets négatifs de la fuite des cerveaux ?

- Il faut tout d’abord créer les conditions pour retenir ces cadres au Maroc en matière de recherche, de conditions socio-économiques, de développement de carrière... Certes, ils ont la liberté de se déplacer, mais c’est inadmissible que l’Europe considère le Maroc comme un puits d’où elle puise les compétences dont elle a besoin.


- Quel état de lieu faites-vous à propos de la recherche sur la migration ?

- La migration est une question complexe avec des facettes économiques, politiques, culturels…. Et pour agir, il faut d’abord connaître, anticiper et analyser et c’est le rôle de l’université et des instituts de recherche.

Malheureusement, nous n’avons pas encore un agenda national de la recherche en matière de migration qui soit financé de façon interne et qui répond aux besoins internes. La majorité des recherches qui se font actuellement au Maroc sont financées par des pays et des agences européens et répondent donc logiquement aux agendas européens. C’est une sorte d’externalisation de la recherche à l’image de l’externalisation des frontières que l’Europe aspire institutionnaliser.



Recueillis par Hiba CHAKER

Fuite des cerveaux


«Maroc, réservoir de talents et de compétences… pour l’UE ?»
 
C’est l’intitulé de l’ouvrage que vient de publier l’analyste et observateur de la scène migratoire marocaine, Abdelkrim Belguendouz. Constitué de dix-huit axes, cet ouvrage de 335 pages alerte sur le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile, dévoilé par la Commission Européenne à l’automne 2020.

L’analyste affirme que ce nouveau pacte constitue un nouvel instrument de spoliation de la richesse en matière grise du continent africain, alors que l’Afrique en a grandement besoin pour son développement. Jouant le rôle de leader au niveau de l’Union Africaine (UA) dans le domaine migratoire, le Maroc est interpellé par le nouveau pacte dans ses politiques migratoires, en direction de près de six millions de Marocains établis à l’étranger, écrit M. Belguendouz dans la postface de l’ouvrage.

S’agissant de la question de la « chasse aux têtes », l’analyste fait observer que l’objectif de l’UE n’est pas seulement d’attirer les talents de pays-tiers comme le Maroc, mais également de les retenir et de les garder.

Pour endiguer l’exode des cerveaux marocains en Europe, l’auteur affirme qu’«avant de parler des stratégies et de programmes visant à inverser la fuite des talents, on doit d’abord ne pas oublier la recherche de la limitation de cette fuite à partir du Maroc, et ce, en retenant les professionnels qualifiés dans le pays».

L’auteur termine son livre par un appel à engager un dialogue migratoire égalitaire euro-africain, soulignant dans ce sens le rôle important que peut jouer le Maroc en tant que leader de l’UA dans l’inflexion du nouveau pacte européen sur la migration et l’asile.
 








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