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Interview avec Abdelghani Chehbouni : « La question de l’eau doit être au centre des politiques de développement »


Rédigé par Mariem LEMRAJNI Lundi 31 Octobre 2022

Le Maroc connaît cette année sa pire sécheresse historique, liée aux impacts des changements climatiques, avec une raréfaction inquiétante des ressources hydriques. D’où l’importance d’adopter de nouvelles politiques soucieuses d’une utilisation rationnelle de l’eau. Le Directeur de l’Institut International de Recherches sur l’eau (UM6P) répond à nos questions sur les enjeux stratégiques de cette problématique.



Tous les écosystèmes environnementaux et leurs ressources naturelles sont étroitement connectés et interdépendants, avec au centre l’importance de l’eau en tant qu’élément de vie qui conditionne l’existence des êtres vivants sur Terre. Dans le contexte de la grave crise de pénurie d’eau au Maroc, du fait de la sécheresse qui perdure, « L’Opinion » a contacté le Dr Abdelghani Chehbouni, professeur à l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et directeur du « International Water Research Institute », pour évoquer les mesures que le Maroc peut adopter pour faire face à ce problème de plus en plus alarmant.


- Depuis plusieurs mois, le Maroc connaît une situation de stress hydrique alarmante. Comment en sommes-nous arrivés là ?

- La situation de stress hydrique que connaît actuellement le Maroc est le résultat de deux facteurs : un premier facteur lié aux changements climatiques qui ont conduit à une baisse d’à peu près 20% des précipitations durant les 20 dernières années. Cette situation s’est encore aggravée les trois dernières années où nous avons connu une sécheresse exceptionnelle pendant trois années consécutives, qui a réduit drastiquement les eaux de surface et les eaux souterraines. Le deuxième facteur est lié aux politiques agricoles : le Plan Maroc vert par exemple qui a conduit à l’extension des zones irriguées, et donc à l’exploitation accrue des ressources souterraines.


- Plusieurs chantiers ont été mis en place pour assurer l’approvisionnement de nombre de régions en eau potable, comme la construction de stations de dessalement. Celles-ci sont-elles suffisantes pour répondre aux besoins ?

- Le Maroc a pris pas mal de retard dans les traitements des eaux usées et dans le dessalement de l’eau de mer. Il produit 900 millions de M3 d’eaux usées et il n’y a que 20 % qui sont traitées. Alors même que cette eau, une fois traitée, peut être utilisée dans l’irrigation urbaine et périurbaine, voire pour la recharge de la nappe comme cela se fait dans plusieurs pays. Pour le dessalement, nous avons aussi pris du retard dans la mesure où il n’y a que quelques stations qui sont en service alors que normalement l’eau potable de l’ensemble des villes côtières peut provenir des eaux dessalées.


- Chaque citoyen doit prendre pleinement conscience de la situation, comment peut-on convaincre le public des risques graves de diminution des réserves d’eau douce pour l’amener à utiliser plus rationnellement cette ressource ?

- La situation est tellement critique qu’il faut que la question de l’eau soit au centre des politiques de développement. Tout le monde doit contribuer à la rationalisation de l’utilisation de l’eau : l’Etat, les citoyens, les industriels, les agriculteurs et les opérateurs. Il faudra décroiser les politiques et les esprits. Concernant la tarification de l’eau, il faudrait privilégier les notions de solidarité et d’équité dans la formulation des tarifications.


- Ne faut-il pas revoir la tarification de l’eau pour forcer un peu la rationalisation ?

- La difficulté ne réside pas dans la définition des tarifs qui doivent être certes différenciés, mais elle réside dans la mise en oeuvre. Comment peut-on contrôler les prélèvements alors que 50 % des puits ne sont pas déclarés ?


- Comment la R&D peut-elle être au service de la préservation des ressources hydriques ?

- La recherche scientifique interdisciplinaire pour en effet contribuer à nourrir les processus de formulations des politiques publiques dans le secteur de l’eau. Le Maroc, à travers ses experts locaux et ceux de la diaspora, dispose de toute l’expertise nécessaire pour relever ces défis. Le Maroc a de la chance d’avoir des experts résidents et expatriés de renommée internationale dans l’ensemble de la chaîne de valeur. Cela concerne la gouvernance, l’amélioration des techniques de traitement de l’eau, l’optimisation des réseaux de distribution et la lutte contre les pertes, les techniques de dessalement moins énergivores et de rationalisation de l’irrigation.

Le savoir-faire englobe aussi le contrôle des pompages, notamment par l’utilisation des techniques spatiales et de l’intelligence artificielle. A ce sujet, nous allons mettre en place, en collaboration entre le CCMR et l’UM6P, un think-thank des Marocains d’ici et proposer aux décideurs des actions réalistes et réalisables pour lutter contre la sècheresse et pour la gestion rationnelle des ressources en eau.



Recueillis par Mariem LEMRAJNI

Portrait


Franc engagement en faveur du changement et du développement
 
Chehbouni est titulaire d’un doctorat en hydrologie et télédétection. Ses principaux axes de recherche ont porté sur le changement climatique et la télédétection. Il a commencé sa carrière universitaire en France où il a obtenu son doctorat en études sur le changement climatique et la télédétection.

Parallèlement à l’enseignement, il a travaillé avec de grandes agences tels que la NASA, l’Agence Spatiale Européenne, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), ainsi que l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Son poste le plus récent était celui de directeur du Centre IRD au Maroc, qu’il a fondé et dirigé pendant plusieurs années.

Après 40 ans passés à l’étranger, Chehbouni a décidé de revenir au Maroc avec l’ambition de mettre à contribution toute l’expertise et le large réseau professionnel qu’il a entretenus au cours des trois dernières décennies. Son franc engagement de contribuer au changement et au développement dans ce domaine explique son ambition pour une meilleure compréhension et gestion du changement climatique.

Dans cette même optique, il avait assisté il y a deux ans à une manifestation spécialisée universitaire, en tant qu’invité pour donner une conférence. C’est au cours de cette participation qu’il a été initié pour la première fois à la vision qu’adopte l’université pour développer les connaissances, la science et la technologie visant à relever les défis du monde réel. Après l’événement, Chehbouni a reçu une offre d’emploi de l’UM6P, et il a saisi l’opportunité de poursuivre la voie qu’il avait choisie et commencer une nouvelle carrière dans son pays d’origine.

Dernièrement, il a détaillé un certain nombre d’observations, en relation avec l’activité de l’Institut international de recherche sur l’eau (IWRI) de l’UM6P, sur le développement de nouvelles technologies et les stratégies pour faire face aux pénuries d’eau au Maroc et sur tout le continent.

Dans une autre interview, Abdelghani Chehbouni a précisé : «À l’Institut international de recherche sur l’eau, notre approche est orientée vers la stimulation de la coopération académique avec les acteurs mondiaux de la recherche. Mais le tout est basé sur une stratégie bien ficelée qui tient compte des préoccupations nationales et continentales. Si vous n’avez pas de stratégie, c’est opportuniste, mais être opportuniste ne garantit pas la durabilité», assène-t-il.


M. L.








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