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Culture

Hommage : Les pinceaux de Melihi ne feront plus de vagues


Rédigé par Abdallah BENSMAÏN le Jeudi 5 Novembre 2020

La peinture de Melihi est sérénité, et inspiration. Happé dernièrement par la pandémie, l’artiste a de son vivant figuré parmi les symboles de renouveau de l’art pictural marocain.



Hommage : Les pinceaux de Melihi ne feront plus de vagues
Mohamed Melehi est un homme libre et son premier acte de rupture, c’est avec le figuratif qu’il l’a assumé. Issu des écoles des beaux-arts marocaine (Tétouan) et espagnole (Séville), c’est aux EtatsUnis où il fut maître-assistant à l’école d’art de Minneapolis et c’est plus précisément à New York qu’il s’émancipe des traditions artistiques européennes. A New York, l’enfant d’Assilah n’est plus en formation mais en exploration, son regard fait des découvertes, loin des canons esthétiques et académiques des traditions picturales européennes. L’art optique s’impose à lui comme une révélation, avec ses couleurs franches, les lignes arc-en-ciel, la figure de la vague, tout en ondulation, non comme des épis de blé, mais des flammes qui montent et prennent de l’altitude. Le bleu est omniprésent, le vert, le rouge, le jaune… une palette de couleurs chaudes qui s’élèvent et ondulent sur des fonds qui les mettent en valeur et en rehaussent les tonalités. Dans ces vagues, le blanc joue également sa partition et même le noir n’est pas totalement absent de ses compositions. 

Ni portraits, ni femmes allongées
Au contraire de Karim Bennani, Mohamed Chebaâ ou de Farid Belkahia, par exemple, des peintres de sa génération qui ont également rompu, chacun selon sa propre signature, avec le figuratif, il est inutile de chercher un visage (sur quelques toiles des formes comme voilées apparaissent mais ressemblent à d’énormes volutes, sans grâce et non encore abouties en vagues…), une forme quelconque qui rappellerait une plante, une fleur, un animal de compagnie, une table… dans la peinture de Melehi même la vague est indécise et ne peut être vraiment considérée comme vague. En 1967, dans la revue Souffles, il écrivait ainsi « Nous ne faisons pas de portraits ni de femmes allongées sur des prés verts ». 

L’abstraction est au centre de leurs œuvres, mais à chacun son rythme, ses formes, sa palette et bien malin qui pourrait faire un rapprochement décisif et argumenté entre les uns et les autres. Aux Etats-Unis, Mohamed Melihi trouve ainsi sa voie, son art d’une certaine façon et dès 1963, il participe à l’exposition « Formalists » qui se tient à la galerie d’art moderne de Washington et à « Hard Edge and Geometric Painting » au MOMA de New York. 

De retour au pays, Mohamed Melehi rejoint l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca que dirige Farid Belkahia où enseignent, par ailleurs, Toni Maraini et Bert Flint qui ont marqué de leur présence les recherches sur l’art et l’artisanat au Maroc. L’arrivée de Mohamed Chebaâ comme par un coup de pouce du destin, amènera ce trio à jouer un rôle de premier plan dans l’exposition-manifeste de Jamaâ Lfna, en 1969. Dans le manifeste qu’ils signent, il s’agit de réhabiliter les formes du terroir et la figure de l’artisan qui en est le dépositaire, celui qui a fait traverser les siècles à ces formes, dans des démarches uniques et loin de tout académisme. Cette exposition-manifeste comptait également Mustapha Hafid, Mohamed Hamidi et Mohamed Ataallah. 

Un visionnaire, passeur de lumière
Ces formes, ce sont, bien entendu, ces motifs géométriques qui décorent céramique, tapis, bijoux et autres objets du quotidien. L’absence de l’histoire dans l’art, au sens européen du terme, avec ses figures de proue, ses écoles et tendances, n’est pas un handicap, selon Melehi qui écrivait encore dans Souffles « Nous sommes dans une phase d’expérimentation plutôt que de révision ».

L’histoire retiendra également sa contribution au collectif de Souffles avant de fonder sa propre publication « Intégral » et la maison d’éditions Shoof, à la fin des années 60. En 1978, Mohamed Melehi, en compagnie de Mohamed Benaïssa, est à l’origine du Moussem d’Assilah, un festival culturel international qui a résisté au temps et aux modes car il continue à se tenir chaque année, en été, contribuant ainsi à transformer « un village de pêcheurs en capitale culturelle et musée à ciel ouvert », selon l’expression de Brahim Alaoui. A Assilah, l’art est dans la rue, illumine les façades de la médina, avec des bleus intenses, comme en réplique au bleu du ciel… et de l’océan dont les vagues viennent mourir sur les rochers, en contrebas de l’ancienne ville. C’est peut-être à Assilah, du moins au Maroc, que le street art a vu le jour !

Jacques Lang dira « Mohamed Melehi était un visionnaire, un créateur de génie, un passeur de lumière et de culture. Son talent artistique en avait fait une figure de proue de la modernité marocaine. » et bien plus… pourrait-on ajouter.

Abdallah BENSMAÏN



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