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Golfe de Guinée : Comment protéger le gazoduc Maroc-Nigeria contre la piraterie ?


Rédigé par Soufiane CHAHID Mercredi 19 Octobre 2022

Le projet du Gazoduc Maroc-Nigeria va traverser une des zones maritimes les plus dangereuses du monde, le golfe de Guinée. Avec ses partenaires, le Maroc doit anticiper les risques pour l’infrastructure et, surtout, pour les milliers de travailleurs qui seront impliqués dans le projet.



Ph: Getty
Ph: Getty
Un nouveau pas vient d’être franchi dans le projet du gazoduc Maroc-Nigeria. Le 15 octobre à Nouakchott, deux Mémorandums d’entente ont été signés respectivement entre le Maroc, le Nigeria et la Mauritanie, et le Maroc, le Nigeria et le Sénégal. Ces accords confirment l’engagement des quatre pays à l’aboutissement de ce projet.

Lorsque l’on évoque les défis du gazoduc Maroc-Nigeria, on pense en premier lieu aux aspects financiers et techniques de ce projet pharaonique. Un autre aspect est beaucoup moins cité, celui de la sécurité maritime. Ce gazoduc, qui va traverser treize pays africains le long de la côte atlantique, pourrait bien buter sur la problématique de la piraterie maritime.

Cette piraterie est principalement active dans le golfe de Guinée, une zone maritime allant du Ghana à la Guinée Equatoriale. Considéré comme l’espace maritime le plus dangereux au monde, ce golfe enregistre à lui seul 95% des enlèvements de marins dans le monde. Outre la préservation des infrastructures, ce que le Maroc et ses partenaires dans ce projet doivent anticiper, c’est la sécurité des milliers de travailleurs qui interviendront sur place pour la construction du gazoduc.

Cette problématique particulièrement sensible a été discutée le 11 octobre au sein de l’Ecole de Guerre Economique (EGE) campus Rabat, lors d’une conférence animée par Arsène Emvahou, commissaire colonel, attaché de défense à l’ambassade du Gabon auprès du Benelux. Ayant travaillé sur ce dossier avec les instances africaines et internationales, Arsène Emvahou décrit les pirates du golfe de Guinée comme «des personnes armées, bien renseignées, capables de coordonner leurs actions en mer, de communiquer via des moyens satellitaires, d’avoir des informations précises sur la géolocalisation des navires et d’intervenir rapidement ».

Brigandage et kidnapping

Ces pirates peuvent s’adonner au brigandage en ciblant les cargaisons de pétrole, mais leur principale activité reste les enlèvements de marins contre rançons. 130 marins ont été kidnappés pour la seule année 2020. Pour y arriver, les pirates ont une organisation bien structurée, constituée de plusieurs groupes. Le premier groupe est celui des chasseurs, dont la mission est de prendre les otages. « Ils y vont avec des bidons de gasoil en réserve. Ils sont capables de couper le moteur, et de flotter sur des embarcations de fortune pendant trois jours, exposés aux intempéries, à la mauvaise vague, afin de croiser la trajectoire du bateau ciblé », raconte le militaire gabonais.

Une fois la « mission » effectuée, ils confient les otages à un second groupe qui se chargera de les emmener jusqu’à un réseau de petits villages dans la mangrove. Autour de cette organisation, interviennent aussi des groupes de renseignement et de protection, ainsi que des individus chargés de la négociation. « Lorsqu’on entame les négociations pour libérer des otages chinois ou européens, on se rend compte que la discussion se fait avec un intermédiaire à Londres. C’est une triangulation, on est dans du crime organisé à grande échelle », nous apprend-il.

Cette activité de piraterie pénalise l’économie de toute la région. 90% du trafic de marchandises vers ces pays est maritime, et l’insécurité de ces routes maritimes a comme répercussion l’augmentation du coût du fret, puisque les compagnies d’assurances intègrent désormais le risque K&R (Kidnap and Ransom) dans la prime à payer par l’armateur. In fine, ce coût est répercuté sur le consommateur final et grève la compétitivité des entreprises exportatrices de la région.

Pour un développement régional

Comment le royaume et ses partenaires engagés dans ce projet peuvent-ils y remédier ? En 2019, les chefs d’état-major des forces navales de la CEDEAO ont signé un mémorandum d’accord sur la sécurité maritime de cette région d’Afrique. Cependant, «cette démarche bute sur l’insuffisance des moyens de l’action en mer chez les pays impliqués », déplore Arsène Emvahou. Il invite dans ce sens la Marine Royale marocaine à s’impliquer dans cette région, en collaborant avec les marines alliées, comme celle du Gabon. Mais la réponse militaire ne résoudra pas le problème de fond, qui est la pauvreté et la précarité de ces populations, les poussant à l’illégalité et à la violence.

La meilleure solution reste de profiter de ce projet d’intégration régionale pour encourager le co-investissement et le co-développement, ce qui aura des retombées certaines sur les populations locales.



Soufiane CHAHID

Trois questions à Ali Moutaib


« Le Royaume peut développer un projet de coopération sécuritaire Sud-Sud avec ses partenaires »
 
Ali Moutaib, directeur de l’Ecole de Guerre Economique campus Rabat et directeur associé de Hyperboree Advisors, a répondu à nos questions.

- Quels sont les risques que fait peser la piraterie dans le Golfe de Guinée sur le projet de gazoduc Maroc-Nigeria ?


- Ce projet aura des retombées économiques et géopolitiques considérables pour les pays concernés par le déploiement de l’infrastructure. Si le projet est encore au stade de la signature des protocoles d’accord et des levées de fonds, la question de la sécurisation des infrastructures du projet devrait être posée sur la table une fois les travaux débutés. Le golfe de Guinée est l’une des régions les plus dangereuses au monde pour les navires, et il y aura donc clairement un risque pour les futurs travailleurs sur le projet.


- Les moyens militaires sont-ils suffisants pour sécuriser le golfe de Guinée ?

- La situation est complexe tant au niveau du droit maritime, qu’aux capacités sécuritaires des différents Etats concernés. La majorité des actes de pirateries concernent des tankers ou des navires pétroliers au large du Nigeria, même si certains pirates s’éloignent de plus en plus des côtes pour effectuer leurs actions. Au niveau du droit maritime, seul l’Etat concerné peut intervenir au large de ses côtes, Or, beaucoup d’Etats, dont le Nigeria, ne sont pas assez outillés au niveau de leurs unités maritimes pour faire face à la menace. L’une des solutions réside dans la coopération maritime régionale, voire au niveau international, avec un premier noyau de coopération établi lors du Sommet de Yaoundé en 2013.


- Comment le Maroc peut-il s’impliquer dans la problématique de la piraterie dans cette zone ?

- Le Royaume, qui est l’un des artisans du développement du projet du gazoduc, peut développer un projet de coopération sécuritaire Sud-Sud avec ses partenaires, en partageant l’expérience, la formation et les moyens de la Marine Royale, voire en créant une task-force avec les pays de la zone dans un cadre bilatéral ou multilatéral avec les organisations régionales. Cela peut être un chantier important à développer dans le cadre de la création de la nouvelle alliance atlantique africaine.


Recueillis par S. C.
 








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