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France - Maroc : Rabat et Paris à l’épreuve du “renouveau” [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mercredi 10 Juillet 2024

Le Nouveau Front Populaire lorgne Matignon après sa victoire partielle aux législatives. La cohabitation avec l’Elysée s’annonce incertaine et complexe. Le réchauffement franco-marocain peut-il survivre dans un tel contexte ? Décryptage.



Il est partout, il savoure sa demi-victoire en s’offrant des bains de foule, il multiplie les discours solennels du haut des balcons dans des scènes dignes d’un Jean Jaurès du 21ème siècle, lui qui se considère le leader de la gauche et l’architecte du Nouveau Front Populaire. Le chef de file de la France Insoumise, Jean Luc Mélenchon, se voit déjà futur Premier ministre en dépit des réserves de ses alliés, qui ne semblent nullement d’accord pour le proposer à l’Elysée.  Certes, la personnalité volumineuse du Chef des Insoumis et son tempérament fougueux ne font pas de lui un profil rassembleur, mais il n’en demeure pas moins qu'il reste la personnalité politique de gauche la plus aguerrie pour conduire le navire de gauche dans une éventuelle aventure gouvernementale.
 
La gauche veut gouverner, Macron temporise !
 
Le Nouveau Front Populaire, issu de l’alliance de LFI, des socialistes, des écologistes et des communistes, a déjoué tous les pronostics au deuxième tour des législatives en raflant 182 sièges à l’Assemblée nationale, devant le camp macroniste, arrivé deuxième avec 168 sièges, et le Rassemblement national qui s’est contenté de 143. Le RN est désabusé après avoir espéré une victoire éclatante suite à son score au premier tour. Mais le jeu des désistements auquel se sont livrés à la fois les macronistes et le NFP a fini par faire barrage aux troupes de Marine Le Pen qui ont, tout de même, agrandi leur groupe parlementaire par rapport à 2022. “Il paraît extrêmement improbable que Jean Luc Mélenchon soit nommé par Macron au poste de Premier ministre”, insiste David Teurtrie, politologue et maître de conférences à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES), qui rappelle que Mélenchon ne fait pas l’unanimité au sein même de son camp. 
 
Ni gagnant ni perdant, l’Elysée sous pression !
 
Maintenant, tous les chemins mènent à l’Elysée. Très critiqué pour avoir dissous subitement l’Assemblée après les élections européennes, le président Emmanuel Macron doit tirer les conséquences du vote du 7 juillet en nommant un Premier ministre de la majorité. Pour l’instant, il a préféré garder Gabriel Attal, dont il a refusé la démission, le temps qu’il se résolve. Le choix s’annonce complexe au milieu de la confusion qui règne au Palais Bourbon. Comment trouver un chef de gouvernement alors que personne n’a la majorité absolue ? Difficile de voir clair dans un tableau si nébuleux, au moment où les perspectives d’alliances sont quasi illisibles. Pour l’instant, le RN est écarté. Le Nouveau Front Populaire est le plus apte à revendiquer le pouvoir et l’opportunité de former un Exécutif. Mais avec qui ? Seule l’alliance avec les macronistes peut lui offrir assez de députés pour disposer d’une majorité absolue, fixée à 289 sièges. Compte tenu du fossé qui les sépare sur le plan programmatique, on peine à imaginer une telle alliance entre un camp libéral, plus à droite, et un camp de gauche qui accuse Emmanuel Macron d’être le président des riches. C’est comme si on voulait faire une alliance entre capitalistes et communistes au 19ème siècle. Là, l’incertitude règne, on évoque la possibilité d’un large bloc républicain allant des écologistes aux républicains, sans La France Insoumise. David Teurtrie n’écarte pas le scénario d’un gouvernement de gauche minoritaire qui part à Matignon avec une majorité relative, quitte à risquer des motions de censure de ses adversaires. On parle là de gouverner au cas par cas, c'est-à-dire de chercher des voix à l’Hémicycle pour chaque réforme.
 
Pour l’instant, l'incertitude domine et personne ne peut prédire l’avenir, la seule certitude qu’on a c’est que le Rassemblement national ne dirigera pas le prochain gouvernement, au grand bonheur de l’Algérie qui s’est engagée visiblement durant la campagne en appelant à  voter à  gauche à travers ses relais à l'Hexagone, dont le recteur de la Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, dont la proximité avec le Palais d’El Mouradia est un secret de polichinelle. “Avec la gauche au pouvoir, il ne faut rien espérer”, lâche Mohamed Badine El Yattioui, professeur d'études stratégiques au Collège de Défense nationale des Émirats Arabes Unis (EAU). 

La gauche et le Maroc, de la compréhension à l’inimitié !
 
Il va sans dire que la gauche française a de tout temps été peu amène à l’endroit du Maroc, en étant sensible à la thèse séparatiste. Au sein de La France Insoumise, les partisans du Polisario sont nombreux. La liste est longue, on peut citer la députée Mathilde Panot, qui a pris part à des manifs pro-Polisario en 2019, et l’eurodéputée Manon Aubry, qui a voté des Résolutions anti-marocaines au Parlement de Strasbourg. LFI a déclenché la polémique récemment lorsque Rima Hassan, chouchou de Jean Luc Mélenchon, devenue la vedette de LFI à la faveur des élections européennes et de la forte montée du mouvement propalestinien, s’est affichée aux côtés des militants du Polisario. Pour leur part, les écologistes comme les socialistes ne sont pas plus bien disposés à l’égard du Royaume que leurs alliés LFI. Au Parlement européen, leurs votes montrent une attitude anti-marocaine. La seule figure rassurante est celle de Jean Luc Mélenchon qui n’a eu de cesse de manifester son admiration et sa nostalgie pour son pays natal. Lors de sa dernière visite au Royaume, où il avait visité la région sinistrée d'Al-Haouz avant de présenter son dernier livre à Casablanca, il s’est montré compréhensif de la cause marocaine sans aller jusqu’à trancher sa position.
 
Quelle marge de manœuvre pour le futur Premier ministre ?
 
Par ailleurs, quoi qu’il advienne et quelle que soit l’identité du futur locataire de Matignon et la morphologie du prochain gouvernement, il est peu probable qu’il y ait un impact sur la politique étrangère de la France et notamment sur les relations avec le Maroc, la politique étrangère étant façonnée par un rapport de force avec Matignon. Sous la Vème république, le partage des prérogatives est flou, puisque c’est le Premier ministre qui porte la politique du gouvernement. Il y a eu durant les dernières décennies la tradition du domaine réservé, qui laisse la défense et la politique étrangère aux mains de l’Elysée et la politique intérieure au patron de Matignon. On imagine très mal Emmanuel Macron, connu pour son narcissisme et sa façon verticale d'exercer le pouvoir, concéder le moindre iota au gouvernement.
 
La visite de Macron tombe à l’eau !
 
“Quel que soit le Premier ministre, il n’aura pas assez de manœuvre en termes de politique étrangère”, tranche Mohamed Badine El Yattioui. Pour sa part, David Teurtrie estime que le président devrait tout de même prendre en considération l’avis du gouvernement. Dans un tel contexte si complexe, le flou plane sur le réchauffement initié par Macron et son ex-gouvernement avec le Maroc. M. El Yattioui pense que le président français voudrait le poursuivre jusqu’à la fin de son mandat. Ce qui est sûr aux yeux de notre interlocuteur, sa visite annoncée au Royaume ne semble plus à l'ordre du jour.

Trois questions à David Teurtrie : “En cas de cohabitation, le président doit tenir compte de l’avis du gouvernement en matière de politique étrangère”

David Teurtrie, politologue et maître de conférences à l’Institut catholique d’études  supérieures (ICES), a répondu à nos questions.
David Teurtrie, politologue et maître de conférences à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES), a répondu à nos questions.
  • Maintenant que la gauche est arrivée en tête du scrutin, pensez-vous qu’elle va diriger Matignon ?
 
Il paraît extrêmement improbable que Jean Luc Mélenchon soit nommé par Macron au poste de Premier ministre. Je doute même qu’il soit proposé par ses alliés à Matignon. Comme la gauche n’a pas de majorité absolue, ce qui l’oblige à chercher des alliés, le Nouveau Front Populaire devra présenter un candidat plus consensuel et moins clivant. C’est difficile de faire des pronostics sur le profil idéal, on évoque souvent la Cheffe des écologistes, Marine Tondelier. LFI, pour sa part, se dit le plus légitime étant donné qu’il a le plus de sièges au sein du bloc gauchiste. Là, il est vraiment difficile de savoir ce qui ressort de toutes ces tractations. On peut même imaginer une personnalité technocrate en dehors du champ politicien pour dépasser les clivages.
 
  • Une alliance entre la macronie et le Nouveau Front Populaire, si contre nature soit-elle, est-elle envisageable ?
 
Il y a plusieurs scénarios, dont une alliance qui va de LFI au bloc central qui déboucherait sur une majorité absolue. Cette alliance est difficilement envisageable pour peu qu’il y ait là des composantes de droite et d’extrême gauche qui sont radicalement différentes les unes des autres. On peut imaginer un gouvernement de gauche avec une majorité relative mais appuyée par une partie des macronistes d’obédience socialiste qui puissent soutenir momentanément quelques réformes. Un scénario qui ressemble à ce qu’on a vu durant les mandats d’Elisabeth Borne et de Gabriel Attal. Le troisième scénario consiste à constituer une coalition entre les macronistes, le centre droit, les socialistes et les écologistes, sans LFI. Là, les électeurs de gauche risquent de rejeter une telle coalition de circonstance. 
 
  • En matière de politique étrangère, est-ce qu’il s’agit d’un domaine réservé au président ou simplement d’une coutume qui a prévalu sous la Vème république ?
 
C’est vrai lorsque le président a une majorité au Parlement. En cas d’une cohabitation, le ministre des Affaires étrangère est issu, en principe, du gouvernement émanant de l’opposition. Donc, le Chef de l’Etat doit prendre en compte son avis sur la politique étrangère comme ce fut le cas pendant la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin lorsque Hubert Védrine était au Quai d’Orsay. Il y avait une sorte d’entente sur un certain nombre de dossiers grâce à une concertation réciproque.  
 
Recueillis par Anass MACHLOUKH

Trois questions à Mohamed Badine El Yattioui : “Avec la gauche au pouvoir, il ne faut rien espérer”

Mohamed Badine El Yattioui, professeur d’études stratégiques au Collège de Défense nationale des Émirats Arabes Unis (EAU), a répondu à nos questions.
Mohamed Badine El Yattioui, professeur d’études stratégiques au Collège de Défense nationale des Émirats Arabes Unis (EAU), a répondu à nos questions.
  • Au-delà de la personnalité qui va diriger Matignon, quelle marge de manœuvre le futur Premier ministre aura-t-il dans la politique étrangère de la France vis-à-vis du Maghreb ?
 
Quelle que soit l’identité du futur Premier ministre, il n’aura pas assez de marge de manœuvre dans la politique étrangère qui devrait rester entre les mains du président, sauf, peut-être, en ce qui concerne la politique européenne. Avec une majorité relative de gauche, je pense qu’il ne faut rien espérer. La cohabitation, si hypothétique soit-elle, n’aura qu’un impact limité sur les relations franco-marocaines et le processus de réchauffement initié récemment. Il est clair que le président Emmanuel Macron voudra garder la main sur ce dossier pour que ce timide réchauffement dure jusqu’à la fin de son mandat.  
 
  • Affaire du Sahara : le RN demeure la première force politique de France, est-ce une chose positive pour le futur, compte tenu des multiples déclarations élogieuses faites par des personnalités du RN à l'endroit du Royaume ?
 
Le fait que le Rassemblement National avance constamment n’est pas forcément une source de satisfaction ou d’insatisfaction d’un point de vue géopolitique purement marocain. Il y a eu des personnalités notoires dont Thierry Mariani et Eric Ciotti, qui ont soutenu la marocanité du Sahara. Il n’en reste pas moins que, même en cas d’un gouvernement RN, ce soutien ne sera pas gratuit mais conditionné par des exigences strictes en matière de coopération migratoire et notamment l'expulsion des immigrés indésirables qui font l’objet d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français).  Le jour où le RN contrôlera à la fois l’Elysée et l’Assemblée nationale, on peut imaginer une avancée significative sur le dossier du Sahara.  
 
  • Peut-on dire que la visite de Macron au Maroc n’est plus possible vu le contexte actuel dans l'Hexagone ?
La visite d’Emmanuel Macron au Maroc me semble envisageable dans le contexte actuel. Mais, tant qu’il se contente de petits gestes peu significatifs sans aller jusqu’au bout d’une reconnaissance de la marocanité du Sahara, il est difficile de le voir venir au Maroc d’autant plus qu’il est maintenant affaibli politiquement dans son pays.  
 
Recueillis par Anass MACHLOUKH

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