L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search



Actu Maroc

Flambée du prix du Gaz : Périlleuse remontada du charbon dans le mix énergétique du Maroc ?


Rédigé par Oussama ABAOUSS Mercredi 9 Mars 2022

La flambée des prix du gaz naturel et surtout sa raréfaction en raison de la guerre en Ukraine génère un net engouement pour le charbon, en dépit de l’explosion de son cours sur le marché mondial. Quels risques pour la politique climatique et énergétique du Royaume ?



Alors que la guerre s’installe durablement en Ukraine, les répercussions économiques négatives prennent diverses formes au niveau mondial au vu de l’importance et du poids de la Russie et de l’Ukraine dans la stabilité de plusieurs matières premières. C’est ainsi que les acteurs et opérateurs économiques s’alarment face à l’envolée des prix de denrées comme les céréales et ceux des minerais comme le cuivre, le nickel ou encore le charbon.

« Le Maroc est l’économie africaine la plus susceptible de subir un choc négatif important du fait de la guerre, car ses importations en pétrole, en gaz et en charbon représentaient 6,4 % du PIB en 2019, soit environ le double de celles de l’Égypte et de l’Afrique du Sud, qui réalisent par ailleurs d’importantes exportations d’énergie», souligne, dans un récent Policy Brief, le think-tank marocain Policy Center for the New South.

Abstraction faite des autres matières premières concernées, l’augmentation du prix du charbon est pour le Royaume une mauvaise nouvelle avérée puisque cette matière première est importée à 100%. De surcroît, sa part dans le mix énergétique marocain domine de loin les autres sources d’énergie avec un pourcentage de 68,5% qui risque rapidement d’augmenter si le marché mondial du gaz ne sort pas rapidement de l’actuelle zone de turbulences.

Le renouvelable continue son chemin

« L’instabilité du prix du charbon ne va pas impacter les grandes orientations de la politique énergétique du Royaume. Les efforts et objectifs assignés en matière d’énergies renouvelables vont être maintenus, voire accélérés. Il n’en reste pas moins que cette conjoncture est particulièrement défavorable pour notre pays, surtout après la fermeture du Gazoduc Maghreb-Europe », nous confie un expert en énergies renouvelables.

« La contribution des énergies renouvelables dans la satisfaction de la demande devient de plus en plus importante, avec une part de 4,5% pour la production solaire (hausse de 20% par rapport à 2020) et de 12,4% pour la production éolienne (hausse de 11% par rapport à 2020) », a pour sa part indiqué l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) dans une note synthétisant ses réalisations au titre de l’année 2021.

Cela dit, si la dynamique d’intégration des énergies renouvelables se maintient, l’augmentation des prix du gaz et du charbon peut impacter les objectifs nationaux relatifs à la réduction des gaz à effet de serre.

L’impact sur les émissions des GES

« Au vu du contexte géopolitique actuel et à la lumière des augmentations importantes des prix du charbon et du gaz, il est certain qu’il y aura un impact sur les efforts de réduction des émissions des gaz à effet de serre (GES). D’abord parce que notre pays cherche toujours un approvisionnement pérenne en gaz naturel qui n’a pas encore été sécurisé, donc les centrales à charbon vont continuer à fonctionner avec des volumes de production plus élevés. Ensuite parce que l’augmentation des prix du gaz a fait que même les pays développés sont en train de revenir vers le charbon en attendant de trouver une autre énergie qui va se substituer au gaz », considère Hassan Agouzoul, expert en développement durable et en transition énergétique.

Au lieu d’importer du charbon à prix fort, et sachant que les mines de Jérada avaient fermé leurs portes au début des années 2000 car l’exploitation était jugée peu rentable, l’augmentation du prix du charbon pourrait-elle justifier de réétudier la possibilité de revenir vers l’extraction et l’exploitation de ce minerai au Maroc ?

Un retour vers l’extraction du charbon ?

« Si on suit la logique économique et financière, c’est effectivement une option envisageable. Cela dit, notre doctrine climatique et notre vision à long terme nous imposent de garder le cap surtout que le contexte géopolitique pourrait rapidement changer. Les liens et les interconnexions que nous avons avec les divers marchés, notamment en Europe, sont également un facteur qui nous incite à maintenir notre cap actuel et à accélérer la généralisation du recours aux énergies renouvelables plutôt que d’envisager un retour vers l’exploitation minière du charbon », répond Hassan Agouzoul.

Autre facteur qui entre enjeu dans cette interrogation : l’existence ou non d’un gisement exploitable au Maroc ? « Quand les mines ont fermé leurs portes, les experts considéraient qu’il existait encore un gisement - quoi que de plus en plus difficile à valoriser - qui pouvait encore durer une dizaine d’années. Cela dit, toutes les infrastructures d’exploitation ont depuis été détruites et une décision pareille impliquerait également de relancer les prospections», répond pour sa part Lahcen Lashab, ancien cadre administratif aux mines de Jérada.



Oussama ABAOUSS

Repères

L’Allemagne et le gaz russe
Les ministres allemands des Finances et des Affaires étrangères se sont récemment prononcés contre une interdiction des importations de gaz, de pétrole et de charbon depuis la Russie dans le cadre de nouvelles sanctions liées à l’invasion de l’Ukraine. «Il faut pouvoir tenir les sanctions sur la durée», a expliqué la cheffe de la diplomatie, Annalena Baerbock. «Ça ne sert à rien si dans trois semaines on découvre que nous n’avons plus que quelques jours d’électricité en Allemagne et qu’il faut donc revenir sur ces sanctions».

Ambitions énergétiques du Royaume
S’exprimant à la Chambre des Représentants en janvier dernier, Mme Leila Benali, ministre du Développement durable et de la Transition énergétique, avait affirmé que les ambitions du Royaume ont été relevées afin de dépasser l’objectif d’atteindre 52 % d’énergies renouvelables dans la capacité installée en 2030, notant que « le Maroc compte aujourd’hui 61 projets en cours de développement ou en construction avec une capacité totale de 4,6 gigawatts, et un investissement de près de 53 milliards de dirhams».


L'info...Graphie


Europe


L’inexorable flambée des prix du charbon et de l’électricité
 
Les marchés européens connaissent actuellement une envolée spectaculaire des prix du gaz. La guerre et les sanctions contre la Russie - qui fournit 40% des importations de gaz de l’Union Européenne - ont fait exploser la référence du marché en Europe, le TTF (Title Transfer Facility) néerlandais.

Le lundi 7 mars, le prix du gaz naturel a dépassé les 300 euros par mégawattheure, battant un nouveau record, alors que son prix était de moins de 17 euros il y a tout juste un an. Les prix du charbon connaissent également une courbe ascendante similaire.

Dans un contexte marqué par les craintes de pénuries en Europe, les prix du charbon ont atteint un niveau historique jeudi dernier en dépassant le seuil de 400 dollars la tonne. Ces augmentations des prix du gaz et du charbon se sont également répercutées sur le prix de l’électricité en Europe.

A titre d’exemple, le prix de l’électricité allemande pour livraison le mois prochain a augmenté de 54% pour atteindre un niveau sans précédent de 650 euros par mégawattheure.
 

Electricité


Hausse des exportations de l’électricité produite au Maroc durant 2021
 
Après une année 2019 dans laquelle le Royaume est parvenu à s’affirmer en exportateur d’électricité, l’année 2020 et son lot de perturbations liées à la pandémie ont engendré une baisse importante du volume d’électricité exporté par le Royaume à ses partenaires.

En revanche, durant l’année 2021, le Royaume a pu reconfirmer son statut de producteur et d’exportateur d’électricité. Les derniers chiffres officiels sur les échanges extérieurs montrent que le volume des exportations en 2021 a atteint 851 GWh, correspondant à 2% de la production nationale, soit l’équivalent de la production hydroélectrique du pays (hors station de transfert d’énergie par pompage).

Ces performances ont permis de réaliser des recettes en devise de plus de 565 millions de dirhams, enregistrant ainsi une hausse de près de 700% par rapport à l’année 2020. Dans la dynamique de transfert des flux électriques, les importations ponctuelles du Royaume ont par ailleurs baissé de 20% par rapport à l’année 2020 avec un volume global de 688 GWh. Il convient de noter que l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) a investi plus de 9 milliards de dirhams (MMDH) en 2021, avec une montée en puissance de grands projets structurants.

En fin décembre 2021, la puissance installée a ainsi atteint 10.968 MW, contre 10.627 MW en décembre 2020. Cette performance a pu être atteinte suite au lancement de nouvelles installations, notamment les centrales solaires photovoltaïques de Zagora et Missour et le parc éolien Oualidia.
 

3 questions à Hassan Agouzoul, expert en transition énergétique


« L’augmentation des prix du gaz naturel et du charbon est actuellement en train de mettre à mal le modèle mondial de la transition énergétique »
 
Expert en développement durable et en transition énergétique, Hassan Agouzoul répond à nos questions sur l’impact de la guerre en Ukraine sur la transition énergétique.


- Quel est l’impact de la guerre entre la Russie et l’Ukraine sur la transition énergétique ?

- L’augmentation des prix du gaz naturel et du charbon est actuellement en train de mettre à mal le modèle mondial de la transition énergétique. Ce modèle développé initialement par l’Allemagne a été depuis repris et adapté au niveau mondial. L’idée était de s’appuyer sur le gaz à moyen terme (jusqu’en 2035) comme une énergie de transition le temps que les énergies renouvelables puissent se généraliser. C’était la vision par excellence pour décarboner la production électrique mais également les usages (transport, bâtiment, agriculture et industrie).


- Sachant que même l’Allemagne a entrepris de revoir son modèle énergétique, peut-on considérer que ce modèle n’est plus viable ?


- Le conflit entre l’Ukraine et la Russie et ses impacts sur l’économie et les prix des ressources énergétiques ont rendu l’option du gaz naturel au mieux très difficile à mettre en place et au pire obsolète vu que les producteurs stratégiques du gaz ont commencé à faire du chantage et ont politisé le gaz naturel. Il existe actuellement plusieurs courants qui interprètent différemment les possibilités de réadapter la transition énergétique aux nouvelles réalités imposées par la guerre en Ukraine.


- Quelles sont les principales positions qui se dessinent dans ce sens ?


- Il y en a trois : les parties convaincues qu’il s’agit là d’une opportunité mondiale pour accélérer encore plus l’installation des énergies renouvelables. Il y a d’un autre côté le lobby du nucléaire civil qui monte en puissance au niveau des pays qui maîtrisent cette technologie, notamment la France, et qui estiment que c’est actuellement l’occasion de changer le modèle de la transition énergétique en substituant le gaz et les énergies fossiles par le nucléaire en attendant la généralisation du renouvelable.

Enfin, il y a également la perspective du lobby des énergies fossiles, qui estime que c’est l’occasion aujourd’hui de développer le potentiel des industries fossiles dans les pays qui sont considérés comme démocratiques.

 

Recueillis par O. A.​