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Fautes médicales : Comment protéger les patients sans lyncher le corps médical ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Omar ASSIF Mercredi 18 Octobre 2023

En dépit d’un cadre réglementaire dédié, les patients aussi bien que les médecins subissent des injustices qui révèlent l’ampleur du travail à accomplir afin de garantir la protection de leurs droits.



Révélée par nos confrères du Ledesk.ma le 4 octobre 2023, l’affaire concerne 16 patients qui auraient « perdu la vue » suite à une injection à l’œil à l’hôpital 20 Août de Casablanca le 19 septembre 2023. Depuis, le CHU Ibn Rochd de Casablanca a souligné dans un communiqué qu’au lendemain de l’injection en question (Bévacizumab), deux patients se sont plaint de rougeurs et de douleurs à l’œil avec perte de vue. L’hôpital 20 Août a par la suite contacté les 16 patients qui ont ainsi été placés sous surveillance et ont commencé à montrer « des signes cliniques d’amélioration ». « 5 d’entre eux ont donc quitté l’établissement hospitalier et les autres sont toujours sous traitement et sous surveillance», a ajouté la même source. La Société Marocaine d’Ophtalmologie (SMO) a dans un deuxième temps communiqué également afin de préciser que « l’incident grave et regrettable (…) n’est nullement en rapport avec le produit, mais avec une complication infectieuse, l’endophtalmie, qui est une complication très rare (0,02%) et redoutée par les ophtalmologistes du monde entier ».
 
« Sujet complexe »

La SMO ajoute par ailleurs que l’origine de l’incident « reste à déterminer loin des polémiques, des fausses informations et du sensationnalisme ». Une entreprise qui est manifestement en cours puisqu’une enquête judiciaire a été lancée afin de déterminer les circonstances et éventuelles responsabilités du personnel soignant. Une affaire qui remet également à la lumière l’épineux sujet de la défense des droits des patients en cas de fautes médicales. « Il s’agit effectivement d’un sujet complexe puisque la société marocaine est passée en quelques décennies d’un état d’esprit fataliste où le patient accepte, parfois à tort, le résultat d’une erreur ou faute médicale, vers un autre état d’esprit où le patient pointe, parfois abusivement, le médecin-traitant en l’accusant de faute grave », nous confie un chirurgien qui a souhaité garder l’anonymat. « Or, le médecin connaît par défaut le poids de la responsabilité qui lui incombe. Il n’est pas exempté d’erreurs, mais son travail est justement de limiter le risque au maximum », poursuit la même source.
 
Entre faute et aléa
 
« La situation actuelle pèse autant sur les patients que sur les médecins, surtout ceux qui travaillent dans le public. Il existe plusieurs cas où les patients ont considéré que le médecin était responsable de faits sur lesquels il n’avait aucun contrôle, qui sont plutôt de l’ordre de l’aléa thérapeutique, ou liés au manque de moyens et aux conditions déplorables dans lesquelles le médecin est obligé de travailler. Durant ces dernières années, nous observons même une recrudescence de cas où le ministère de la Santé accable un praticien pour une faute dont l’origine est à chercher du côté de la propre responsabilité et prérogatives du ministère », ajoute notre interlocuteur. Pour Dr Leila Ben Sedrine, professeur à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat, « le ministère de la Santé s’intéresse beaucoup moins à la pratique médicale qu’à l’économie de la santé, les infrastructures, l’assurance-maladie, etc. Pourtant, son rôle est le contrôle, l’investigation et l’inspection afin d’assurer les conditions nécessaires à des soins de qualité ».
 
Réglementation et réalité
 
La juriste, qui est par ailleurs pionnière en matière de droit médical marocain, estime cependant que les médecins manquent souvent à leur obligation d’informer les patients sur les enjeux des traitements, mais également sur les risques. « Le patient est le plus souvent confronté à la complexité et à la protection insuffisante du droit de la responsabilité. Il est le maillon faible dans un contexte où subsiste un décalage entre la réalité et la réglementation au niveau de l’application », explique-t-elle, ajoutant que beaucoup reste à faire afin de parvenir à « une harmonisation et un équilibre dans les obligations et les droits des praticiens de la santé et des patients ». Pour la juriste, cet objectif passe obligatoirement par l’amélioration des capacités des juges, des conditions nécessaires au développement de la jurisprudence, et des garanties sur l’impartialité des experts au niveau des tribunaux. « Les médecins privés aussi bien que le ministère de la Santé devraient également contracter des assurances dédiées à couvrir les cas de fautes médicales », conclut Dr Ben Sedrine (voir interview).
 

3 questions à Leila Ben Sedrine « Il convient de renforcer l’arsenal juridique existant afin d’équilibrer la relation entre médecin et patient »

Professeur à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat et juriste qui a travaillé durant des années sur la médicale au Maroc, Leila Ben Sedrine répond à nos questions.
Professeur à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat et juriste qui a travaillé durant des années sur la médicale au Maroc, Leila Ben Sedrine répond à nos questions.
Quel est l’état des lieux des associations qui se spécialisent dans la défense des droits des patients au Maroc ?

- Un état des lieux qui n’est malheureusement pas très satisfaisant. Les associations de ce genre sont peu nombreuses et peu actives en raison de plusieurs obstacles, dont les principaux sont l’absence totale de soutien étatique que ce soit à travers des financements ou même d’aides à la domiciliation. Or, ces associations ont un rôle important à jouer afin de servir d’intermédiaire entre les patients et les infrastructures et personnel de la santé. Dans ce contexte, il serait judicieux que les associations de protection du droit des consommateurs se saisissent de ce sujet, avec comme perspective que les patients sont également des consommateurs (de produits, services et offres de soins).

En cas de faute médicale dans un établissement de la Santé publique, comment déterminer où finit la responsabilité du personnel médical et où commence celle du ministère de la Santé ?

- Généralement, la responsabilité des fautes médicales qui ont lieu au sein d’un établissement public est supportée par l’Etat. C’est-à-dire que la responsabilité engagée est une responsabilité administrative sauf si la faute est grave et « caractérisée ». Dans ce cas, la responsabilité civile, voire pénale, du commettant est engagée. A noter que le ministère de la Santé a pour rôle essentiel d’accompagner les établissements de santé et de contrôler leur fonctionnement. Il doit disposer d’un bon plateau technique qui permet la notation et la classification des hôpitaux en se basant sur des indicateurs clairs et pertinents.

Quelles sont vos recommandations pour améliorer la défense des droits des patients en cas de faute médicale ?

- En plus des suggestions que j’ai déjà formulées (voir article principal, NDLR), je dirai que cet enjeu passe également par l’amélioration de l’accès systématique des patients à des informations claires par rapport aux traitements, la nature des interventions et des soins, sans oublier les risques potentiels. Au niveau des hôpitaux, les qualifications de chaque intervenant de santé devraient être accessibles et bien détaillées. Je pense qu’il convient également de renforcer l’arsenal juridique existant afin d’équilibrer la relation entre médecin et patient, tout en veillant à ce que chaque intervenant joue pleinement son rôle.
 

Monde : L’OMS appelle les pays à investir dans la sécurité des patients

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), des millions de patients sont victimes chaque année d’effets indésirables dus à des soins à risque, « ce qui entraîne 2,6 millions de décès par an rien que dans les pays à revenu faible et intermédiaire, alors que la majorité de ces décès sont évitables ». Les conséquences individuelles, sociales et économiques des préjudices causés aux patients se comptent ainsi en milliers de milliards de dollars US dans le monde. Au niveau mondial, « quatre patients sur dix subissent des préjudices dans les structures de soins de santé primaires ou de soins ambulatoires. Les erreurs les plus importantes sont liées au diagnostic, aux prescriptions et à l’utilisation des médicaments. À elles seules, les erreurs qui concernent les médicaments entraînent des coûts annuels estimés à US $42 milliards ». L’OMS appelle par ailleurs les pays à investir dans la sécurité des patients, en précisant que « la prévention coûte bien moins cher que le traitement nécessaire après un préjudice ».

Réglementation : Les divers types de responsabilités légales en cas de faute médicale

Sachant que la médecine n’est pas une science exacte, l’exigence légale vis-à-vis du médecin peut parfois prêter à confusion. « Le médecin est tenu à une obligation de moyens et non pas à une obligation de résultats. Il doit être diligent, prudent et attentionné pour arriver à la guérison sans que cette dernière ne soit promise. Il doit cependant utiliser tous les moyens qui sont à sa disposition pour arriver en « bon père de famille » dans le sens juridique de l’expression », explique Dr Ben Sedrine. Cela dit, les cas de fautes médicales peuvent aussi bien engager la responsabilité civile que disciplinaire du médecin. « La responsabilité civile comprend deux responsabilités : la délictuelle et la contractuelle.

La responsabilité délictuelle intervient suite à une faute commise par le praticien lui-même ou par l’un de ses préposés. Elle doit être différenciée de la responsabilité pénale qui peut être engagée en cas de faute très grave (homicide, mutilation, handicap…). Dans ce cas, on dépasse la limite de la responsabilité civile (dommages et intérêts) puisque la sanction peut s’étendre à une peine d’emprisonnement », explique la juriste. « La responsabilité contractuelle est pour sa part régie par les articles 263 et 268 du Dahir des obligations et des contrats.

Le débiteur (qui est le médecin) y est tenu au paiement des dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit en raison du retard dans l’exécution de l’obligation. La responsabilité disciplinaire est généralement engagée par le Conseil de l’Ordre des médecins», explique Dr Ben Sedrine.