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Explosifs civils au Maroc : des outils puissants de construction massive


Rédigé par Oussama Abaouss Lundi 5 Juillet 2021

L’utilisation d’explosifs dans les grands chantiers du Royaume est le domaine de prédilection des experts en géotechnique. Zoom sur une discipline peu connue du grand public.



La semaine dernière a été marquée par un contentieux juridique entre la Société foncière Iskane et EPC Maroc, filiale marocaine du Groupe EPC qui est l’un des pionniers en Europe (et au Royaume) en matière de fabrication et de distribution d’explosifs à usage civil.

Au-delà de l’enjeu de cette polémique qui concerne la démolition par la société Iskane des locaux exploités par EPC Maroc depuis plus de 60 ans à Bouskoura, cette affaire, toujours en cours, a rappelé à l’opinion publique qu’il existe dans notre pays une industrie de l’explosif qui est ancienne et bien implantée.

Ce constat s’avère des plus logiques quand on se rappelle que le Maroc a très tôt entamé de grands chantiers d’infrastructures et des activités minières qui ne peuvent aboutir sans l’utilisation de ce genre de procédés.

Si aujourd’hui l’explosif rime avec guerre ou, pire, avec terrorisme, il y a lieu de rappeler que la vocation première de ce genre de dispositifs s’est d’abord trouvée dans les chantiers de génie- civil. Avant d’être des armes de destruction massive, les explosifs sont avant tout des outils fabuleux pour faciliter la construction.

Explosifs et géotechnique

Les premiers « clients » de ce genre de procédés sont les experts en génie géotechnique : une discipline à cheval entre géologie, ingénierie et physique. « Bien que l’utilisation des explosifs dans les chantiers soit du ressort des géotechniciens, nos praticiens ne sont pas des spécialistes des explosifs proprement dits, mais plutôt des spécialistes de la roche et du sol qui font appel à leurs connaissances et à leur savoir-faire pour concevoir des « schémas de tir » adaptés à chaque contexte géotechnique », explique Ahmed Skali Senhaji, ingénieur civil et spécialiste en géotechnique, co-fondateur et vice-président de l’Association Cercle des Géotechniciens Marocains (ACGM).

Le profil d’expert en géotechnique est d’ailleurs une perle rare très recherchée au Maroc. « Il y a beaucoup de chantiers au Maroc qui nécessitent le savoir-faire et l’implication des géotechniciens. Que ce soit dans le domaine maritime, pour la construction de barrages, des projets sous terrains (les galeries et les tunnels), ou encore pour des ouvrages linéaires (les routes, voies ferrées) », explique le spécialiste.

Un outil de précision

L’utilisation d’explosifs dans les chantiers n’est cependant pas systématique. « Nous utilisons les explosifs quand il y a des sols très durs. Ces dispositifs servent alors principalement à décomposer la roche », souligne notre interlocuteur. Pour le néophyte, l’utilisation d’une explosion comme outil de travail peu apparaître hasardeuse. Les géotechniciens disposent cependant d’un savoir-faire scientifique qui permet de contrôler avec précision ce genre de phénomène aux apparences chaotiques.

« Il existe des techniques bien rodées qui permettent d’assurer la précision de l’opération d’une mise à feu. Après une étude minutieuse du terrain et de son environnement, nous déterminons tous les paramètres liés, entre autres, à la nature de la roche, à son degré de résistance et aux failles et fissures qui la composent, ainsi qu’aux interactions possibles avec les ouvrages mitoyens.

L’idée est de calculer et d’anticiper la propagation de l’onde de choc à travers un schéma de tir adapté qui nous permet de déterminer le type d’explosif, les quantités, les détonateurs et les implantations des explosifs », précise le vice-président de l’ACGM.

Un domaine bien encadré

Comme on peut s’y attendre, l’utilisation des explosifs dans le génie- civil est une activité qui fait l’objet d’un encadrement réglementaire et opérationnel très strict. Cela n’empêche cependant pas le Maroc d’héberger ses propres sites de production. « Le protocole qui encadre l’utilisation des explosifs dans le génie- civil est très verrouillé.

On sait d’une manière millimétrée quand et comment l’explosif arrive au chantier, où et comment il sera stocké et à quel moment il sera utilisé. Tout est fait pour annuler les risques potentiels et rien n’est laissé au hasard », confirme notre spécialiste géotechnicien familier aux travaux souterrains utilisant l’explosif, qui, cependant, précise qu’il y a moyen d’améliorer encore plus le dispositif : « C’est un domaine qui évolue constamment pour devenir de plus en plus sécurisé. Les procédés sont de plus en plus automatisés, du stockage jusqu’à la mise à feu.

Il y a d’ailleurs plusieurs pays qui n’utilisent plus des explosifs conventionnels prêts à l’emploi, mais ont commencé à opter pour la préparation sur chantier de l’explosif. Cela permet notamment d’acheminer sur site des composantes qui sont inoffensives puisqu’elles ne sont pas encore préparée, ce qui contribue à minimiser les risques potentiels pendant le transport».
 
 Oussama ABAOUSS

Le quart des explosifs marocains produit par EPC
Les besoins du marché national en matière d’explosifs industriels avoisinent les 40.000 tonnes par an. En 2018, EPC Maroc produisait 7.000 tonnes d’explosifs et 1,5 M de détonateurs chaque année, dont l’intégralité est commercialisée au sein du Royaume, ce qui représente approximativement 25% du marché national. Frank Maupoux, DG de EPC Maroc, avait déclaré que l’objectif de la filiale marocaine est de pérenniser la présence d’EPC au Maroc au cours des 60 prochaines années.
 
Expansion des activités de la CADEX
Le groupe CADEX (Compagnie africaine des explosifs) créé en 1912, qui fait partie des rares fabricants marocains d’explosifs à usage civil, a annoncé l’année dernière son intention d’investir plusieurs dizaines de millions de dirhams pour construire plusieurs entrepôts dotés d’une large capacité de stockage et répartis entre la région de Guercif et celle de Driouche. À noter que ce groupe compte trois unités de production dont deux situées dans la région de Casablanca et une implantée en 2015 en Mauritanie.

Explosifs civils au Maroc : des outils puissants de construction massive

3 questions à Ahmed Skali Senhaji, géotechnicien


« Il n’y a pas suffisamment de géotechniciens marocains au niveau des grands projets »

 
Co-fondateur et vice-président de l’Association Cercle des Géotechniciens Marocains (ACGM), Ahmed Skali Senhaji répond à nos questions sur le développement de la géotechnique au Maroc.


- Quand a été créée l’Association Cercle des Géotechniciens Marocains et quelles sont ses activités ?


-  L’idée de création de l’ACGM est née en février 2019. L’objectif de notre association est de créer des liens entre les géotechniciens et de promouvoir la géotechnique au Maroc. Nous sommes par exemple en ce moment en train de monter un Master avec l’École Hassania des Travaux Publics sur la conception des ouvrages géotechniques en partenariat avec des intervenants français et marocains.

- Est-il possible de faire un cursus en géotechnique dans une école marocaine ?
 
- Oui, il est possible de suivre un cursus en géotechnique au Maroc à l’Ecole Hassania des Travaux Publics (EHTP), à l’Ecole Mohammedia, ou encore à l’École des Mines de Rabat. L’EHTP, par exemple, forme des profils qui se spécialisent pendant leur troisième année en « Infrastructures de transport». Dans cette spécialité, les étudiants qui choisissent de faire leur projet de fin d’études dans le domaine géotechnique approfondissent leurs connaissances en la matière.

Cela dit, l’EHTP ne dispose pas encore de tous les modules qui sont par exemple dispensés à l’Ecole des Ponts et Chaussées en France, notamment en ce qui concerne l’interaction sol-structure.

- Le nombre de géotechniciens qui exercent au Maroc est-il suffisant ?
 
- Malheureusement, il n’y a pas suffisamment de praticiens marocains en géotechnique au niveau des grands projets de barrages ou encore d’infrastructures. À chaque demande d’intervention géotechnique, on constate qu’il y a peu de profils disponibles sur le marché.

Cela dit, il existe des géotechniciens marocains qui sont des pointures au niveau mondial, c’est le cas par exemple de M. Fahd Cuira qui est directeur scientifique de Terrasol et qui est connu pour avoir publié des articles scientifiques dans le domaine géotechnique.

Nous essayons d’ailleurs de profiter de son expertise en organisant des séminaires, à chaque fois que l’opportunité se présente et qu’il est au Maroc.

 
Recueillis par O. A.