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Actu Maroc

Espace aérien : La relative domination espagnole des cieux sahariens


Rédigé par M. ELKORRI et S. CHAHID Mardi 20 Décembre 2022

Le contrôle de l’espace aérien au-dessus du Sahara est une question épineuse entre le Maroc et l’Espagne. Elle pourrait bientôt trouver une issue.



Près d’un demi-siècle après la libération du Sahara, les questions de souveraineté opposant le Maroc à l’ancien colonisateur espagnol pourraient bientôt être réglées. C’est la promesse de la nouvelle feuille de route, annoncée conjointement par les deux Royaumes le 7 avril dernier, et qui vient clôturer des mois de tensions diplomatiques. Cette feuille de route prévoit une Réunion de Haut Niveau (RHN) entre responsables marocains et espagnols, afin de discuter de tous les sujets épineux qui empoisonnent leurs rapports.

A l’ordre du jour de cette RHN, qui devrait se tenir dans les prochaines semaines, figure la délimitation des espaces relevant de la souveraineté de chaque pays. La question de la délimitation des eaux territoriales entre le Maroc et les Îles Canaries n’a jamais été tranchée. Il en est de même pour le contrôle de l’espace aérien au-dessus du Sahara marocain.

Coopération technique

La convention de Chicago de 1944 a reconnu que “chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire”. Ce territoire inclut “les régions terrestres et les eaux territoriales y adjacentes qui se trouvent sous la souveraineté, la suzeraineté, la protection ou le mandat dudit État”. Et c’est ainsi que l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), relevant de l’ONU, a attribué à l’époque la souveraineté aérienne des territoires occupés aux pays colonisateurs, dont celle sur le Sahara à l’Espagne.

Après la récupération de nos provinces du Sud en 1975, l’OACI a décidé de laisser le contrôle aérien de la zone à l’Etat espagnol, puisque l’ONU considère ce territoire comme “non-autonome”. En théorie, cet espace aérien relève toujours des autorités espagnoles. Mais dans les faits, les choses sont plus complexes.

A une question parlementaire sur le sujet en 2017, le gouvernement de Mariano Rajoy avait affirmé que “l’Espagne est responsable de la gestion de l’espace aérien au-dessus du Sahara Occidental par décision de l’OACI”, tout en reconnaissant que “ENAIRE a signé un accord avec l’ONDA pour la coordination des mouvements d’aéronefs entre les espaces aériens, tels qu’ils existent à travers différents espaces aériens voisins, et ce, sans l’intervention des autorités de l’aviation civile des pays concernés”.

Les termes de l’accord entre ENAIRE et l’ONDA n’ont jamais été dévoilés.“ Il n’y a pas de convention internationale qui, d’une manière générale, régit ce type de cas. En revanche, il y a des accords au cas par cas qui peuvent être signés par les États concernés. Ce sont des accords provisoires qui ne règlent pas le litige mais permettent un fonctionnement ordinaire d’ici son règlement définitif ”, explique William Woll, avocat spécialisé dans le droit des espaces.

Dans le cas du ciel du Sahara, il s’agirait d’un accord de contrôle technique entre les deux établissements publics (ENAIRE et ONDA), sans implication politique, puisque “le cas d’une souveraineté partagée entre deux pays d’un même espace aérien n’existe pas. Cependant, un Etat souverain peut déléguer les services de la circulation aérienne à un autre Etat dans le cas d’une incapacité technique à assurer ces missions. C’est le cas par exemple des îles Tonga et Samoa qui ont délégué le contrôle de la navigation à la Nouvelle-Zélande”, analyse un juriste du droit aérien ayant requis l’anonymat.

Reprendre le contrôle

“Les autorisations de vols depuis les aéroports de Laâyoune, Dakhla et Es-Semara sont d’abord demandés au centre de contrôle régional de Casablanca. Puis, une autorisation complémentaire est envoyée au centre de contrôle des Îles Canaries”, nous apprend Mohamed Dagoun, contrôleur aérien à Casablanca et secrétaire général du syndicat des contrôleurs aériens du centre régional de Casablanca. Les trois aéroports sont sous juridiction marocaine, avec un code OACI “GM” relatif au Royaume du Maroc. Le partage d’information entre les contrôleurs marocains et espagnols inclut aussi bien les vols réguliers que ceux de la MINURSO ou bien d’autres vols plus occasionnels, comme ceux relatifs au rallye Dakar., Il exclut cependant les vols militaires, puisque la convention de Chicago ne s’applique pas aux “aéronefs utilisés dans des services militaires, de douane ou de police”.


Quelle proposition Rabat mettra- t-il sur la table lors de la prochaine RHN ? Interpellées par nos soins, les autorités marocaines responsables du secteur n’ont pas souhaité répondre, invoquant la confidentialité du dossier. Selon le site d’information espagnol Ok Diario, c’est un retour pur et simple de l’espace aérien sahraoui dans le giron national que souhaite le Maroc.

“Le Maroc est prêt à résoudre ce problème récurrent avec sa formule habituelle : que l’Espagne, ENAIRE en particulier, renonce à ce contrôle aérien en faveur du Royaume et de son agence de contrôle aérien, ONDA”, ont confié des sources politiques au site espagnol. “Nous nous apprêtons à reprendre le contrôle exclusif de cette zone. Et nous sommes complètement mobilisés pour le faire”, nous annonce Mohamed Dagoun.

Pour cet objectif, l’ONDA avait dès 2019 mis en place un nouveau centre de contrôle régional à Agadir. Ce centre permet à la fois de suppléer celui de Casablanca, et d’augmenter les capacités de surveillance et d’organisation des vols traversant les zones Sud du Royaume.




Mohamed ELKORRI et Soufiane CHAHID
 

Maroc - UE


Le Sahara inclus dans l’accord aérien
 
Entré en vigueur en mars 2018, l’accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre l’Union Européenne et le Maroc a fait l’objet de plusieurs tentatives de remise en cause, par des eurodéputés gagnés aux thèses du Polisario. Cet accord prévoit, entre autres, le droit illimité de voler entre l’UE et le Maroc, de survoler le territoire de l’autre partie ou d’effectuer une escale non commerciale sur le territoire de l’autre partie. Il englobe tout l’espace aérien national, y compris celui du Sahara.

Quelques semaines après l’entrée en vigueur de l’accord, un recours a été déposé par le Front Polisario auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Le 30 novembre, la CJUE a publié une ordonnance dans laquelle elle estime que le recours du Polisario est irrecevable, puisque “le requérant ne possède pas la personnalité juridique en vertu du droit interne d’un État membre”, et que “le requérant n’est pas un sujet de droit international”
 

Frontières maritimes


Bras de fer entre Rabat et Madrid
 
Si le contrôle de l’espace aérien est un sujet chaud entre les deux Royaumes, celui qui attisera le plus de débats est certainement la délimitation des frontières maritimes de la façade atlantique. Les deux médias espagnols «El Diario de Cadix» et «20 Minutos» ont révélé que, avant la prochaine Réunion de Haut Niveau entre les deux responsables des deux pays, les Espagnols ont entrepris des démarches auprès de l’ONU pour étendre leur espace maritime aux larges des îles Canaries de 296.000 km2 supplémentaires.

Madrid s’appuie pour cela sur des études océanographiques démontrant que les zones convoitées relèveraient de son plateau continental. Cette vision vient se heurter aux revendications marocaines sur les eaux au large du Sahara marocain.

En 2020, le Maroc a adopté deux textes, la loi 37.17 modifiant et complétant le dahir fixant et limitant les eaux territoriales et la loi instituant la zone économique exclusive. En vertu de ces lois, Rabat a établi ses eaux territoriales à 12 milles, délimité sa zone économique exclusive à 200 milles et décidé d’étendre son plateau continental à 350 milles. Ce territoire maritime marocain chevauche les zones revendiquées par l’Espagne. Les deux parties de cette négociation auront à mobiliser des arguments aussi bien techniques, que politiques et diplomatiques.

 

3 questions à Mohamed Dagoun


“On partage toutes les données avec les Canaries, et vice-versa”
 
Mohamed Dagoun, contrôleur aérien au centre de contrôle régional de Casablanca et secrétaire général du syndicat des contrôleurs aériens du centre régional de contrôle de la sécurité de la navigation aérienne de Casablanca, répond à nos questions.


- Jusqu’où s’étend l’espace aérien du Sahara ?


- Lorsqu’on parle d’espace aérien du Sahara, cela va de Tarfaya à Laâyoune, et horizontalement jusqu’à Tindouf. Le centre de contrôle régional de Casablanca prend en charge cette ligne jusqu’au Nord, tandis que le Sud est un espace délégué dont l’Ouest couvre les Canaries, et l’Est Nouakchott. Même verticalement, cet espace est divisé.


- Comment se fait la collaboration entre contrôleurs marocains et espagnols ?

- Les aéroports de Laâyoune, Dakhla et Es-Semara sont sous la juridiction du Maroc. Les contrôleurs sont marocains. Et les demandes d’autorisations de vols se font depuis ces aéroports vers le centre de contrôle régional de Casablanca. Ensuite, nous prenons des compléments d’autorisation des Canaries. C’est un contrôle conjoint entre le centre de contrôle régional de Casablanca et le centre de contrôle régional des Canaries, et l’aéroport en question. On partage toutes les données avec les Canaries, et vice-versa. Généralement, les vols qui s’effectuent là-bas sont des vols réguliers ou les vols des Nations-Unies, ou bien encore les vols qui suivent les Rallyes.


- Comment peut évoluer le statut de cet espace aérien ?

- C’est un espace qui a un statut spécial, donc l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) a établi cette règle depuis l’indépendance. Il y a des négociations en cours entre le ministère marocain des Affaires étrangères et les autorités espagnoles pour que le contrôle du ciel du Sahara soit du ressort exclusif du Maroc.



Recueillis par S. C.