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Sport

Entretien avec Bahia El Yahmidi, responsable de section de football féminin au club de l’AS FAR : « Assurer une vitrine pour le football féminin et le mettre en valeur »


Rédigé par Rabei Benkiran le Mercredi 2 Août 2023

​Alors que les Marocaines disputent actuellement la coupe du monde féminine de football en Australie et en Nouvelle-Zélande, nous avons pris le parti de contacter Bahia El Yahmidi, responsable de section de football féminin au club de l’ASFAR et vice-présidente de la Ligue nationale de football féminin, afin qu’elle nous révèle les secrets de réussite de ses pouliches en club et en équipe nationale. Quand on sait que Reynald Pedros s’appuie beaucoup sur ce contingent (11 joueuses sélectionnées et 7 titulaires contre la Corée) pour pousser ses joueuses à performer.



Bahia El Yahmidi, responsable de section de football féminin au club de l’AS FAR
Bahia El Yahmidi, responsable de section de football féminin au club de l’AS FAR
Mme Bahia El Yahmidi est une responsable qui travaille depuis 23 ans dans le football féminin et qui est depuis 2012 à la tête de la section féminine de football de l’AS FAR. Elle nous a accordé l’entretien qui suit.

-Quelles sont les joueuses de l’AS FAR qui brillent actuellement avec l’équipe nationale ?

-« Nous avons onze joueuses actuellement en déplacement avec le groupe qui évolue en coupe du monde. Deux d’entre elles ont signé en Arabie Saoudite, Ibtissam Jraïdi (NDLR : Al-Ahly) et Sofia Bouftini, prêtée au RS Berkane, et en partance pour l’Arabie Saoudite. Sept sont sur la liste officielle des convoquées et ont toutes joué le match contre la Corée.
Enfin, il reste deux joueuses qui ont participé à la concentration en Autriche et en Suisse, au tournoi et aux matches amicaux, mais qui ne sont pas sur la liste ».

-Quel est le secret de leur succès ?

-« Il n’y a pas de secret, il y a le travail.

Depuis 2012, nous avons réuni des filles qui jouaient dans tout le Maroc, et qui changeaient de club tous les deux ans ou tous les ans. Ce sont toutes des filles qui ont un vécu en football. Il leur manquait encore le raffinement de leur talent. 
Ici, elles ont trouvé la stabilité sur tous les plans : au niveau mental, financier, au niveau du travail (les installations sportives du club de l’AS FAR répondent à leurs besoins et sont performantes). Nous leur avons aussi assuré un avenir avec un salaire mensuel.

Avant que la fédération ne commence à payer les joueuses, elles avaient déjà un salaire au sein du club, un compte bancaire, la sécurité sociale, ce qui a encouragé beaucoup d’autres filles à rejoindre le club.

Côté formation, nous sommes l’ossature de l’équipe nationale et nous avons travaillé dans ce sens pour alimenter les équipes nationales dans toutes leurs catégories. Cela a été une réussite, puisque des filles de l’AS FAR jouent pour les U17, les U20 et les U23. Le travail ne s’est donc pas arrêté aux seniors ».

-Comment êtes-vous équipés en termes d’installations sportives ?

-« Cela constitue un autre point clé de réussite, le club a fourni l’essentiel en installations sportives, en entrainement tous les jours et parfois même deux fois par jour. Les entraîneurs ont une bonne expérience et sont très compétents, autant que nous bénéficions d’un staff complet, du médecin à l’adjoint, à l’entraîneur des gardiennes, au préparateur physique, au médecin des sports, à la kiné, et au chargé de matériel. Les joueuses trouvent tout l’équipement prêt, elles laissent leurs affaires une fois l’entraînement terminé, et une équipe s’occupe du lavage, du séchage, etc.
Nous avons des bains de glace, une infirmerie, une salle de kiné, une salle de musculation, une piscine couverte si les filles désirent nager un petit peu. Lorsqu’un club met tout cela à disposition pour ses équipes, il ne peut que réussir. Les filles ont tout ce qu’il faut ».

-Pourquoi les filles restent au club ?

-« Le président du club le général Haramou,  le président délégué M. Al Ayoubi,  (NDLR : Colonel Major Aboubakar Al-Ayoubi) et les autres ne me refusent jamais rien concernant les filles. Même au niveau du travail, lorsqu’une fille qui a le bac veut travailler, on lui trouve un travail. Si elle désire continuer ses études, nous les aidons aussi (certaines ont poursuivi leurs études au Centre Moulay Rachid des sports, et ont même passé leur master). Il y a tout ce qu’il faut, les filles n’ont pas besoin de chercher un autre club pour trouver tout cela, surtout au Maroc. Si elles doivent changer, c’est pour aller ailleurs, ce qui est le cas de Ibtissam Jraïdi et de Sofia Bouftini. Les salaires sont très tentants, et la joueuse dépassée la trentaine, cela permet d’assurer un peu plus son avenir ».


-Quel est votre modèle en termes de formation ?

-« Lorsqu’une jeune formée à l’âge de 13 ans est prête à 20/22 ans pour jouer au niveau national et pour être parmi les filles de l’équipe nationale, abandonne tout et part, je ne suis pas d’accord. Le pays doit bénéficier de tout son travail, son développement et sa formation.

Notre centre de formation compte actuellement 17 filles qui évoluent dans le club, U17 et U15. Elles bénéficient de la même chose que les garçons en sport-études. Elles sont internes, elles ont une école, elles ont des entraînements tous les jours, elles font parfois des matches contre les garçons afin d’améliorer leur niveau.

Résultat : nous avons été championnes des U17 et U15. Les U17 sont qualifiées pour la demi-finale du championnat national. Comme je l’ai dit auparavant, c’est le travail continu qui paye.

La formation des entraîneurs est aussi très importante. Toutes les filles qui sont joueuses ont leur licence D et  certaines vont passer leur licence C. Elles vont donc passer à l’entraînement, l’avenir doit être assuré dans la continuité en permettant aux filles de rester dans leur domaine, le football. Les filles sont militaires sportives et restent dans le domaine du sport. Il existe aussi une formation de préparatrice physique, il s’agit de formation continue ».

-Comment se fait-il que l’équipe féminine de l’AS FAR se balade toute seule depuis 10 ans, en championnat comme en coupe ?

-« Le travail ne s’arrête pas, chaque année des équipes souhaitent nous concurrencer, mais nous, nous ne restons pas les bras croisés entre-temps, nous renforçons aussi notre équipe. Au niveau du championnat national, le niveau reste très moyen malgré trois ou quatre équipes qui tirent leur épingle du jeu. C’est aussi pour cela qu’il manque un peu de compétitivité. Cependant, avec l’expérience des deux Champions League auxquelles elles ont participé, les filles commencent à prendre confiance, et lorsqu’il y a des rencontres importantes comme la Champions League ou la CAN, elles s’y mettent.

En coupe et en championnat, c’est la même chose, en D1, ce sont les mêmes équipes, il reste des choses à améliorer. Après, il faut se valoriser par rapport à d’autres formations. Par exemple, on peut dire que nous avons une bonne équipe, car nous avons gagné la Champions League cette année (NDLR : et une finale 4-0 contre les Sud-Africaines des Mamelodi Sundows) ».


-Comment cette compétitivité des filles de l’AS FAR se ressent-elle au niveau de l’équipe nationale ?

-« D’ailleurs, lorsqu’elles ont gagné contre la Corée du Sud, les filles ont fait preuve d’adversité après leur défaite du premier match, comme lorsqu’elles font match nul dans une rencontre de championnat et qu’elles ne l’acceptent pas. Elles donnent alors tout ce qu’elles ont lors de la confrontation qui suit, prenant ainsi leur « vengeance » sur cette équipe. La rage dont elles ont fait preuve contre la Corée m’a rappelé certains matches qu’elles ont joués ici, notamment après des matches nuls contre le Wydad ou contre Laâyoune. Pour les autres équipes, lorsqu’elles font match nul contre les FAR, c’est comme si elles gagnaient, alors que nos joueuses sortent du terrain avec la tête basse. Elles sont habituées à gagner, et le match de la Corée me l’a rappelée, surtout qu’elles se sont toutes retrouvées sur le terrain à la fin du match et après les changements. Grâce à leurs automatismes et le fait qu’elles se connaissent toutes, elles jouent plus facilement et ont des repères. C’était déjà le cas à la CAN. L’entraîneur gagne à faire jouer des joueuses qui jouent régulièrement ensemble, qui ont leurs automatismes et qui savent aller aux bois de leur adversaire, mais ce n’est pas à moi de lui dire qui mettre sur le terrain.

Concernant les filles de l’équipe nationale, non seulement le club a fait pour qu’elles progressent et que le football se développe chez elles, mais elles aussi, avec leur persévérance et leur sens de leurs responsabilités (cela fait neuf ans que nous sommes ensemble et je les considère comme mes filles). En plus des entraînements, et du programme quotidien, elles sont toutes inscrites dans des salles de sport, elles ont un programme pour compléter leur préparation, elles travaillent seules et paient un coach personnel pour être à la hauteur, c’est là leur sens des responsabilités ».


-Le championnat existe dans son nouveau format à 14 équipes depuis 2019, en quoi cela est-il bon pour le football national ?

-« Pour le nombre d’équipes, plus il y a d’équipes, plus les filles jouent de rencontres tout au long de la saison, plus elles acquièrent de l’expérience, malgré le niveau qui fluctue d’une équipe à une autre. Jouer plus de matches est une très bonne chose pour les joueuses ».

-À quand la professionnalisation du football féminin marocain ? 

-« Lorsqu’on parle de professionnalisation, il faut parler d’abord de transmission de rencontres à la télévision. Effectivement, on ne voit jamais de match féminin sur l’antenne. Ensuite, les médias doivent un peu « mettre le paquet » pour le suivi du football féminin, comme ce qu’ils font avec les garçons. Ne serait-ce qu’une fois par semaine, une émission sur le football féminin aiderait beaucoup, avec des voyages au sein des différentes villes du Maroc, où les clubs de football marocains comptent une section féminine. Cela passerait aussi avoir un salaire correct pour les joueuses, ce qui n’est pas encore le cas : le SMIC donné par la fédération aux filles n’est pas suffisant. Les clubs doivent normalement compléter le reste. Professionnalisation est un mot qui en dit beaucoup, car même pour les hommes, ce n’est pas encore du professionnalisme que nous avons. À partir de là, comment parler de professionnalisation pour les filles. Il faut donc travailler sur d’autres choses, sur la base notamment, assurer une vitrine pour le football féminin et le mettre en valeur. À ce moment-là, nous pourrons parler de professionnalisation ».

La section féminine de football du club de l’AS FAR connaît un constat de réussite globalement, même s’il reste beaucoup à faire à l’échelon national pour l’amélioration du niveau global. Maintenant, il reste à confirmer les bonnes dispositions des joueuses du club en équipe nationale, lors de la dernière confrontation de la phase de groupe contre la Colombie.








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