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Empreinte écologique : Les Marocains vivent-ils au-dessus de leurs moyens ? [INTÉGRAL]


Rédigé par Omar ASSIF Jeudi 10 Août 2023

Depuis 2008, les habitudes de consommation des Marocains sont au-dessus du seuil de renouvellement des biens et services que la Nature peut offrir durant une année.



Si les habitants de la Terre vivaient et consommaient comme le font les Marocains en 2023, les ressources naturelles que notre planète peut offrir en une année n’auraient tout simplement pas suffi. C’est en substance ce que l’on peut découvrir en parcourant les données relatives au « Jour du dépassement », publiées par le Think Tank Global Footprint Network. Avant de revenir plus en détail sur cette information, il y a lieu de préciser que le jour du dépassement a été fixé (pour la population mondiale) pour le 2 août 2023. En d’autres termes, du 1er janvier au 2 août 2023, l’humanité a consommé l’ensemble des ressources naturelles que la planète est capable de produire en un an pour régénérer ses consommations ou absorber les déchets produits, dont le dioxyde de carbone. Depuis cette date symbolique, nous vivons donc dans le rouge en entamant le capital naturel nécessaire au maintien de la vie sur Terre. Théoriquement, il faudrait donc 1.7 planète pour couvrir durablement les ressources consommées par la population mondiale durant l’année 2023.
 
Le jour du dépassement marocain
 
Revenons au Maroc. Selon les données du Global Footprint Network, à ce jour, le Royaume n’a pas encore atteint son propre jour du dépassement. Cela dit, ce seuil symbolique sera franchi le 26 novembre 2023, ce qui implique que notre pays vivra écologiquement dans le rouge durant 36 jours pour le reste de l’année. Un constat certes perturbant, mais le Maroc est loin d’être le cancre de la classe dans ce domaine : si tous les humains vivaient comme les habitants du Qatar, du Luxembourg ou du Bahreïn, il ne faudrait pas moins de 7 à 8 planètes pour suffire à couvrir durablement leurs besoins en ressources naturelles. « La planète Terre n’est pas infinie et encore moins extensible ou rechargeable. Les ressources naturelles et les services écosystémiques qu’elle produit sont issus de cycles naturels qui fluctuent chaque année, mais qui, surtout, ont des limites à leur caractère renouvelable », explique Houcine Nibani, expert en environnement et président de l’Association de Gestion Intégrée des Ressources (AGIR).
 
2008, année d’inflexion
 
En dépouillant les données du Global Footprint Network, on peut ainsi découvrir que les Marocains vivaient en dessous du seuil de dépassement écologique jusqu’en 2008. À partir de cette date, la courbe (du nombre de planètes qu’il faudrait à la population mondiale si elle consommait les ressources naturelles au rythme des Marocains) est passée de 1.03 en 2009 à 1.16 en 2019. Durant l’année 2020, le Maroc revient à la limite de durabilité : 1 planète pour la population mondiale qui aurait consommé comme les Marocains durant la crise sanitaire. Dès 2022, la reprise économique a été également synonyme du retour à la tendance au dépassement pour notre pays. « L’évolution du jour de dépassement est un indicateur important que les Marocains ne doivent pas perdre des yeux puisqu’il s’agit d’un tableau de bord de la réalité de l’engagement national pour le développement durable », suggère notre interlocuteur. « N’oublions pas qu’en 1961, si la population mondiale avait consommé comme les Marocains de l’époque, les ressources naturelles d’un quart de la planète Terre auraient largement suffi à tous », poursuit la même source.

Une tendance inquiétante

« Au début des années 1970, la tendance mondiale au dépassement a débuté puis le phénomène d’accentuation de ce dépassement s’est depuis continuellement intensifié », poursuit la même source, expliquant que l’évolution négative de cet indicateur est « inquiétante par sa constance ». Dans une publication du Fonds Mondial pour la Nature (WWF), on peut lire que « si cette année, la date du Jour du dépassement a reculé de 5 jours par rapport à l'année dernière, les avancées réelles représentent toutefois moins d'un jour. Les quatre jours restants sont dus à l'intégration d'ensembles de données améliorés dans la nouvelle édition des comptes ». D’autre part, et depuis quelques années déjà, les ONG environnementales ne cessent de pointer l’importance de communiquer autour du jour de dépassement. « Il est nécessaire de se rappeler cette date chaque année afin que nous puissions réaliser à quel point les activités humaines sont nocives pour la nature », affirme une publication de Greenpeace.
 

3 questions à Houcine Nibani « Notre pays est mieux logé que plusieurs autres nations de la région »

Expert en environnement et président de l’Association de Gestion Intégrée des Ressources (AGIR), Houcine Nibani répond à nos questions sur le jour du dépassement au Maroc.

Le fait que le jour du dépassement pour le Maroc soit en novembre, est-il une mauvaise nouvelle ?

Forcément. Cela fait du Maroc un pays où l’empreinte écologique des habitants n’est pas durable si on la projette au niveau mondial. Cela dit, il faut tout de même relativiser puisque notre pays est mieux logé que plusieurs autres nations de la région. Le jour du dépassement pour la Mauritanie est par exemple prévu pour le 18 août 2023, et celui de l’Algérie pour le 4 septembre 2023. D’un autre côté, il faut tenir compte de certaines spécificités du calcul du jour du dépassement qui sont plus liées à des aspects comme l’importation qu’au réel gaspillage des ressources naturelles. C’est ce qui explique par exemple le cas de la Mauritanie qui n’est pourtant pas connue pour être un pays de pollution ou de gaspillage des ressources.

Quelle est la grille de lecture que nous pouvons appliquer au jour de dépassement comme indicateur pour l’aide à la décision au Maroc ?

Le positionnement du Maroc dans la liste des jours du dépassement confirme bien évidemment qu’il faut encore beaucoup d’effort pour diminuer notre impact sur l’environnement et pour réellement mettre en œuvre un développement durable. Mais ce même positionnement confirme également le choix judicieux de notre pays d’investir dans des chantiers comme le développement des énergies renouvelables ou encore d’œuvrer pour avoir plus de souveraineté en termes de production de nos propres besoins, notamment dans le domaine agricole et alimentaire.

Comment le Maroc pourrait-il améliorer son positionnement dans ce classement ?

Ce n’est pas une affaire gagnée d’avance, surtout que les modes de vie et de consommation des Marocains ont résolument changé, surtout dans les grandes villes. Il est cependant possible de continuer sur la dynamique entamée en matière de développement durable, de décarbonisation et de protection de l’environnement. D’autre part, il ne faut pas uniquement essayer de diminuer notre consommation des ressources naturelles. Il existe un autre levier beaucoup plus important : faire les efforts nécessaires pour augmenter la disponibilité des ressources naturelles et des services écosystémiques. Cela passe impérativement par la protection de la biodiversité et des habitats naturels terrestres et maritimes, car ce sont finalement eux les fournisseurs de nos biens et de notre bien-être.

Monde : Dette écologique en inflation, gare au dépôt de bilan !

Chaque année, la date du jour du dépassement de la Terre est calculée en comparant la consommation annuelle de l’humanité en ressources écologiques (empreinte écologique) à la capacité de régénération de la Terre (biocapacité). Les indicateurs de l’empreinte écologique et de la biocapacité, eux, sont calculés sur la base des Comptes Nationaux d’Empreinte qui sont produits chaque année en utilisant les dernières données publiées par les Nations Unies (2019 pour l’édition 2023). L’empreinte écologique et la biocapacité sont alors « actualisées » à l’année en cours en incorporant notamment les dernières données du Global Carbon Project.

Afin de prendre en compte les toutes dernières données et conclusions admises par la science, Global Footprint Network recalcule chaque année la date du jour du dépassement de la Terre pour chacune des années passées depuis que le déficit écologique a commencé à se creuser au début des années 1970 et que l’humanité semble se diriger vers une probable insolvabilité écologique.

L’info...Graphie


Les solutions : Réinventer notre modernité pour ne pas perdre notre futur

Si rien n’est fait, il est possible que le crédit écologique des habitants de la planète devienne insolvable, ce qui équivaut à une condamnation à la famine, voire à la disparition. Les solutions proposées par les experts ressemblent cependant à des calculs d’épicier, à coup de jour gagné dans le calendrier de dépassement. Les pistes proposées vont dans tous les sens : diminution de la consommation de la viande et du gaspillage alimentaire, transition de l’agriculture vers l’agroécologie ou encore la mise en place de solutions fondées sur la nature. « C’est un casse-tête qui est comparable au triptyque adaptation, résilience et atténuation avec lequel il faut désormais composer pour faire face au changement climatique. Sauf que par rapport au concept de jour du dépassement, il est plus question de trouver l’équilibre entre l’offre de bien et de service de la part de la Nature (fournisseur) et la demande et consommation et de consumérisme de la part de la population humaine (client mauvais payeur) », explique Houcine Nibani qui estime que les Marocains sont pourtant mieux lotis dans cette équation. « La profondeur historique et la richesse patrimoniale de notre pays ont fait que les Marocains disposent depuis des millénaires de la formule magique pour vivre en harmonie avec la Nature. Ce qu’il faudrait maintenant est de troquer la « Mac Donaldisation » faussement synonyme de réussite, contre le meilleur de notre patrimoine et de nos traditions. Il faudrait tout simplement réinventer notre modernité pour ne pas perdre notre futur », conclut Houcine Nibani.



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