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Culture

Ecriture et infini : La mystique en littérature pour l’amour de soi et de l’autre


Rédigé par Abdelouahed HAJJI le Mercredi 29 Juin 2022

Atmane Bissani s’est fixé comme objectif de déconstruire les visions folkloriques et simplistes liées aux mystiques. Il s’agit notamment de révéler l’apport de la mystique sur la littérature.



La notion de la « mystique » renvoie à un champ interdisciplinaire : celui des auteurs soufis de la tradition orientale et les poètes spirituels de la tradition occidentale. Il ne s’agit pas ainsi d’un champ réservé à la théologie, d’autant plus qu’il apparaît, comme l’explique Atmane Bissani, comme une langue mystérieuse de l’amour qui parcourt les siècles, les pays et les croyances. C’est surtout une mystique nietzschéenne qui ne se réduit pas à une dimension religieuse comme le montrent les oeuvres soumises à l’analyse d’Abdelwahab Meddeb, de Juan Goytisolo, de Driss Chraïbi, d’Abdelkébir Khatibi et de Zakia Zouanat.

L’auteur opère un dialogue perspectiviste avec un héritage des Renaissances de l’Orient et de l’Occident avec une approche interdisciplinaire ; il est conscient que l’interdisciplinarité peut révéler l’essence d’une « chose ». Dans cette optique, Atmane Bissani rappelle avec justesse qu’il n’y a pas une « connaissance qui puisse se traduire pleinement sans passer par l’expérience du lien, de la relation, du contact ». Une telle vision peut libérer l’imaginaire soufi et mystique de l’orthodoxie religieuse, ce qui l’ouvre aux différents horizons. Les mystiques optent pour le nomadisme en vue d’obtenir un dépassement de soi, c’est-à-dire de l’égocentrisme pour faire régner la tradition du « Xvarnah », soit la lumière divine.

Atmane Bissani montre qu’il y a chez ces auteurs un penchant pour la Weltliteratur, où chaque langue parle les autres et où chaque culture ne réprimande aucune autre puisque il n’y a pas une culture pure et originale. Autrement dit, toute culture est habitée par d’autres cultures. Les Awliyâ Allâh sont en quête de la lumière divine à travers la présence humaine. La contemplation de l’image de la femme à titre d’exemple leur octroie la vision théophanique.

C’est dans cette perspective qu’Abdelwahab Meddeb essaie d’examiner dans son oeuvre, Phantasia - comme présence de la chose en l’absence de sa matière (Al Kindi) - à travers le recours à la figure épiphanique, Aya. Ce roman est tributaire de l’héritage soufi. Le personnage-narrateur établit des rapports avec cette figure épiphanique en vue d’atteindre la lumière divine. Mais aussi une stratégie de rapprochement des cultures à travers le recours à des thématiques du rêve, de l’illusion, de la présence-absence, etc. Le personnage-narrateur est partagé entre plusieurs cultures et il incarne ainsi ce que Meddeb appelle la « double généalogie », une façon de déconstruire la « maison du dogme ».

Barzakh de Juan Goytisolo est le deuxième roman analysé par l’auteur en raison de sa dimension mystique omniprésente. Il souligne dès l’abord que ce roman fait de la mort une expérience mystique dans un style « sépulcral ». En créant une confusion entre l’imagination et la réalité, Goytisolo introduit son personnage dans un monde de transe, lequel lui permet de rencontrer son amie morte et qui lui « fait découvrir les dédales de l’au-delà ». Comme Phantasia, le rêve permet au narrateur de Barzakh de vivre l’expérience de la transe à travers le déchirement de barzakh qui sépare l’ici-bas de l’au-delà. La mystique est au fond une réaction « aimante » vis-à-vis de la haine et de la réduction de la religion au dogme.

C’est dans ce sens qu’Atmane Bissani tente de rappeler l’islam des origines à travers l’analyse abyssale de l’oeuvre de Driss Chraïbi, L’Homme du livre. Pour Atmane Bissani, le roman de Chraïbi est animé par l’appel de la mystique. Il rappelle justement que l’ «islam est une tradition mystiquement pensante ». C’est dire que l’islam en tant que tradition spirituelle pourrait faire face au désastre. Pour reprendre la formule de Hölderlin, « Là où le péril croît, grandit ce qui sauve ».

La mystique peut réhabiliter la dimension humaine de l’Homme

Pour Atmane Bissani, l’amitié est profondément une expérience mystique et aimante. Il a analysé manifestement le thème de l’amitié dans l’oeuvre d’Abdelkébir Khatibi, auteur qui a fait de l’aimance un concept phare et une stratégie pour déconstruire l’intolérance. Ayant réhabilité ce concept de la tradition courtoise du Moyen Age, Khatibi fait partie de cette tribu des écrivains mystiques. L’amitié s’avère ainsi un exercice de l’altérité lorsqu’elle se place sous le signe de l’aimance. Celle-ci, comme attachement et détachement vis-à-vis de l’autre, facilite le passage entre l’amour et l’amitié.

La mystique incarne ainsi un visage lumineux de l’islam et des autres traditions religieuses. Chez ces écrivains proposés à l’analyse, les personnages sont souvent prédisposés à l’exil, à l’anéantissement (fanâ) et à l’amour inconditionnel à l’égard de l’Aimé, Dieu ; en bref, toute la littérature soufie est hantée par un registre amoureux. Il s’agit principalement d’une tradition de la reconnaissance et de l’amour. Ibn Arabi dit dans cette perspective : « L’Amour est ma religion et ma foi ».
 



Abdelouahed HAJJI
Université Sidi Mohamed Ben Abdellah

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Atmane Bissani :
Ecriture et infini. Essais sur la mystique en littérature - Editions Sagacita



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