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Economie : Folle escalade de la dette publique


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mardi 19 Juillet 2022

Le Haut-Commissariat au Plan prévoit une augmentation de la dette publique dans les deux prochaines années, dont le niveau est jugé inquiétant. Avis d’experts.



La Loi des Finances permet au gouvernement de faire des sorties à l’international, pour combler le besoin de financement estimé à 40 MMDH. Le Royaume n’écarte pas cette possibilité sachant que, jusqu’à présent, le pays demeure attentif aux marchés financiers et négocie une nouvelle ligne de crédit modulable auprès du FMI, selon les dires du patron de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri. Le Royaume semble attendre le moment opportun pour lever les fonds dont il a besoin. Actuellement, le niveau d’endettement du pays est important.

Comme en témoigne le dernier rapport du Haut-Commissariat au Plan (HCP), où il est marqué que la dette publique (taux d’endettement global), devrait franchir le cap de 83% en 2022, et culminer l’année suivante à 83,6%, sachant qu’elle était à 82,5% en 2021. Le Département d’Ahmed Lahlimi prévoit « une accentuation du besoin de financement », vu la pression à laquelle sont soumises les caisses de l’Etat. D’où le recours au marché international, jugé « indispensable », pour éviter une pression sur les liquidités domestiques.

Plusieurs facteurs poussent à ce qui s’apparente à une « fatalité ». D’abord, la hausse des dépenses courantes de l’Etat liée à la hausse du budget de compensation (qui va culminer à 2,5% du PIB au lieu de la moyenne de 1,4%) et aux dépenses imprévues comme les subventions accordées aux transporteurs et le plan d’urgence pour pallier les effets de la sécheresse. Ce à quoi s’ajoute le maintien des dépenses d’investissement qui vont s’accroître de près de 8,5% pour atteindre 26,2% du PIB en 2022. Par conséquent, le déficit budgétaire ne sera pas en dessous de 5,5%.

Niveau d’endettement inquiétant

« Evidemment qu’il s’agit d’un problème sérieux », juge l’économiste Mohammed Rahj, fiscaliste et expert en finances publiques, selon lequel la légitimité du recours à l’endettement extérieur ne se pose pas du moment que la Loi des Finances autorise le gouvernement à le faire.

Selon l’expert, le plus important c’est la soutenabilité de la dette et notamment son coût. Comme une grande partie de la dette marocaine est libellée en dollar, le pays devrait la rembourser de manière plus onéreuse, compte tenu de l’appréciation de la monnaie américaine ces derniers mois.

Force est de rappeler que le dollar s’est apprécié de sorte qu’il est devenu à parité avec l’Euro. « Il y a deux ans, il fallait près de 9 dirhams pour un dollar, maintenant nous sommes à 10,4 dirhams, ceci pose problème », estime notre interlocuteur, rappelant que la dette du Trésor, par exemple, est libellée en dollar à hauteur du tiers. « La hausse de la facture de la dette ne manquerait pas d’impacter le stock de devises, qu’il faut promouvoir en exportant plus », reprend l’expert.

Selon M. Rahj, il faut d’autant plus s’inquiéter que le coût de la dette aurait tendance à augmenter compte tenu de la hausse des taux sur les marchés internationaux. Raison pour laquelle l’économiste se montre plus favorable au recours aux institutions financières, le cas échéant. « En tout cas, nous avons les mains liées, nous attendons avec impatience ce que vont annoncer les autorités compétentes », ajoute-t-il doctement.

Croissance trop faible pour supporter la charge de la dette

De son côté, Omar Kettani, économiste et professeur à l’Université Mohammed V à Rabat, estime que la proportion de la dette est telle qu’il faut plus de vingt ans pour la rembourser si on prend en compte la faible valeur ajoutée engendrée par l’économie nationale (en moyenne 3% du PIB). « Si on divise le niveau de la dette sur la valeur ajoutée, ça nous donne vingt ans de remboursement », explique notre interlocuteur.

Selon lui, le fait que l’Etat s’endette pour financer les besoins de fonctionnement est « grave ». « Tout endettement doit être orienté vers l’investissement et doit, de préférence, être contracté à moyen terme », poursuit M. Kettani, qui se pose la question de l’efficacité de l’investissement, dont les retombées seraient trop faibles pour assurer la solvabilité durable des finances publiques, c’est-à-dire un paiement pérenne des charges de la dette.

« Si le niveau de croissance demeure aussi faible qu’aujourd’hui, et s’il y a d’autres crises au futur, il est probable que l’endettement se creuse », ajoute l’économiste, qui plaide pour un taux de croissance de 6% pour pouvoir rester à l’abri du cercle vicieux qui consiste à s’endetter pour rembourser les dettes précédentes.

Or, la capacité de l’investissement à propulser la machine de la croissance est remise en doute par les chiffres. Notre économie investit 30% du PIB, un niveau jugé très élevé et au-dessus de la moyenne mondiale. Pourtant, les retombées sur la croissance sont faibles. Par conséquent, s’endetter pour investir dans des projets peu productifs s’avère inutile, voire dangereux si on réalise les conséquences de cela à long terme.

À court terme, le Maroc est confronté à des perspectives pessimistes en termes de croissance. La conjugaison de la sécheresse, de l’inflation et des répercussions de la guerre russo-ukrainienne a contrecarré les espérances du gouvernement qui tablait sur 3,2% cette année. Hélas, dans les meilleurs des cas, on se contentera de 1,1%, selon les chiffres du HCP qui prévoit un taux de 3,9% en 2023.
 




Anass MACHLOUKH

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Economie : Folle escalade de la dette publique

Croissance


La crise réduit à néant les efforts du Maroc
 
« La crise a fait perdre au Maroc deux ans et demi de croissance », tel est le constat livré par le Haut-Commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, lors de sa récente sortie médiatique lors de laquelle il s’est prononcé sur les perspectives de l’économie marocaine.

En effet, la crise du Covid-19 et les effets de l’inflation ont été tellement durs que leurs conséquences ont fait perdre au Maroc deux années et demi de croissance. Le patron du HCP a livré un constat encore plus alarmant : selon lui, le Royaume a perdu trois ans de lutte contre la pauvreté. La crise actuelle, fruit d’une conjonction de plusieurs calamités (Covid-19, inflation mondiale, guerre en Ukraine…) a réduit à néant tous les efforts consentis par le Maroc pour la réduction des inégalités sociales.

« L’impact de la crise sur les classes riches est beaucoup moins important que sur les classes moyennes et populaires. Ces trois dernières années ont effacé tous les efforts de réduction des inégalités au fil des deux dernières décennies », a regretté M. Lahlimi, soulignant que notre pays est revenu au niveau des inégalités des années 2000. Selon lui, les 20% les plus riches n’ont pas autant pâti de l’inflation actuelle que les 20% les plus pauvres. Ces derniers ont dû réduire leurs dépenses vu la hausse des produits de première nécessité.

 

FMI et marchés financiers


Quel est le meilleur scénario ?
 
Pour se financer à l’international, le Maroc a deux choix : recourir aux marchés financiers internationaux ou faire appel au Fonds Monétaire International. L’option la plus accommodante pour le Royaume serait l’instance de Bretton Woods, selon Mohammed Rahj, qui justifie ce choix par les assurances que peuvent donner de telles institutions qui sont meilleures que celles des marchés financiers. « Les conditions d’emprunt dans des marchés financiers sont difficiles actuellement », estime l’économiste, qui rappelle la hausse des taux d’intérêt.

En réalité, compte tenu de l’envolée inflationniste, les banques centrales des grands pôles financiers ont jugé judicieux d’augmenter ces taux, c’est le cas de la FED et de la BCE. Ces dernières ont augmenté respectivement leurs taux directeurs de 1% et 0,25%. Ceci entraînera inéluctablement la hausse du coût de toute dette extérieure. Le Maroc, rappelons-le, négocie depuis des années une ligne de crédit modulable sachant qu’il a usé de celle qu’il a obtenue en 2012, et ce, pour faire face aux effets de la pandémie.

Le tiers de ce montant, rappelons-le, a été remboursé par anticipation. Les autorités monétaires sont en discussion avec le FMI pour obtenir une nouvelle formule de financement, appelée Ligne de Crédit Modulable. Ce mécanisme de financement est réputé pour sa souplesse et assure aux pays éligibles l’accès immédiat à un montant élevé de ressources du FMI sans conditionnalité continue. Concernant le recours probable au FMI, M. Kettani se montre réticent parce qu’il considère que l’esprit du FMI veut que l’Etat demandeur reste endetté à coups de conditionnalité.

« Lorsqu’on négocie un emprunt, on est toujours en position de faiblesse et cela coûte l’indépendance de la décision », clarifie l’expert, ajoutant que le Maroc a commencé à s’endetter depuis les années 70 sans pour autant réussir à s’en affranchir.

M. Rahj craint également que le FMI impose, en échange de la nouvelle ligne de crédit, des conditions difficilement supportables. Ce qui est connu pour le moment, c’est que le Maroc compte lever près de 20 milliards de dirhams auprès des institutions financières et le reste auprès des marchés. Mais tout dépend de la décision finale des autorités monétaires nationales.

 

Trois questions à Mehdi Fakir

Economie : Folle escalade de la dette publique

« La dette des institutions financières est plus rassurante que celle des marchés »
 
La dette publique du Maroc est désormais à 83,3% du PIB. A ce stade, elle suscite des questions autour de sa répercussion sur l’économie nationale. Mehdi Fakir, économiste de renom, livre son analyse et ses recommandations.

- La dette publique du Maroc s’élève à 83,3% du PIB, est-ce un niveau préoccupant, selon vous ?


- Oui, bien sûr. L’inquiétude existe. La crainte demeure concernant la soutenabilité de la dette, car ses services ont augmenté, et ceci coïncide avec une conjoncture où le Maroc s’apprête à s’endetter davantage. Je prévois qu’en procédant ainsi, on devrait dépasser les 83,3% et frôler les 100% du PIB dans pas longtemps. - Le Maroc aurait deux options pour contracter un nouvel emprunt, soit le Fonds Monétaire International (FMI), soit les marchés financiers.


- Quel scénario préconisez-vous ?

- Selon moi, c’est pareil. La dette institutionnelle s’affiche plus rassurante (en référence au FMI), mais la conjoncture des marchés internationaux est rude, en témoigne la situation en Tunisie qui y a recouru et a perdu 40% de sa note souveraine. Pour moi, la dette institutionnelle est meilleure que celle des marchés financiers internationaux, dont elle repose sur une marge de risque avec un taux enclin à flamber, même si le Maroc est un pays sûr. En outre, les emprunts depuis les marchés financiers sont toujours plus coûteux à honorer par rapport à ceux du FMI.


- Le Maroc est engagé dans une politique de relance, pensez-vous que ces dépenses, outre l’inflation et les répercussions de la guerre en Ukraine, puissent contraindre l’Etat à envisager une politique d’austérité ?

- Je crois que c’est imminent. L’Etat n’a pas beaucoup de choix. A vrai dire, le gouvernement semble résilient, preuve en est le maintien du taux directeur à 1,50%, et les subventions des produits de première nécessité aussi, et des aides à plusieurs acteurs économiques. Cependant, de telles aides et subventions ne peuvent durer dans le temps, donc il va falloir repenser le modèle de développement, et le gouvernement devra être plus pragmatique et réaliste, tenant compte de la menace de défaillance à laquelle 69 pays font face aujourd’hui.



Propos recueillis par Mohammed ELKORRI