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Docteur Abdelmalek Faraj: L’histoire méconnue d’un pionnier de la médecine moderne au Maroc

Portrait/Histoire


Rédigé par Allal Amraoui Dimanche 14 Juin 2020

"Quand le passé n'éclaire plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres", Alexis de Tocqueville.



En cet épisode sanitaire inédit, notre pays, au même titre que les autres nations, fait face à des questionnements multiples, à des remises en questions de notre système de santé, ses acquis historiques et ses insuffisances actuelles et futures, un moment difficile certes, mais particulier où notre pays est en cours de réflexion sur un nouveau modèle de développement, avec l’espoir d’élaborer un modèle de santé adapté à nos réalités socio-économiques, démographiques, épidémiologiques et culturelles.

Pour cela, il peut être nécessaire de nous appuyer sur notre histoire pour prendre du recul sur la période que nous vivons, pourquoi pas nous éclairer sur l’essentiel, et trouver l’inspiration et la continuité d'une existence individuelle et collective inscrite dans le temps. Comprendre et connaitre le passé et ses personnages nous permet de renforcer nos racines, contribuer à reconstruire le savoir et ses fondamentaux, en plus de notre devoir de mémoire envers nos anciens, qui ont posé les fondations de l’édifice sanitaire marocain, et participé au rêve de la construction d’un système de santé marocain.
 
Peut-on réellement réaliser cet exercice, en l’occurrence admettre de gérer, pratiquer, enseigner la médecine au Maroc, imaginer la santé, sans penser au fondateur de la politique de santé, au pionnier de la prévention, de la veille sanitaire, de la formation médicale, de la santé publique au sens juste du terme…Dr Abdelmalek Faraj a été le pionnier marocain de la médecine moderne au Maroc. Il fut le 1er médecin marocain de l’ère moderne, 1er ministre de la Santé du Maroc indépendant, 1er directeur marocain de l’Institut nationale d’hygiène (INH), Fondateur et 1er doyen de la Faculté de médecine au Maroc…La médecine pour ce grand médecin a été une vocation première, unique et exclusive. De la lecture de son parcours, on reste impressionné par la passion avec laquelle il s'y est adonné, durant sa pratique citoyenne.


Natif de Fès, quatre ans avant la signature du protectorat, le 27 mars 1906, Abdelmalek Faraj devient orphelin à sa naissance après la mort de son père du Typhus, maladie endémique à cette époque. Après des études secondaires au lycée musulman de Fès, il obtient à Paris son baccalauréat le 11 juillet 1928, et pour lui, il n’y a aucun doute, sa vocation est claire, il veut devenir médecin. Il intègre la Faculté de médecine de Paris, où il est diplômé en juin 1935, après avoir soutenu sa thèse de doctorat sur le thème "les relations médicales hispano-maghrébines au XIIe siècle". Le choix de ce thème est en lui-même, à mon avis, le témoignage de convictions patriotiques et culturelles, un acte de résistance, à un moment où son identité nationale était tout simplement menacée par le protectorat. Cela ne parait pas  évident dans les années trente du siècle dernier, pour un marocain de faire le lien avec le passé, et de mettre en avant l’histoire de la médecine arabo-andalouse, qui reste peu connue du public et parfois même dans l’esprit du monde savant, alors qu’elle a servi de base à la médecine occidentale à l’époque de la Renaissance.

Dr Faraj restera habité et fasciné, toute sa carrière, par les travaux et le parcours du médecin andalou Ibn Zohr (Avenzoar). Son mérite a été double puisque cette thèse lui vaudra tout de même la médaille de bronze, décernée par la Faculté de médecine de Paris.
 
Sa carrière de médecin débute la même année au Maroc en 1935, où il démarre rapidement des actions de soutien destinées aux populations démunies et des zones rurales, pour lesquelles l’accès aux services de soins reste difficile, voire inexistant, il est affecté à une mission contre le paludisme dans le Gharb. L’année d’après, il effectue des consultations dans la région de Taza suite à son affectation au Groupe sanitaire mobile, où il effectuera pendant huit ans des consultations dans des infirmeries de Talmest, Bni Lent, Oued Amlil, Bab Mrouj, Kehf El ghar, et parfois même Maghraoua. L’essentiel de son travail est la lutte contre les épidémies de Typhus et de Variole, avec des moyens de travail rudimentaires. Après une année passée à Casablanca luttant contre les maladies infectieuses récurrentes, il prend la fonction de médecin traitant à l’hôpital nommé aujourd’hui Ibn Tofail de Marrakech où il passe six ans. Durant cette période, il se rend toutes les semaines au dispensaire Amerchiche pour la lutte contre les épidémies, ce qui était l’essentiel de sa carrière. Enfin en 1951, après 17 ans de pratique de santé publique continue, on lui confie la responsabilité du dispensaire de Sidi Fatah à Rabat, où exerçaient une vingtaine de médecins, français pour la plupart.
 
Durant toute cette période du protectorat, ses relations avec ses supérieurs hiérarchiques étaient contrastées, certains ne pouvaient pas ne pas reconnaitre en lui l’ardeur au travail et la compétence, tandis que d’autres le soupçonnaient d’utiliser son métier de médecin à des fins politiques. D’ailleurs la résidence générale en 1953 a tenté de le radier de l’administration de la santé, afin de l’arrêter en raison de ses affinités istiqlaliennes.
 
Après le retour d'exil du Roi Mohammed V, et l’indépendance du Royaume du Maroc, le Dr Faraj est nommé ministre de la Santé Publique, sous l'autorité des premiers ministres, M'barek Bekkai, puis Ahmed Balafrej. Il avait pour mission première, de mener à bien la marocanisation du secteur de la santé, il se fait alors entourer d’autres médecins marocains, Mohammed Benhima, Abdelkader Laraki et Larbi Chraibi. Il entame sous les orientations de feu SM Mohammed V, ce qui va être le système national de santé pendant un demi-siècle, traduisant les fondamentaux d’une politique de santé publique, à savoir « la santé de la nation incombe à l’état » et que « Le Ministère de la santé publique doit en assurer la conception et la réalisation » proclamés après la première conférence nationale sur la santé organisée en avril 1959. Dès sa genèse, la politique nationale de santé publique était fondée sur l'approche de la prévention de la maladie, c’est alors le début de la mise en place des infrastructures de base, la nationalisation des ressources et la lutte contre les épidémies. Des choix qui vont nous valoir par la suite, avec très peu de moyens, une évolution favorable, en termes de taux brut de mortalité, d’espérance de vie et la quasi éradication des maladies cibles de la vaccination et des maladies infectieuses.
 
Dans les circonstances difficiles actuelles, nous nous abstiendrons d’ironiser sur le développement de la médecine moderne vers plus de technicité et de performance. Notre génération médicalement privilégiée, par rapport aux multiples générations qui se sont relayées à la surface de la terre, étourdies par un sentiment de surpuissance, et croyant que nous avions fini avec les épidémies, nous nous retrouvons réduits aujourd’hui à puiser dans tout l’arsenal traditionnel des mesures de protection individuelles et d’hygiène corporelle simples et élémentaires.

En 1959, Dr Faraj n’étant plus ministre, va poursuivre son œuvre et l’essentiel de son travail, à savoir la lutte contre les épidémies et l’amélioration de l’hygiène du milieu de vie des marocains. Il va diriger l'Institut nationale d’Hygiène, prenant en charge les problèmes d’hygiène et d’épidémiologie des maladies transmissibles du Maroc et diffuser les notions élémentaires de l’hygiène et de la prophylaxie pour protéger la santé de la population. Cet organisme incontournable dans l’échiquier sanitaire national, continue jusqu’à aujourd’hui à assurer l’appui technique et scientifique des différents programmes de santé publique, à animer le réseau national des laboratoires de santé publique, contribuer à la formation dans les domaines relevant de ses compétences et à la réalisation d’études et travaux de recherches en santé en partenariat avec des organismes nationaux et internationaux.
 
En 1962, il assume la lourde responsabilité de contribuer activement à la création de la première faculté de médecine marocaine, dont il va être le doyen jusqu'à sa retraite en mars 1970, il déclarera que la mission de création de cette faculté lui a parue comme la plus délicate, tout au long de son existence, pourtant si riche. L’enjeu pour lui était de fonder une faculté responsable ancrée dans son environnement, dans le cadre d’un système de santé ayant comme base les soins de santé primaires, car il fallait anticiper les besoins en santé des marocains.
 
Pour cela, il va s’appuyer sur des professeurs chevronnés français, mais assistés par une équipe plus jeune d’enseignants parmi lesquels figurent en première ligne Alami Taya, Belmahi, Benchekroun, Berbich, Charbit, Daoudi, Laraki, Maaouni et Ramzi.
 
Et c’est bien plus tard que cette responsabilité sociale des facultés de médecine, celle de répondre aux besoins prioritaires en matière de santé des collectivités qu’elles desservent, valeurs que portaient dèja le Docteur Faraj, et son équipe, vont être définies par  l’OMS en 1995 comme étant «L’obligation d’orienter la formation qu’elles donnent, les recherches qu’elles poursuivent et les services qu’elles dispensent, vers les principaux problèmes de santé de la communauté, région et/ou nation qu’elles ont comme mandat de desservir. Les principaux problèmes de santé seront identifiés conjointement par les gouvernements, les organismes, les professionnels de santé et le public».
 
Parti en retraite en 1970, le Médecin va vaquer à ses occupations médicales qu’il n’aura jamais quitté, à savoir exercer son métier au chevet des populations démunies, jusqu’au 10 juillet 1971, où il devait connaitre à l’occasion du drame de Skhirat, une mort héroïque en insistant à porter assistance à un blessé, qui était parmi les invités, on le somme de s’éloigner  et de ne pas soigner le blessé, le médecin qu’il a toujours été, refuse et dit «je suis médecin», et c’est tout naturellement qu’il refuse malgré la menace d’une arme automatique, qui allait l’abattre. Le convive blessé, médecin français renommé, survécu grâce à l’intervention du défunt héros.
 
Il me tenait personnellement à cœur, depuis longtemps, encore plus en ces moments de crise sanitaire mondiale, et de réflexion autour de notre système de santé national, d’évoquer, le parcours de ce personnage malheureusement méconnu pour la plupart, l’occasion de rappeler qu’avant on rentrait en faculté de médecine par vocation, par amour à un métier, par besoin de proximité et de servir ses concitoyens, bref par la foi dans un service public.
 
En hommage à ce grand homme, qui était médecin, au sens le plus noble de ce redoutable métier, pour le pire et le meilleur, pour la vie et pour la mort, un homme qui a poussé son abnégation au travail et son dévouement à l’extrême.

Allal Amraoui, 
chirurgien et député Istiqlalien








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