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Démographie: L’infertilité, un tabou difficile à briser au Maroc


Rédigé par A. CHANNAJE Jeudi 10 Juin 2021

Touchant plus de 850.000 couples, l’infertilité demeure un sujet tabou au Maroc. L’accès aux soins thérapeutiques contre ce fléau est jugé encore insuffisamment démocratisé.



Démographie: L’infertilité, un tabou difficile à briser au Maroc
L ’infertilité touche plus de 850.000 couples marocains. C’est ce qui ressort d’une étude de perception intitulée : « Les pouvoirs publics et les professionnels de la santé face à l’infertilité ».

Réalisée par le Think Tank Radius, à travers son laboratoire Global Santé, cette étude, menée du 02 février au 24 novembre 2020, avait pour finalité de recueillir l’avis des parties prenantes (médecins, CHU, agences de régulation, ministère, association de patients, etc.) sur l’état des lieux de la gestion de l’infertilité au Maroc, et de collecter leurs principales recommandations pour améliorer la prise en charge de cette maladie, sur le plan médical, sanitaire, social et économique.

« Nous souhaitions mettre en lumière un sujet qui touche de nombreuses familles marocaines, souvent en souffrance, non pas seulement pour des raisons médicales mais aussi sociales et psychologiques. Le sujet préoccupe aussi bien les autorités que les praticiens. Avoir leurs avis et leurs recommandations est une manière de mettre ce sujet tabou un peu sous les projecteurs », précise Hatim Benjelloun, Fondateur du Think Tank Radius.

Réalisée en partenariat avec l’Association MAPA (Marocaines des Aspirants à la Maternité et à la Paternité), l’étude montre que plus de 850.000 couples souffrent d’infertilité au Maroc. Elle révèle aussi qu’une grande majorité des couples marocains perçoivent l’infertilité et l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) comme un sujet tabou.

« L’effort de lever le voile sur la détresse vécue par les couples infertiles et la mise en exergue des aspirations des professionnels de la santé, en lien avec l’exercice de l’AMP au Maroc, est une nouvelle tentative de rappeler, sensibiliser, encourager, inviter et inciter les pouvoirs publics à revoir leur contribution », souligne Aziza Ghallam, Présidente de l’Association MAPA.

Toujours un sujet tabou

D’après l’étude, le sujet tabou de l’infertilité se heurte souvent aux valeurs religieuses et culturelles marocaines. Pour cela, les professionnels de la santé suggèrent d’inscrire l’infertilité parmi les priorités médicales, en associant systématiquement le ministère des Affaires islamiques et celui de la Solidarité, du Développement social, de l’Egalité et de la Famille. Objectif : éclairer, sensibiliser et guider les couples dans le cadre de l’AMP.

Touchant près de 15% de la population marocaine, de nombreux préjugés et travers de perception chargent l’imaginaire collectif autour de cette maladie. L’étude fait ainsi ressortir quelques idées préconçues et faits réels :
  •  Les femmes sont considérées à tort comme seules responsables en cas d’infertilité dans le couple ;
  •  Les femmes et les hommes sont impliqués à parts égales dans les problèmes d’infertilité ;
  • La virilité et la fertilité sont deux notions différentes à ne pas confondre ;
  • Le recours à la médecine traditionnelle ne fait que retarder le diagnostic et la prise en charge.

Aussi, l’étude souligne l’importance des conséquences économiques et sociales de l’infertilité. L’AMP demeure en effet très coûteuse. Elle coûte entre 25.000 DH et 45.000 DH, et, donc, n’est pas à la portée de toutes les bourses. L’étude nous fait apprendre, en ce sens, que le ministère de la Santé a officialisé, le 30 novembre 2020, l’intégration de certaines classes thérapeutiques indiquées dans la prise en charge de l’infertilité à la liste des médicaments remboursables dans le cadre de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO).

« Considérés par certains comme un problème de santé publique et par d’autres comme une maladie qu’il est nécessaire de traiter, les troubles de la fertilité demeurent une pathologie dont les impacts sont multiples », indique-t-on.

Afin de surmonter les différentes problématiques rencontrées par les patients et les professionnels de la santé, poursuit la même source, les autorités gagneraient à démocratiser l’accès aux soins relatifs à l’infertilité et à l’AMP à tous les couples marocains, sur l’ensemble des régions.

« Grâce aux efforts conjoints et aux actions déployées par les acteurs publics, les professionnels de la Santé, les couples souffrant d’infertilité seront désormais mieux couverts et pris en charge », affirme le think tank Radius.

Un problème de santé publique à double spectre

Les professionnels de santé estiment aussi que l’infertilité devrait être considérée comme un véritable problème de santé publique. Sur le plan économique, le coût élevé des traitements et des solutions thérapeutiques impacte les couples souffrant d’infertilité. Sur le plan psychologique, les femmes infertiles sont culturellement victimes de discrimination et stigmatisées par leur propre famille. Pour les hommes, l’impact psychologique est également considérable créant souvent un amalgame entre « virilité » et « fertilité ».

Autre enseignement tiré : L’accès aux soins thérapeutiques contre l’infertilité au Maroc est jugé encore insuffisamment démocratisé.

Malgré la création de centres publics, en 2017, à Rabat et à Marrakech, ces services restent insuffisants pour répondre aux grands nombres de demandes des couples souffrant d’infertilité au Maroc. Aussi, malgré la reconnaissance de la Loi 47-14 de la pathologie d’infertilité, les professionnels de la santé considèrent que les freins d’application de cette loi seraient aussi bien politiques que scientifiques.

Le parent pauvre du Plan Santé 2025

Le plan Santé 2025 stipule, pour la première fois au Maroc, le lancement d’un plan national d’AMP. L’objectif est d’améliorer la qualité et l’accessibilité aux services de prise en charge de l’infertilité du couple. Cependant, et malgré la reconnaissance de l’infertilité comme une « pathologie » par les pouvoirs publics, les professionnels de la santé jugent le plan santé 2025, qui stipule, pour la première fois au Maroc, le lancement d’un plan national d’Assistance Médicale à la Procréation, encore perfectible. « En effet, ce dernier ne tient pas nécessairement compte de tous les éléments pour réglementer les pratiques et surmonter les limites et les problèmes que rencontrent la majorité des praticiens, gynécologues et biologistes, dans la gestion quotidienne, dans le traitement et le suivi des couples souffrant d’infertilité », estime-t-on. Les professionnels de santé notent également l’absence d’une formation diplômante, académique et technique, dans ce domaine au Maroc. Les autorités compétentes ainsi que les professionnels gagneraient à lancer des initiatives civiles afin de mieux encadrer les couples souffrant d’infertilité, sur le plan scientifique, social, religieux et économique, indique-t-on.

Loi n° 47-14 : une mise en oeuvre encore incertaine

Votée le 12 février 2019, la Loi n° 47-14 relative à l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) fut publiée au Bulletin Officiel le 04 avril 2019. Elle définit les principes d’organisation de l’assistance médicale à la procréation. Elle fixe également les conditions d’utilisation des techniques relatives à l’assistance médicale à la procréation et soumet les établissements de santé concernés à l’obligation d’avoir une accréditation pour l’utilisation de ces techniques.

Elle prévoit de créer une commission scientifique consultative de l’AMP, chargée de fournir à l’administration compétente un avis technique motivé sur toutes les questions se rapportant à la pratique. Malgré la reconnaissance de la Loi 47-14 de la pathologie d’infertilité, les professionnels de la santé, interrogés par la présente enquête, considèrent que les freins d’application de cette loi seraient aussi bien politiques que scientifiques.