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Crise franco-marocaine : Qu’en pensent les binationaux et expatriés résidents au Royaume ? [INTÉGRAL]


Rédigé par David LE DOARÉ Dimanche 16 Juillet 2023

Comment la crise diplomatique Maroc - France affecte-t-elle les Français du Maroc (FDM) ? Quels en sont les effets ? Nous avons sondé plusieurs résidents français au Maroc, dont beaucoup de binationaux. Il en ressort une réalité et des ressentis nuancés qui, une fois réunis, attestent que pour les expatriés français le Royaume reste le pays tempéré et accueillant qu’il a toujours été. Immersion dans le quotidien de la communauté française du Maroc en temps de crise.



« S’il faut choisir entre nous et une entreprise locale, ça risque de grincer ». Voilà dix ans que Thibault, la quarantaine, a posé ses valises à Rabat. Bien intégré, il prend mille précautions pour exprimer son avis personnel sur la crise. Avis qu’il ne donne jamais, s’auto-déclarant « non légitime » pour évaluer des politiques dont il ne ressent pas (encore ?) les effets. En revanche sur le terrain professionnel la retenue fait place à une inquiétude sincère. Directeur au sein de la filiale d’un groupe tricolore spécialisé dans les énergies renouvelables, Thibault sait qu’il doit rester aux aguets car « un mot mal placé auprès d’un client et ça dérape ». Et il n’est pas seul à avoir activé le mode vigilance. Dans le petit monde des gérants d’entreprises circulent des anecdotes révélatrices : telle boîte d’intérim bleu-blanc-rouge a vu ses parts de marché rognées par des concurrents autochtones au nom de la préférence nationale. Et tel acteur de l’audiovisuel a licencié des cadres pour les remplacer par des marocains, dans une sorte de Reconquista de la gouvernance. Une tendance qui ne concerne pas que les intérêts français, mais qui les affecte au premier chef. La communauté fait profil bas et pour certains il est clair que le temps est venu de « se serrer les coudes » ! La fin d’une époque dorée ?
 
Un rejet venu d’ailleurs
 
Des décennies durant, la France était en pole position des alliés du Maroc au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la question du Sahara. Et en 2020, la reconnaissance de la souveraineté marocaine par les Etats-Unis l’a prise de cours en rebattant complétement les cartes. D’autant plus que l’actuelle présidence française n’a pas voulu emboiter le pas aux Américains, une décision décevante du point de vue chérifien. S’ensuivra un bras de fer politique et diplomatique sourd mais virulent entre la République et le Royaume qui atteindra son apogée à l’occasion de ladite « Guerre des visas » venue jeter de l’huile sur le feu. Flashback.
 
Nous sommes en 2021 lorsque l’État français, sous couvert du supposé refus des trois principaux pays maghrébins (Maroc, Algérie, Tunisie) de reprendre leurs ressortissants frappés d’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), décrète une réduction drastique du nombre de visas octroyés annuellement aux Marocains, Algériens et dans une moindre mesure, Tunisiens. Une punition collective qui va affecter indifféremment des milliers d’étudiants, de patrons d’entreprise, de notables. Dès lors, de crise étatique opposant les gouvernements et les diplomaties de deux pays, la crise entre le Maroc et la France devient un litige populaire qui fédère des millions de citoyens qui se sentent injustement ciblés par ce qui s’apparente à des représailles.
 
Médecin généraliste d’Agadir en ménage avec une française, et grand habitué des demandes de visas pour séjourner au nord des Pyrénées, Abdallah s’est soudain retrouvé dans la peau d’une personne suspecte et indésirable. « Je n’ai même pas pu faire mes adieux à un proche avant son décès », regrette-t-il. De quoi alimenter le ressentiment envers « un pays que j’ai toujours aimé mais qui me remercie en me traitant avec mépris».
 
Un piètre ambassadeur
 
«En 2017 puis en 2022 j’ai voté pour Macron», reconnait Fayçal, directeur marketing dans le milieu sportif. Né au Maroc, il étudie en Bretagne puis travaille à Paris et lorsque, treize ans plus tard, il revient au pays, il a trois enfants et une seconde nationalité. Comme beaucoup, il avait été séduit par Macron. Comme presque tous depuis il déchante et ne peut que constater la lente détérioration du partenariat d’exception entre sa patrie et son pays d’adoption (cf. chronologie ci-contre). « Sa stratégie a terni l’image de la France pour les binationaux, c’est dégradant ce qu’il a fait ». Une stratégie illisible : « la déception est immense, après avoir répété que le Maroc est un partenaire stratégique, il a fait tout le contraire ». Dernier affront en date révélé par le Prix Goncourt marocain, Tahar Benjelloun, le ton « très maladroit » sur lequel le président se serait adressé à Sa Majesté lors d’un coup de fil censé aplanir les différends. Depuis, les représentations diplomatiques françaises au Maroc s’emploient à essuyer les plâtres quand les FDM se font du mouron pour leurs intérêts. Vent de panique ?
 
Quels effets au quotidien ?
 
Directeur d’une école française de Casablanca, à soixante-six ans Alain est un manager aguerri. Arrivé en 2012, il continue à se sentir socialement très bien accueilli et même professionnellement il n’observe aucune retombée négative liée à la crise. Toutefois, depuis peu, il ressent «une certaine fièvre nationaliste exprimée de plus en plus ouvertement dans les médias, mais également par des Marocains qui semblent résolus à traiter d’égal à égal avec les Européens en général, et les Français en particulier». Un constat partagé par Sarah, actrice de 26 ans installée à Marrakech. À ses yeux l’état de grâce vécu pendant la Coupe du Monde a déclenché « une revalorisation à grande échelle » de l’auto-perception des Marocains. Une autre façon de rebattre les cartes, cette fois au niveau des individus. Née d’un père français et d’une mère marocaine, Sarah est en première ligne pour observer la nouvelle donne et entend « des critiques de plus en plus fortes sur la langue française ».
 
En effet, un nombre croissant de Marocains s’insurge de l’étrange statut de cette langue absente de la Constitution et omniprésente dans l’éducation et les affaires. « Une police de la langue se met en place », un fait de société qui frappe de plein fouet les FDM ayant fait souche sans apprendre un traître mot des langues locales. Comme son propre père, qui « n’a pas fait cet effort et qui paye aujourd’hui les pots cassés». Une exclusion douloureuse. Peut-être aussi une motivation pour repenser la démarche d’intégration ?
 
Quelles perspectives ?
 
Jean-Pierre, 70 ans et bilingue en darija ne se sent « pas du tout affecté » par la crise, « zéro ». Né dans le Souss-Massa, il a passé plus de la moitié de sa vie au Maroc et est conscient de vivre « dans une bulle protégée » avec ses proches : «Pour être franc, ici les FDM ne s’intéressent qu’au beau temps et à la bonne bouffe. Pour ce qui est de la politique, on ne suit rien de ce qui se passe ! ». En somme, une douce prise de distance d’avec une crise «pas si importante que ça» du point de vue d’une bonne partie des expats français au Maroc, mais qui est ressentie de plus en plus vivement dans les arcanes des représentations diplomatiques françaises au Maroc, comme dans les milieux d’affaires hexagonaux qui se soucient désormais du devenir de leurs intérêts au Royaume. Jusqu’à quand et pour quel dénouement ?
 
Depuis soixante ans, le tandem Maroc-France n’a eu de cesse de se fâcher puis de se rabibocher, à l’image d’un vieux couple. Ce qui fait qu’aujourd’hui encore, malgré des relations «ni bonnes ni amicales», aucun des FDM et des binationaux interrogés n’envisage autre chose qu’une embellie entre les deux pays… à moyen terme, avec probablement une autre présidence en France.

 

Trois questions à Ali Lahrichi « En réclamant de la clarté le Maroc s’est engagé dans une série de bras de fer »

Ali Lahrichi, Directeur pédagogique de l’Institut des Sciences politiques, Juridiques et Sociales, à l’Université Mundiapolis de Casablanca, nous livre sa lecture sur la crise Maroc-France.
Ali Lahrichi, Directeur pédagogique de l’Institut des Sciences politiques, Juridiques et Sociales, à l’Université Mundiapolis de Casablanca, nous livre sa lecture sur la crise Maroc-France.

Comment expliquer la série de succès dans la redéfinition des alliances du Maroc à l’international ?

La reconnaissance par les USA de la marocanité du Sahara a été un moment clé. Et l’an passé, Sa Majesté a balayé toute ambiguïté en annonçant que le dossier du Sahara serait désormais le prisme à travers lequel le Maroc considèrerait son environnement. En réclamant de la clarté, le Maroc s’est engagé dans une série de bras de fer. Avec l’Allemagne et l’Espagne il a atteint son but!
 
Peut-il réussir la passe de trois avec la France ?

Je pense que c’est possible. Maintenant, vu le positionnement d’Emmanuel Macron avec le voisin algérien, pas sûr qu’on y parvienne sous son mandat. À mon sens, la balle est dans le camp français, et même si la crise peut s’éterniser quelques années encore, il y a des lobbys qui ont tout intérêt à œuvrer pour une réconciliation.
 
En attendant un potentiel apaisement, quelles conséquences économiques côté français ?

Peut-être que lors des futures attributions de marchés publics, les grandes entreprises françaises ne seront pas considérées aussi favorablement que c’était le cas auparavant. Des portes se sont ouvertes, on voit de nouveaux acteurs qui cherchent à en profiter. De plus, certains marchés sont volontairement réservés à des sociétés marocaines. Mais pour l’instant il n’y a pas de signe annonciateur d’un réel ralentissement économique. En 2022, la France reste le premier investisseur étranger et le premier vivier de touristes pour le Royaume.

 

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Crise franco-marocaine : Qu’en pensent les binationaux et expatriés résidents au Royaume ?  [INTÉGRAL]

Maghreb : Quand le tropisme algérien de Macron agace à Paris !

Bien qu’elle soit silencieuse, la crise entre Rabat et Paris est tellement profonde que le Royaume n’a pas encore nommé un ambassadeur pour succéder à Mohammed Benchaâboun. La brouille a pris des proportions telles que la droite française a commencé à s’inquiéter. Les Républicains n’ont eu de cesse de reprocher au président français ses maladresses et sa politique hasardeuse à l’endroit du Maroc. Raison pour laquelle le président des LR s’est évertué à se rendre personnellement au Royaume en compagnie d’une importante délégation de son parti pour chercher les moyens d’apaiser la tension, avec les partis de la majorité, dont le RNI et l’Istiqlal. La droite française reproche aussi au locataire de l’Élysée son obsession algérienne qui l’a aveuglé au point de négliger un allié aussi important que le Maroc.

Moins initié aux enjeux du Maghreb que ses prédécesseurs, Macron a voulu marquer l’Histoire en étant le premier président français à clore le dossier mémoriel avec le régime algérien. Un pari raté aux yeux de l’ex-ambassadeur français en Algérie, Xavier Driencourt. Dans une note publiée à l’institut Thomas More, le diplomate français a clairement reconnu que le tropisme algérien de Macron n’a rien apporté de concret et n’a fait que dégrader les relations avec le Maroc. « A ce stade, nous nous sommes écartés du Maroc et nous ne récoltons rien, ou pas grand-chose, de notre pari algérien », a-t-il souligné, tout en faisant part de sa crainte que le Royaume aille, dans les années à venir, à la recherche d’autres partenaires, tels que les Etats Unis, l’Espagne, Israël et la Chine, au détriment du partenaire français.








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