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Covid-19 : Impacts socio-économiques et pistes de sortie de crise

Partie I : Impacts socio-économiques


Rédigé par Rahhal Mekkaoui le Mardi 9 Juin 2020

La crise sanitaire de 2020 a porté un coup très dur à la situation économique et sociale du Maroc et aura des conséquences qui se feront ressentir sur plusieurs années. Sa gestion a été mitigée avec des points forts et des ratés. Elle a aussi révélé quelques lueurs d’espoir et des opportunités que le Maroc se doit de saisir. Ceci passe par un plan de déconfinement clair et des réflexions intégrées pour apporter les solutions adéquates à court, moyen et longs termes.



Rahhal Mekkaoui, membre du Comité exécutif du Parti de l’Istiqlal et Conseiller à la 2ème Chambre parlementaire.
Rahhal Mekkaoui, membre du Comité exécutif du Parti de l’Istiqlal et Conseiller à la 2ème Chambre parlementaire.
La pandémie du coronavirus, ou le Covid-19, est intervenue à un moment où l’économie marocaine est mal en point après une dernière décennie qui a connu de faibles taux de croissance ne dépassant pas une moyenne de 3,5 %, loin des 5,5 % durant la première décennie de ce millénaire. Le social n’a pas été non plus épargné durant ces dernières années avec le retard cumulé de nombreuses réformes structurantes, dont notamment la couverture médicale universelle et les reformes de retraites. Ce qui a accentué les disparités sociales et territoriales.

Sur un autre registre, et bien que la pauvreté absolue ait connu un net recul pour se stabiliser autour de 4%, la pauvreté relative et multidimensionnelle a, quant à elle, touché des millions de personnes à en juger par le nombre de familles qui ont sollicité le soutien du fonds Covid-19 pour l’obtention d’une subvention mensuelle de 1000 Dirhams par famille (30 dirhams par jour et par famille) et qui avoisine les 6 millions de ménages soit les ¾ des ménages marocains.
Au niveau mondial, neuf sur les dix-sept objectifs du développement durable, objets de l’Agenda 2030 adopté par les Nations Unies en 2015, se trouvent aujourd’hui compromis à cause des conséquences du Covid-19. Il s’agit notamment des objectifs : 1 (lutter contre la pauvreté), 2 (Lutter contre la faim), 3 (Accès à la santé), 4 (Accès à une éducation de qualité), 5 (Egalité entre les sexes), 6 (Accès à l’eau salubre et à l’assainissement), 8 (Accès à des emplois décents), 9 (Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourage l’innovation), 10 (Réduction des inégalités), 11 (Villes et communes durables), 12 ( consommation et production responsable) et 16 (Justice et paix).

L’état d’urgence sanitaire et en particulier le confinement ont eu pour effet, certes, de réduire la propagation du virus qui aurait coûté en vie et en pression inédite sur le système de santé déjà très fragile, mais aussi d’arrêter l’activité économique, réduire drastiquement les revenus des ménages et mettre des millions de familles dans des situations précaires.

Sur le plan économique, les indicateurs macroéconomiques ont été mis à mal, rendant la présentation par le gouvernement d’un projet de loi de finances rectificative nécessaire.  Ainsi, la dette publique, la balance de paiement, le déficit budgétaire, le taux de croissance et le taux de chômage doivent être reconsidérés.

Le commerce extérieur qui représente 32% du PIB, connaîtra une diminution annuelle de 20%, due à la perturbation des chaines d’approvisionnement mondiales. Cette diminution sera impactée par la réduction durant le premier trimestre 2020 de 60% pour les exportations et 37% pour les importations. Pour le tourisme, on estime à 34 milliards de dirhams le manque à gagner du secteur pour l’année 2020, soit l’équivalent de 6 millions de touristes et de 11 millions de nuitées. Plus de 500.000 emplois menacés pour plus de 9000 entreprises réparties entre l’hôtellerie, la restauration, les agences de voyages, le transport touristique et la location de voitures. Le secteur de l’automobile qui tablait sur une production de 100 millions de véhicules en 2022 doit revoir ses ambitions à la baisse.

Les pertes sur le plan économique, dues au confinement, sont estimées à 1 milliard de dirhams par jour, soit l’équivalent de 1 point de PIB chaque 10 jours, ou encore l’équivalent de 2000 à 2500 pertes d’emploi par jour. Ceci implique un manque à gagner de 500 millions de dirhams par jour pour les finances publiques, soit 30 milliards de dirhams durant le confinement, ce qui équivaut à 3% de plus pour le déficit budgétaire qui sera de plus de 7% avant la fin de l’année. 128.000 entreprises, parmi les 220.000 que compte le pays, ont déclaré plus de 950.000 employés en arrêt de travail durant le seul mois d’Avril. Ce qui représente près du tiers des employés du secteur privé. Il est à craindre que le nombre de sociétés qui seront déclarées en faillite pour l’année 2020 soit beaucoup plus important que celui des années précédentes et qui était de près de 8000 entreprises.

Pour ce qui est des réserves en devises, et malgré une nette réduction de la facture énergétique avec la réduction de plus des deux tiers des prix du pétrole, la pression sera très forte, vu que cinq sur huit sources de devises seront fortement impactées. Notamment l’industrie automobile (77 milliards par an), le textile (37 milliards de dirhams), le tourisme (78 milliards de dirhams), l’aéronautique (17 milliards de dirhams), les transferts des ressortissants marocains à l’étranger (64 milliards de dirhams), et les investissements directs étrangers (20 milliards de dirhams). Pour ce qui est de l’agriculture et des pêches (60 milliards de dirhams), ainsi que   le phosphate et ses drivées (50 milliards de dirhams), l’impact devrait être minime.

Les secteurs les plus impactés par la pandémie sont :
  1. Le textile avec une réduction de 86% pour le mois d’avril.  Ce secteur concerne plus de 200.000 emplois. C’est aussi un secteur dont 75% du chiffre d’affaires est destiné à l’export.
  2. Le tourisme (7% du PIB), avec plus de 120.000 emplois directs et 500.000 emplois indirects, a connu une chute de 60% de son chiffre d’affaires dont 70% est destiné à l’export et une chute de l’emploi de près de 80%.
  3. L’industrie automobile, avec près de 25.000 emplois directs et près de 200.000 emplois indirects, a vu son chiffre d’affaires chuter de 96%. Ce secteur est destiné pour 60% à l’export.
  4. L’industrie aéronautique pour plus de 17.000 emplois a vu son activité chuter de 80%, sachant que 98% de cette activité est destinée à l’export.
  5. Le secteur du bâtiment, des travaux publics, des matériaux de construction et la promotion immobilière, qui emploie près de 1.500.000 personnes, a vu son activité réduite de plus de 90% durant le mois d’avril et des chiffres d’affaires réduits entre 40% et 65%, ainsi qu’une baisse de l’emploi entre 50 et 70%.
  6. L’artisanat (6,5% du PIB) est un secteur lié au tourisme qui emploie près de 2.300.000 personnes pour un chiffre d’affaires de 110 milliards de dirhams, dont 1 milliard à l’export, a aussi vu son activité chuter d’un taux équivalent à celui du tourisme, soit 60%.
  7. L’industrie de cuir destinée pour 60% à l’export a vu son chiffre d’affaires chuter de près de 55% et le nombre d’emploi de 85% sur un total de 36.000.
  8. Le commerce et les services qui emploient près de 6.300.000 personnes (1.500.000 dans le commerce et 4.800.000 dans les services), et qui représentent respectivement 8% et 50% du PIB, ont vu leurs chiffres d’affaires chuter de plus de 46% et une chute du nombre d’emploi de près de 50%.
  9. Le transport et la logistique qui représentent près 6% du PIB ont vu leurs chiffres d’affaires chuter de 40% et leurs activités de 45%. 

A ces conséquences économiques pour presque tous les secteurs de l’économie nationale, s’ajoute la situation difficile dans laquelle se trouvent aujourd’hui certains établissements publics importants comme la Royal Air Maroc (RAM), dont toute la flotte a été clouée au sol depuis mi-mars 2020, avec des pertes conséquentes en chiffre d’affaires  par jour, l’Office National du Chemin de Fer (ONCF), et l’Office National de l’Eau et de l’Electricité  (ONEE) déjà en difficulté pour faire face à ses créanciers avant le Covid-19.  Ces trois établissements à eux seuls auront besoin d’un plan d’accompagnement pour plusieurs dizaines de milliards de dirhams.
 
Les pertes sur le plan économique sont estimées à 1 milliard de dirhams par jour, soit l’équivalent de 1 point de PIB chaque 10 jours.

 Sur le registre social, la santé publique est la première victime du Covid-19, et surtout du confinement. Il a été remarqué durant cette période, chiffres à l’appui, une nette réduction du taux de vaccination des enfants (- 40%), de la prise en charge des maladies chroniques et de longues durées, du suivi médical des femmes enceintes, une nette réduction des examens de laboratoire et de tests de détections précoces de certaines maladies. Les familles de certaines régions dépourvues de centres hospitaliers universitaires n’ont pas eu la possibilité de se déplacer vers d’autres métropoles pour les soins tertiaires. La rupture de certains médicaments qui a été signalée plusieurs fois au parlement s’est accentuée durant les mois de confinement. On estime à plus de 500 le nombre de médicaments en rupture sur le territoire national. Ceci est de nature à mettre plus de pression sur le système de santé et sur les professionnels de santé déjà soumis à celle du Covid-19. Le coût engendré pour les ménages qui, en absence d’un système de couverture médicale universelle, en supportent plus de 50%, sera augmenté. Il est à craindre aussi un retour de certaines maladies transmissibles que le Maroc a mis des années à éradiquer.

La chute du pouvoir d’achat des ménages est aujourd’hui une certitude. Elle est la conséquence du chômage partiel ou total et aussi de la chute d’activité de plusieurs secteurs employeurs de main d’œuvre comme les commerces et services, le tourisme, l’artisanat, l’agriculture, le textile et le bâtiment et travaux publics. En considérant le nombre de ménages ayant bénéficié du fonds Covid-19 ou ayant sollicité le soutien du fonds, il est clair que le Maroc ne dispose plus de classe moyenne capable de relever le défi de la relance de l’économie par la consommation et par l’augmentation de la demande intérieure. Sans compter une estimation de 300.000 personnes qui tomberont dans la pauvreté cette année à cause des conséquences du Covid-19.

Le monde rural est le plus touché par la conjoncture actuelle puisqu’il bénéficiait avant la pandémie d’un transfert monétaire à travers l’agriculture maraichère, le pâturage, les quelques 1000 souks hebdomadaires et l’emploi de la population rurale dans les secteurs informels et les secteurs du bâtiment. Il est donc à prévoir une accentuation des disparités régionales, territoriales et sociales, source d’un risque pour la paix sociale. L’exode rural sera certainement exceptionnel durant les années à venir.

L’éducation n’est pas en reste.  Avec le passage à l’éducation à distance, un nombre important d’élèves s’est retrouvé en décrochage scolaire par manque de moyens de télécommunication, accentuant ainsi le décrochage scolaire habituel estimé à plus de 200.000 élèves par an. Si une mise à niveau des connaissances n’est pas opérée à la rentrée scolaire, il est fort à craindre qu’une chute ait lieu des niveaux scolaires d’élèves en ce début de l’année scolaire 2020-2021, qui risque de compromettre les reformes en cours après la promulgation de la loi-cadre sur l’éducation. 

A suivre...

Rahhal Mekkaoui



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