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Convention-Cadre pour la lutte antitabac : Pourquoi le Maroc tarde à franchir le pas ?


Rédigé par Souhail AMRABI Lundi 30 Mai 2022

Alors qu’il a signé la Convention-Cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) dès 2004, notre pays tarde encore à la ratifier, retardant ainsi l’institutionnalisation de mesures qui sauveront des centaines de milliers de vies.



Fumer une cigarette est de nos jours un geste aussi anodin que notoirement autodestructeur. Une « bouffée » quasiment « vitale » pour son fumeur alors qu’un observateur qui n’a jamais vécu une dépendance à la nicotine n’y verrait qu’un acte inutile et, surtout, dangereux. Pourtant, acheter des cigarettes (et en fumer) est tout à fait légal, tant qu’il est question d’un (e) adulte qui respecte les lois en vigueur.

En cette occasion de la Journée mondiale sans tabac (célébrée le 31 mai), et avant même d’évoquer la situation liée au tabagisme au Maroc, il est toujours utile de rappeler que les affres de ce fléau ainsi que les tenants et aboutissants qui en ont construit la complexe réalité actuelle, ont été rendus possibles par le commerce mondial légal d’un produit psychotrope dont la consommation engendre une des dépendances les plus fortes qui existent. Autant dire que les multinationales du tabac sont les industriels les plus chanceux au monde : il suffit de quelques paquets pour que leurs clients deviennent accros à leurs produits.

Les Marocains et le tabac

Nul doute qu’il est quasiment impossible d’envisager une fin définitive et totale de ce que l’OMS appelle « épidémie de tabagisme ». En tout cas pas de sitôt, même si certains pays comme le Bhoutan ont tenté d’y arriver sans y parvenir. Pas tant que le lobby des producteurs de cigarettes continue à être l’un des plus riches et des plus puissants au monde.

En attendant, les spécialistes de la santé recommandent au moins que des efforts soient faits pour éduquer, sensibiliser et réglementer strictement le commerce et la consommation de cette drogue, qui au Maroc (entre autres) continue à faire des ravages.

L’OMS souligne à cet égard que dans notre pays, « le taux de tabagisme est parmi les plus élevés dans la région, atteignant 31% chez les hommes et 3,2% chez les femmes. Les chiffres sont plus alarmants chez les jeunes : 10% des garçons et 7% des filles âgés entre 13 et 15 ans fument. Le tabagisme est responsable de 8% des décès au Maroc, dont 75% sont dus au cancer du poumon et 10% aux maladies respiratoires ».

Ratification de la CCLAT

Si le Royaume est le premier pays de la région à avoir promulgué en 1991 la loi 15-91 qui stipule l’interdiction de fumer dans les lieux publics et de faire de la publicité pour le tabac, ce texte reste encore largement inappliqué.

L’autre engagement-phare du Maroc dans ce domaine est sa signature en 2004 de la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT). Cela dit, là encore, notre pays tarde à ratifier la CCLAT, retardant ainsi le début de la mise en conformité de ses stratégies et législation aux principes et mesures (voir article ci-dessous, NDLR) de la convention.

Pourtant, selon les estimations de l’OMS, « la mise en oeuvre des mesures de la CCLAT aiderait le Maroc à réduire de 35% le nombre de consommateurs de tabac en cinq ans et de 46% en 15 ans, permettant ainsi d’éviter près de 950.000 décès ». Pourquoi donc notre pays tarde-t-il à ratifier une convention qu’il a déjà signée depuis près de 18 ans et dont l’application des engagements pourrait enclencher une machine à réformes qui sauverait des centaines de milliers de vies ?

Une affaire prioritaire

« Quand on voit ce que notre pays pourra gagner en termes de santé publique à travers une ratification de la CCLAT, on ne peut que s’interroger sur ce qui continue à l’empêcher de franchir le pas. Il est incompréhensible de voir que nous sommes quasiment les derniers dans la région à ne pas vouloir ratifier cette convention-cadre», commente El Hassan El Baghdadi, président de l’Association Nationale de Lutte Contre le Tabagisme et les Drogues (ANLCTD).

À noter que le secteur du tabac génère au Maroc plus de 14 milliards de dirhams dont près de 11 milliards sont des recettes fiscales, constituant ainsi une « manne économique » dont la régularité est plutôt rare dans le contexte actuel marqué par des crises diverses et successives.

Depuis plusieurs années, divers acteurs de la société civile et des milieux politiques et scientifiques ont tenté d’élaborer des plaidoyers en faveur de la ratification de la CCLAT par le Royaume. Au vu des centaines de milliers de vies qui sont en jeu, gageons que cette dynamique pourra reprendre rapidement et, surtout, aboutir efficacement.



Souhail AMRABI

Repères

Quelques faits sur le tabagisme
L’épidémie de tabagisme cause plus de 8 millions de morts chaque année dans le monde. Plus de 7 millions d’entre eux sont des consommateurs ou d’anciens consommateurs, et environ 1,2 million des non-fumeurs involontairement exposés à la fumée. Plus de 80% du 1,3 milliard de fumeurs dans le monde vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Le tabagisme contribue à la pauvreté, car les ménages dépensent en tabac des sommes qu’ils auraient pu consacrer à des besoins essentiels tels que l’alimentation et le logement.
 
Pas de tabac sans dégâts
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, toutes les formes de tabac sont nocives et il n’y a pas de seuil au-dessous duquel l’exposition est sans danger. Ainsi, la consommation par exemple des produits dits de « tabac sans fumée » est hautement dépendogène et nocive pour la santé. Le tabac sans fumée contient de nombreuses toxines cancérogènes et sa consommation augmente le risque de cancer de la tête, du cou, de la gorge, de l’oesophage et de la cavité orale ainsi que de plusieurs affections dentaires.

L'info...Graphie


CCLAT


Les mesures de la Convention-Cadre pour la lutte antitabac
 
En 2003, les États-membres de l’OMS ont adopté à l’unanimité la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. En vigueur depuis 2005, elle compte aujourd’hui 182 Parties représentant plus de 90% de la population mondiale.

La Convention-Cadre est ainsi un traité fondé sur des bases factuelles qui réaffirme le droit de tout être humain au niveau de santé le plus élevé possible, définit un cadre juridique pour la coopération sanitaire internationale et fixe des normes exigeantes en matière d’application.

Le renforcement de l’application de la Convention fait partie du Programme de développement durable à l’horizon 2030. En 2007, l’OMS a présenté le programme MPOWER, méthode pratique basée sur un bon rapport coût/efficacité qui ambitionne d’accélérer l’application sur le terrain des dispositions de la Convention-Cadre de l’OMS relatives à la réduction de la demande. Chacune des mesures préconisées (voir infographie ci-contre) correspond à au moins une disposition de la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac.
 

E-cigarette au Maroc

 
Les industries du tabac prévoient une augmentation de la consommation
 
Dans un récent communiqué, une société qui commercialise des cigarettes électroniques « exhorte les décideurs au Maroc et en Algérie à mettre en place des cadres réglementaires exhaustifs pour les cigarettes électroniques». Derrière cette posture, la société en question cherche manifestement avant tout à promouvoir son propre produit « moins dangereux que les cigarettes classiques ».

Au-delà de cet argument fallacieux et contesté par les scientifiques, le communiqué en question contient des projections plutôt édifiantes sur les tendances d’augmentation des consommations du tabac (au Maroc). « On observe une tendance à la hausse de la prévalence actuelle du tabagisme dans la population générale au Maroc. En 2015, la prévalence globale a été estimée à 23%, avec une projection d’augmentation à 28% d’ici 2025 », explique ainsi la même source qui, pour mieux se positionner, n’hésite pas à souligner que « les autorités (du Maroc et d’Algérie, NDLR) devraient déployer des dispositifs réglementaires proportionnés aux risques pour régir l’importation, la commercialisation et la distribution des cigarettes électroniques. (…) Si ces marchés ne sont pas réglementés, il est probable que le commerce illicite se développera de manière significative, et verra les marchés inondés de produits contrefaits de qualité douteuse. Ces produits pourraient représenter un risque important pour la santé des fumeurs et pourraient se retrouver entre les mains de personnes n’ayant pas l’âge légal de fumer ».
 

3 questions à El Hassan El Baghdadi, président de l’ANLCTD


« Si l’argument de la souffrance humaine ne semble pas suffire, au moins l’argument économique sera sans équivoque »
 
Président de l’Association Nationale de Lutte Contre le Tabagisme et les Drogues (ANLCTD), El Hassan El Baghdadi répond à nos questions sur l’enjeu sanitaire lié aux ravages du tabagisme au Maroc.

- Quelle est, selon vous, la situation actuelle de la lutte contre le tabagisme au Maroc ?


- Notre pays a fait plusieurs avancées durant ces dernières décennies dans divers domaines mais, malheureusement, pour la lutte contre le tabagisme, la situation est peu reluisante. Nous, qui sommes sur le terrain, voyons au quotidien les dégâts que ce fléau cause aux Marocains, toutes situations socioéconomiques et âges confondus. Nous avons l’impression que ce sujet ne bénéficie pas de l’importance qu’il devrait avoir et que les décideurs ne lui donnent pas ou ne veulent pas lui donner suffisamment de priorité.


- Quelles sont, selon vous, les priorités dans ce domaine ?

- Il y en a beaucoup : la sensibilisation, l’éducation, l’interdiction de la publicité déguisée, y compris dans les médias audiovisuels étatiques, l’investissement dans plus de centres de désintoxication et de programmes d’aide pour arrêter le tabac, l’application de la loi 15-91, et j’en passe. Je pense que cela pourra se concrétiser notamment à travers les mesures prévues par la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Encore faut-il que notre pays consente à la ratifier…


- Quel argument manque encore pour accélérer cette ratification ?

- Je tiens d’abord à préciser que la ratification volontaire de cette convention par notre pays l’obligera à appliquer les mesures prévues par l’OMS. S’il fallait préparer un seul argument convaincant, ce serait bien une étude solide qui estime l’impact économique du tabagisme sur l’économie marocaine. Face au lobby des industries du tabac, une étude de ce genre prouvera largement qu’en dépit de l’argent que ce secteur peut apporter, nous restons perdants à cause des vies que ce fléau détruit chaque jour. Si l’argument de la souffrance humaine ne semble pas suffire, au moins, l’argument économique sera sans équivoque.


Recueillis par S. A.

 








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