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Concurrence : Vision et diagnostic de Rahhou sur l’état de nos marchés


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mardi 1 Mars 2022

Dans son bureau, le président du Conseil de la Concurrence, Ahmed Rahhou, nous a reçus pour parler de sujets sensibles. Flambée des prix, affaires des hydrocarbures, nouveau cadre juridique, domination des GAFA… Il s’est livré en toute franchise en donnant un aperçu sur la nouvelle mission pédagogique du Conseil. Entretien.



- Concernant la décision de l’Association Marocaine du Transport et Logistique (AMTL) qui a fait l’objet d’une réactivité inhabituelle du Conseil de la Concurrence, quelles sont les raisons de cette célérité et qu’en sera-t-il des suites de ce dossier ?

- Notre réaction a été une sorte de rappel à la loi puisque le communiqué de cette association a montré qu’elle donnait des instructions sur les prix. La loi est claire : les prix se font par le jeu du marché et chaque opérateur a le droit d’augmenter ou de baisser ses tarifs au-delà de toute concertation qui, je le rappelle, demeure strictement interdite par la loi. Jusqu’à présent, le Conseil s’est autosaisi sur cette question et nous avons écrit à l’AMTL et à la fédération à laquelle elle appartient pour nous donner les justifications et les tenants et aboutissants de sa décision.

Actuellement, ce dossier est en phase d’instruction et nous verrons à quoi ça va aboutir et s’il s’agit d’une entente ou pas. En effet, il faut savoir que le gouvernement, lui-même, ne peut pas donner d’instructions sur les prix, en dehors des prix régulés par la loi (médicaments… etc.). Et pour le faire, il est dans l’obligation de solliciter l’avis du Conseil comme ça été le cas pour les tests PCR.


- Vous allez bientôt boucler une année à la tête du Conseil de la Concurrence, quel est votre ressenti quant à l’évolution du Conseil ?

- Je reconnais que le Conseil de la Concurrence est une institution méconnue du grand public. Je rappelle que nous avons trois missions principales, dont une économico-administrative qui consiste à autoriser les opérations de concentration, dites de fusion entre entreprises et celles relatives à la création de nouvelles activités, à la prise de contrôle d’une entreprise par une autre. C’est un travail quotidien puisque nous recevons tous les jours des demandes dans ce sens.

Concernant le bilan, nous sommes satisfaits d’avoir réduit les délais du traitement des dossiers, souvent assez complexes, de sorte à répondre dans un délai qui ne nuit pas au déroulé des opérations économiques. Même si la loi nous accorde un maximum de deux mois, nous sommes maintenant dans un délai d’un mois, soit la moitié du délai légal.

Pour ce qui est des émissions d’avis, le Conseil en a accéléré le rythme soit sur des projets de loi, soit sur l’état de la concurrence dans les différents secteurs de l’économie ou sur des demandes de plafonnement de prix. Nous avons émis de nombreux avis ces derniers mois sur les secteurs de l’enseignement privé, du gaz naturel et des huiles de table… Nous sommes déterminés à poursuivre cet élan dans les années à venir.

S’agissant du volet des litiges relatifs aux pratiques anticoncurrentielles, comme le Conseil n’est souvent pas compétent pour répondre aux demandes en la matière, nous essayons de faire un travail de pédagogie auprès des acteurs du marché pour mieux comprendre le droit de la concurrence. Pour cette raison, nous avons élaboré le guide des programmes de conformité au droit de la concurrence.


- Compte tenu de la conjugaison des effets de la crise du Covid-19, l’inflation et la sécheresse, en quoi le Conseil peut-il contribuer pour apaiser la situation ?

- Le Conseil va jouer son rôle dans la limite de ses prérogatives. Permettez-moi d’abord de rappeler que la concurrence n’est pas une fin en soi, mais il s’agit du meilleur moyen pour que le consommateur ait les meilleurs produits aux meilleurs prix. L’histoire nous enseigne que dès qu’on limite la concurrence, les ententes fleurissent.

Par conséquent, cela aboutit à des prix élevés, à des produits de mauvaise qualité et parfois à des cas de pénurie et c’est le pire scénario pour le consommateur. Le Conseil que je préside n’a pas vocation à dire si les prix sont trop hauts ou trop bas, mais de déceler les facteurs derrière la hausse des prix.

Aujourd’hui, les prix des matières premières ont visiblement augmenté. Le pétrole est passé de 25 dollars le baril à environ 100 dollars, idem pour le prix du soja, dont dépend celui de la viande, lequel a triplé. Les prix du blé, de l’acier, du fer, du cuivre, de l’aluminium ont aussi augmenté.

Prenant acte de cela, le Conseil a pour rôle de voir si les hausses des prix dans le marché national sont dues seulement à l’inflation observée à l’international. Le Conseil veille également à ce qu’il n’y ait pas de spéculation ou d’entente qui exacerbe la flambée de prix. Nous continuons de faire ce travail de balayage concernant les grands produits qui touchent le consommateur. Nous avons un tel scénario dans le secteur des huiles de table où nous avons fait des recommandations pour encourager la production nationale du tournesol.

Par ailleurs, pendant cette période difficile, il existe le risque que des opérateurs aient constitué des stocks importants avant la hausse des prix, ce qui les met dans une situation avantageuse par rapport à leurs concurrents qui ont acheté leurs stocks plus cher. D’où le risque de disparition de quelques acteurs, ce qui fragilise la concurrence et, du coup, touche le consommateur.

Notre travail consiste donc à vérifier s’il y a assez d’acteurs dans chaque marché pour garantir un minimum de concurrence. Pour ce faire, nous allons travailler sur cette question en faisant des enquêtes, des benchmarks et des avis. Nous avons la chance au Maroc d’avoir un réseau de distribution très solide et organisé de façon telle qu’il évite tout risque de pénurie.
 
« Nous sommes en cours de création d’un service d’observation des prix et de la concentration ».

- Vu la tension sociale actuelle, comment comptez-vous communiquer auprès des gens ordinaires pour une meilleure compréhension des enjeux liés à la hausse des prix et aux pratiques oligopolistiques ?

- Le Conseil ne peut pas se prononcer sur les prix, puisque c’est du ressort du gouvernement qui peut bloquer un prix, le subventionner ou le plafonner. Dans ce cas, l’avis du Conseil est nécessaire puisqu’il faut évaluer l’impact de telles mesures sur le tissu concurrentiel.

Pour répondre à votre question, le Conseil parie sur les vertus de la pédagogie. En plus du monde des affaires et des cabinets de conseil, nous comptons également réunir la presse pour initier au droit de la concurrence, et ce, pour permettre une meilleure lecture.

Cette mission sera menée via des partenariats comme ceux que nous avons avec la Banque Mondiale et l’Union Européenne. Ces dernières vont nous appuyer dans l’organisation des cycles de formation. Le Droit de la Concurrence est un droit peu connu et c’est le cas dans le monde entier, pas uniquement au Maroc. À travers les séances de formation, nous tâchons d’apporter les jurisprudences extérieures.

Le droit marocain en matière de concurrence, je le rappelle, ressemble à celui pratiqué dans les pays à économie de marché. Cette jurisprudence permettra de mieux interpréter la loi. Le travail de pédagogie permettra sûrement une meilleure compréhension et, du coup, d’éviter des pratiques douteuses.


- Dossier des hydrocarbures, dont la résolution dépend du nouveau cadre juridique. Où en est-on dans l’élaboration du nouveau cadre et aura-t-il un effet rétroactif sur les mesures prises précédemment ?

- Actuellement, le dossier des hydrocarbures reste entre les mains du Conseil pour autant qu’il n’a pas encore été traité. Tant que la loi n’est pas encore modifiée, le Conseil de la Concurrence continue d’exercer toutes ses attributions sur l’ensemble des dossiers qui lui sont soumis. Concernant celui des hydrocarbures, il n’est pas encore clos et il faut le reprendre dès l’avènement du nouveau cadre légal.

Le communiqué du Cabinet Royal a fait savoir qu’il y a eu clairement des dysfonctionnements dans la prise de décision du Conseil. Ce à quoi nous allons remédier avec le nouveau cadre juridique. Ça ne touche que ce dossier. Concernant les autres, il n’y aura pas de rétroactivité, ceux qu’on a entre les mains actuellement seront tranchés selon la loi actuelle tant qu’elle n’est pas encore modifiée. Il n’existe, à nos yeux, aucune ambiguïté sur ce point.


- Concernant l’affaire des jetons de peinture, est-elle définitivement close ?

-Nous faisons actuellement le suivi de ce dossier après l’interdiction de la pratique des jetons de peinture, jugée anticoncurrentielle. Il a fallu s’assurer que cela ne se répercute pas sur les prix. Nous avons finalement constaté que les prix ont baissé vu la suppression des jetons qui avaient un coût. C’est un dossier clos en termes de litige, mais demeure sous surveillance pour veiller à ce que les pratiques déloyales ne surgissent pas.


- Comment le Conseil effectue-t-il le contrôle des mesures du suivi des prix à l’échelle nationale ?

- Pour faire le suivi de façon plus efficace, nous avons signé une série de conventions avec les partenaires institutionnels tels que le Ministère public, l’ACAPS, l’AMMC, Bank Al-Maghrib… Cela fait partie de l’effort de restructuration du travail du Conseil de la Concurrence que nous faisons actuellement.

Je vous annonce que nous sommes en cours de création d’un service d’observation des prix et de la concentration. Notre rôle n’est pas de suivre les prix, il y a des institutions telles que le HCP et BAM qui font ce travail. Mais nous tâchons d’établir des indices qui permettent d’analyser la variation des prix en fonction des normes de la concurrence. Ceci signifie que nous braquons notre regard vers les marchés à fort risque d’entente et de concentration, ceux où les marges sont élevées. Il s’agit là d’un mécanisme d’alerte permettant de mener des actions préventives.


- Les secteurs bancaire et des assurances connaissent une faible capitalisation boursière, un des vecteurs de la démocratisation économique. Quel est votre regard sur ces secteurs ?

- Je rappelle que les secteurs des banques, des assurances et des télécoms sont concentrés de par la loi pour autant qu’ils sont soumis à des agréments comme condition d’entrée. Là, notre rôle est de vérifier que l’octroi des agréments par l’Etat ne génère pas d’abus de position dominante. Donc, il n’est pas de notre ressort de critiquer la politique de l’Etat en termes de nombre d’agréments accordés.

J’attire votre attention sur un point d’une importance capitale : la concentration et le monopole ne sont pas interdits par la loi pourvu que l’acteur concerné n’abuse pas de sa position. D’ailleurs, on trouve le monopole dans le secteur de distribution de l’eau et de l’électricité. Les secteurs que vous mentionnez sont soumis à une observation régulière pour vérifier que les prix sont raisonnables et qu’il n’existe pas de discriminations tarifaires. On vérifie cela en comparaison avec ce qui se passe dans le monde à travers des benchmarks.
 
« L’un des membres du Conseil représente une des grandes associations de consommateurs ».

- Bon nombre d’opérateurs ignorent encore les subtilités de la libre concurrence, jusqu’à quel point le guide de conformité au droit de la concurrence peut-il remédier au déficit de connaissances ?

- Il est prouvé que quand il y a de nombreux acteurs sur le marché, il en résulte un prix raisonnable. C’est-à-dire avec des marges acceptables. A travers notre mission pédagogique, nous faisons comprendre aux opérateurs du secteur privé que la concertation et l’échange d’informations sont strictement interdits. Le message que le Conseil transmet est clair : pas d’entente sur les prix, autrement, il y aura des conséquences en termes d’enquêtes.


- Les dernières années ont vu l’émergence d’un tissu associatif dans la protection des consommateurs. A quel point le Conseil de la Concurrence est-il à l’écoute des associations ?

- Nous sommes d’autant plus proches que l’un des membres du Conseil est un représentant d’une grande association de défense des droits de consommateurs. Le Conseil est résolument déterminé à agir de concert avec les associations, surtout en ce qui concerne le suivi des marchés et le recueil d’informations.


- Le guide de bonnes pratiques recommande la mise en place d’un dispositif d’alerte qui permet aux salariés de signaler des pratiques douteuses au sein de l’entreprise. Est-ce réalisable ?

- Absolument, force est de constater que la conformité légale existe d’ores et déjà dans plusieurs secteurs tels que l’assurance, les télécoms, etc. Comme la concurrence concerne aussi bien les secteurs régulés que ceux non régulés, on met en garde tous les opérateurs qu’ils peuvent être contre la loi sans s’en rendre compte.

Par exemple, si deux commerciaux d’entreprises différentes décident par eux-mêmes de se mettre d’accord pour partager un marché, les directions se rendent également coupables. C’est pour cette raison qu’on conseille aux entreprises de se doter de procédures permettant de signaler les abus de leur propre personnel. Idem pour les associations professionnelles.


- Est-ce que le Conseil de la Concurrence est à l’écoute des lanceurs d’alerte et comment garantir leur protection ?

- Plusieurs pays ont voté des lois protégeant les lanceurs d’alerte dans tous les domaines, quelle que soit la nature des infractions dénoncées. D’où l’urgence d’une loi qui protège cette catégorie de façon générale. En ce qui concerne la transgression de la concurrence loyale, nous encourageons tous les acteurs concernés à signaler les mauvaises pratiques au Conseil de la Concurrence avec la garantie que les enquêtes iront jusqu’au bout.




Recueillis par Anass MACHLOUKH

Marché publicitaire



La stratégie du Conseil de la Concurrence pour briser la domination des GAFA
 
Forts de leur position dominatrice sur Internet, les géants du web - nommés GAFA - exercent une certaine tyrannie dans le marché publicitaire qui pèse lourdement sur les médias. À l’instar du monde entier, le Maroc est également concerné. Interrogé sur ce point, Ahmed Rahhou a fait part de la préoccupation du Conseil de la Concurrence (CC) à ce sujet.

“C’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup puisque nous estimons que la liberté de la presse et la concurrence dans ce secteur doivent être sauvegardées (…) La situation actuelle est d’autant plus préoccupante que c’est la publicité qui finance le journalisme libre puisque l’information est souvent gratuite”, a-t-il affirmé, annonçant que le Conseil est actuellement en contact avec l’Union Européenne.

Ahmed Rahhou nous confie, dans ce sens, qu’il a eu dernièrement une discussion avec le patron de la Direction générale de la concurrence de l’UE sur cette question. Comme ce sujet est complexe, le président du CC estime qu’il faut se mettre dans les pas des pays qui ont commencé à s’attaquer à ce problème que pose la domination des GAFA. L’enjeu, selon lui, est de trouver un début de solution.

“En France, par exemple, on a inventé la notion du droit voisin, c’est-à-dire que les géants d’Internet doivent payer un droit de publicité lorsqu’ils reprennent une information produite par un média et qu’ils en tirent des bénéfices publicitaires”, explique notre interlocuteur qui croit qu’il faut aller dans ce sens quitte à changer la réglementation.

“Pourtant, il faut que la corporation de la presse marocaine prenne également l’initiative pour faire évoluer l’arsenal législatif”, a-t-il préconisé.


A. M.
 








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