Alors que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, vient à peine de tourner la page des grèves des avocats, il se retrouve engouffré dans une nouvelle polémique plus retentissante médiatiquement. Contrairement aux années précédentes, le concours des avocats n’est pas passé inaperçu sous les radars médiatiques vu les rumeurs qu’il a suscitées après la publication de la liste des candidats admis à passer l’examen oral. Une liste, rappelons-le qui a soulevé contre le ministre une vague d’accusations de favoritisme et de clientélisme. Ce à quoi s’ajoute la colère des candidats qui n’ont pas manqué de protester, mardi, devant le Parlement où Ouahbi s’était rendu le même jour pour répondre aux questions des Conseillers. Népotisme, manipulation des résultats, discrimination... Les manifestants n’ont pas tari d’accusations pour dresser leur réquisitoire. Leur colère est exacerbée par les déclarations jugées déplacées du ministre lorsqu’il a évoqué les études de son fils au Canada un jour plus tôt.
Face à ce cyclone de colère, Ouahbi s’est défendu en allant, le soir du mardi, au plateau d’Al Oula. Interrogé sur le sujet, il a rejeté tout soupçon de manipulation des résultats, arguant que l’examen est soumis à l’automatisme d’une machine. « Il n’y a eu aucun cas de personne qui n’a pas réussi bien qu’il ait eu la moyenne », a-t-il fait savoir, précisant que le ministère a donné la possibilité à tout candidat qui se sent lésé de faire un recours auprès de la commission ministérielle chargée des examens. « Nous avons reçu beaucoup de demandes », a-t-il confié à ce sujet.
Plus de candidats admis que prévu !
En somme, 2081 ont réussi l’examen parmi les 48.000 candidats qui ont été retenus, sachant que 73.000 se sont présentés au début. Un chiffre plus élevé que le nombre enregistré en 2019 où il y a eu 30.000 candidats.
Loin du débat virulent sur les réseaux sociaux, ce qui a été à l’origine de la polémique est le nombre de personnes admises. En réalité, l’examen des avocats n’est pas plafonné, cela signifie que toute personne ayant eu la moyenne (80/160) passe. Ce qui a posé problème c’est que le ministre a demandé la baisse du seuil de réussite pour permettre au plus grand nombre de candidats de réussir. Une mesure perçue comme un appel d’air. A cet égard, le ministre a reconnu au plateau de la Chaîne nationale qu’il a eu du mal à convaincre la commission ministérielle de baisser le seuil.
Comment s’est passé le concours ?
A en croire Ouahbi, les épreuves écrites se sont déroulées de façon transparente sous la supervision d’une commission compétente. En effet, les copies sont anonymes, mais portent un code qui permet à « la machine » d’identifier les candidats. Ensuite, les copies sont passées par cette machine de correction qui fait le cumul des notes et établit ensuite la liste des résultats par ordre décroissant.
Le QCM remplace la dissertation !
En effet, cette année, l’examen s’est déroulé sous forme de QCM (questionnaire à choix multiple) à points négatifs (suppression de points en cas de réponse négative), comme stipulé dans l’arrêté ministériel n°43, qui a été jugé surprenant dans l’épreuve écrite, aux yeux de plusieurs avocats que nous avons consultés. Selon eux, il était de coutume d’organiser souvent les épreuves écrites sous forme de sujets de réflexion, de dissertations et des cas pratiques... etc. Ce à quoi s’ajoute une dissertation sur un sujet de culture générale qui n’a pas été exigé cette année.
Il y a eu deux épreuves de trois heures, dont la première porte sur des sujets relatifs au système judicaire, la procédure civile et le Code de procédure pénale. Le deuxième s’est articulé, par contre, sur le Code des obligations et des contrats, le Code pénal et les procédures administratives.
Plafonnement comme alternative ?
Comme la question du nombre d’admis pose problèmes, ils sont nombreux à plaider pour le plafonnement du nombre des personnes retenues. « C’est une mesure qui peut nous éviter ce genre de polémiques dans le futur puisque le pouvoir discrétionnaire du ministre a été perçu d’un œil méfiant dans ce cas », estime un avocat du Barreau de Casablanca qui a requis l’anonymat, expliquant que la polémique sur les noms de famille n’est pas forcément pertinente. Idem pour Hicham, avocat au Barreau de Rabat, qui ne voit aucun mal à ce qu’un fils d’avocat ou quelqu’un issu d’une famille traditionnellement ancrée dans le métier puisse y aspirer, pourvu qu’il y accède sur la base du mérite.
Toutefois, juge notre interlocuteur, le fait de laisser passer des candidats n’ayant pas eu la moyenne, sous quelque prétexte que ce soit, ne rend pas service à la qualité de l’exercice de la profession. Ouhabi s’est montré conscient de cela, mais il parie sur la période du stage pour que les futurs avocats se rattrapent. C’est ce qu’il a expliqué sur le plateau d’Al Aoula.
L’accès au métier : Ouahbi prépare sa réforme
Cette polémique renvoie à la question de l’accès au métier de façon générale, que le ministre veut réformer dans le cadre de la révision du cadre légal relatif à l’exercice de la profession qui, rappelons-le, est organisé depuis 1993.
L’accès au métier est toujours encadré par la loi n° 28-08 organisant l’exercice de la profession d’avocat, qui date de 2008. L’accès est réservé aux titulaires d’une licence en droit et d’un certificat d’aptitude à l’exercice de la profession d’avocat obtenu depuis moins de deux ans. Avant d’être reconnu apte à l’exercice du métier, le futur avocat doit réussir l’examen avant de passer un stage d’au moins 2 ans chez un cabinet d’avocat. Ensuite, il doit être inscrit au Barreau en payant une cotisation.
L’accès à la profession devrait subir des changements majeurs dans la future réforme de la loi relative à l’exercice du métier sur laquelle se penche Abdellatif Ouahbi, laquelle n’a pas manqué de lui causer des ennuis avec l’Association des Barreaux. La réforme compte mettre en place un institut de formation que les titulaires de licence peuvent intégrer par concours.
Avec un statut d’étudiants-avocats, ces deniers suivent une formation d’un an suivie d’un stage de quatre mois dans des administrations en lien avec l’exercice du métier. L’obtention du certificat d’aptitude est conditionnée, selon le texte de la réforme qui a fuité dans les médias, par la réussite dans le concours de fin de formation. La réforme, décriée par une grande partie des robes noires pour d’autres raisons, s’annonce dure pour le ministre qui tente de convaincre l’Association des Barreaux du Maroc du bien-fondé de son projet. Les discussions ont repris depuis début décembre après une longue période de vide.
Encadré
Ils ont réussi, et après ?
Loin de la controverse, l’organisation du concours est tout aussi problématique que la question de la formation dans la mesure où les avocats admis aux concours, de plus en plus nombreux, trouvent beaucoup de mal à faire un stage au niveau des Cabinets d’avocats. Selon maître Issam Lahlou, avocat au Barreau de Rabat, les Cabinets des avocats peinent à fournir une formation adéquate aux stagiaires faute de moyens (Voir les trois questions). Selon notre interlocuteur, nombreux sont les avocats qui ne sont pas assez actifs pour apprendre assez de choses aux stagiaires. « Il y a des cabinets qui n’ont que quatre dossiers par moi », indique-t-il.
Cette difficulté est exacerbée par la nécessité d’accorder une bourse aux stagiaires pendant leurs de durée de stage. Chose que beaucoup d’avocats se déclarent incapables de faire. S’ajoute à cela le manque d’encadrement qui en résulte, ce qui porte atteinte même à la profession d’avocat, juge M. Lahlou. « Le métier d’avocat n’est pas un poste d’emploi comme les autres, c’est une vocation dont la gestion par l’Etat doit être dépourvue de considération économique. D’où la nécessité de donner tous les moyens pour permettre aux avocats d’être formés dans les meilleures conditions », a ajouté notre interlocuteur.
Cette problématique qui ne date pas d’aujourd’hui est soulevée depuis des années puisque le Bâtonnier de Casablanca a évoqué ce sujet il y a trois ans. En somme, les barreaux et l’Etat se renvoient la balle sur cette question. Les robes noires appellent à la création de l’Institut de formation en plus des instituts régionaux.
TROIS QUESTIONS à ISSAM LAHLOU
« Les Cabinets d’avocats n’ont pas les moyens d’accompagner les stagiaires »
Issam Lahlou, avocat au Barreau de Rabat, a répondu à nos questions sur l’accès à la profession et les problèmes liés à la formation des robes noires.
-Que pensez-vous de la baisse du seuil de réussite au concours cette année, est-ce une bonne idée ?
- Comme vous savez, les épreuves ont eu lieu sous forme de QCM à points négatifs, c’est-à-dire que plusieurs candidats qui pensaient avoir bien répondu se retrouvent avec des notes en dessous de la moyenne. C’est pour cela qu’il y a eu autant de polémique. Le système tel qu’il est appliqué a donné 800 personnes retenues, mais la baisse du seuil a permis à 1281 personnes supplémentaires de réussir. C’est au-delà du nombre demandé par les Barreaux. Comme ils n’ont pas eu la moyenne au début, j’estime que c’est un peu problématique du point de vue de la qualité de l’exercice de la profession.
- A votre avis, fait-il plafonner le nombre des personnes admises ?
- Oui. Personnellement, je le recommande vivement puisqu’il s’agit d’une façon d’éviter les fausses interprétations des résultats du concours. Mais j’estime que la polémique sur la liste des résultats est exagérée. Contrairement à ce que pense beaucoup de gens, le métier d’avocat n’est pas
un métier élitiste comme il le fut dans le passé.
- La réforme promise par le ministre est-elle de nature à améliorer l’accès au métier ?
- En effet, la baisse du seuil de réussite a été décidée pour donner l’opportunité au maximum de candidats de réussir. Mais, avant de songer à cela, il faut plutôt penser à leurs parcours sachant
que plusieurs d’entre eux auront du mal à trouver un accompagnement digne de ce nom durant la période du stage. La plupart des cabinets d’avocats ne sont pas en mesure de fournir une formation à la hauteur des attentes pour les stagiaires puisqu’une grande partie n’a pas les moyens. Même la mise en place d’un institut de formation ne suffit pas. Il faut une reconsidération globale de la profession et des conditions de son exercice.