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Capitaine Abdelfattah Bouzoubaa: "La notion de souveraineté attachée au pavillon du navire est désuète"


Rédigé par Soufiane Chahid Mercredi 29 Novembre 2023

Ancien directeur et conseiller du Président de la COMANAV, ancien conseiller de l'Organisation maritime internationale (IMO) et fondateur du Moroccan Maritime Museum, le capitaine Abdelfattah Bouzoubaa nous livre ici son point de vue sur la constitution d’une marine marchande nationale.



Quel est l’état actuel de la marine marchande nationale ? Pensez-vous qu’elle soit assez dotée en flotte et en compétences pour accompagner les ambitions maritimes du Maroc ?
 
La flotte de commerce marocaine compte actuellement une quinzaine de navires seulement et comprend des porte-conteneurs, des navires à passagers et des tankers. Il est évident que cette flotte est insuffisante pour accompagner les ambitions maritimes du Maroc.

Pensez-vous que le pavillon marocain soit assez compétitif pour les armateurs et les exploitants de navires ? Sinon, quelles sont les pistes pour améliorer cette compétitivité ?
 
Lorsque l'Organisation Internationale Maritime (OMI) a été créée en 1958, seuls 13% de la flotte mondiale battaient pavillon de libre immatriculation. Ils sont environ 80% aujourd'hui dont plus de la moitié battent les pavillons de libre immatriculation de Panama, du Libéria, des îles Marshall, de Malte et des Bahamas. L’attrait de ces pavillons s’explique par les nombreuses facilités et avantages, pas seulement d’ordre fiscal, qu’ils offrent aux armateurs.

Les 20% restant de la flotte mondiale qui battent des pavillons nationaux le font pour des motifs réglementaires, comme l’obligation de battre pavillon national pour les navires qui opèrent en trafic de cabotage par exemple. Les armateurs bénéficient dans ce cas d’une réservation de trafic.
 
On voit bien que si les armateurs propriétaires de 80% environ de la flotte de commerce mondiale optent pour le pavillon de libre immatriculation, c’est parce que la plupart des pavillons nationaux, incluant le pavillon marocain, ne sont pas compétitifs.
 
La marine marchande est une activité mondialisée. La notion de souveraineté qui était attachée au pavillon du navire est désuète. Le « pavillon » est depuis longtemps déjà un choix pratique et économique.

Quels sont les secteurs clés du domaine maritime où le Maroc doit investir davantage pour renforcer sa présence internationale, tels que le transport de passagers, le transport de conteneurs, le transport de vrac, la logistique portuaire, etc. ?
 
Il faut d’abord rappeler que l’épidémie de Covid-19 a démontré, à ceux qui l’ignoraient encore,  l’importance vitale de la composante transport maritime dans les chaines d’approvisionnement mondiales.
 
Pour déterminer les secteurs clés du domaine maritime où le Maroc doit investir, il faut segmenter ce marché.
 
Concernant le transport de passagers, celui-ci porte en rythme annuel sur environ 5.000.000 de passagers et leurs véhicules soit environ 1.000.000 d’unités. Les armateurs marocains devraient pouvoir transporter la moitié de ce trafic. C’était le cas jusqu’au début des années 2000. Par conséquent l’investissement en navires à passagers est souhaitable.
 
Comme dans la grande majorité des pays, il faut réserver le trafic de cabotage aux navires battant pavillon marocain. Il convient également d’encourager le transport par voie maritime du commerce entre régions du Royaume pour alléger le trafic camions sur les routes et réduire la pollution.
 
Le Maroc importe et exporte du vrac sec. Un navire qui arrive avec une cargaison de soufre ou de blé peut repartir avec un cargaison de phosphates. Dans le vrac liquide, c’est pareil. Il y a du vrac liquide à l’import et à l’export. Il y a donc des possibilités d’emploi de navires dans le vrac sec et liquide à étudier.
 
Dans le trafic hydrocarbures où le Maroc est importateur net (153,2 milliards de DH en 2022), les deux armateurs marocains existants transportent  moins de 10°/° du tonnage de combustible importé…et ce trafic est ô combien stratégique. Il faut donc se dépêcher d’accroitre les capacités de transport marocaines dans ce secteur.
 
Dans le trafic conteneurs, actuellement il ne reste presque plus de place sauf dans le feedering du fait de l’importance prise par les mega-carriers grâce aux réseaux de lignes conteneurisées qu’ils ont tissé autour du globe et aux services associés qu’ils assurent. Toutefois, la nouvelle configuration des échanges du Maroc avec l’Europe et l’Afrique qui se dessine grâce aux zones industrielles de TangerMed et de Dakhla conduira à la création de lignes régulières courtes qui offriront des opportunités d’investissement aux armateurs marocains.

Il faut enfin souligner que les investissements dans les navires de commerce sont très capitalistiques et nécessitent des modalités de financement adaptées.
 
Selon vous, quelles devraient être les priorités d’une nouvelle stratégie marocaine pour la promotion de la marine marchande ?
 
Toute stratégie doit tenir compte des faits ci-après:
 
  1. Le transport maritime assure :
    • 98% du commerce extérieur.
    • 40% du trafic passagers.
  2. Le Maroc est situé dans l’axe des trafics conteneurs mondiaux Est-Ouest et Nord-Sud.
  3. Le Maroc importe et exporte des vracs secs et liquides.
 
Le volume des échanges extérieurs du Maroc en 2022 était de 112 millions de tonnes, excluant le trafic de transbordement par TangerMed. La valeur des importations en 2022 était de 737,4 Milliards de DH et celle des exportations de 428,6 Milliards de DH, soit un commerce extérieur total de 1.166 Milliards de DH.

Si on considère que la valeur du fret représente 4% seulement de la valeur des échanges, la facture nationale de fret maritime serait de 46,64 milliards de dirhams. Ce montant est presque entièrement payé en devises à des armateurs étrangers. A cela s’ajoute le prix du passage des 5 millions de personnes et de leurs véhicules qui empruntent les lignes maritimes entre le Maroc et le Sud de l’Europe, desservies essentiellement par des armateurs étrangers.
 
La stratégie doit encourager l’investissement dans la marine marchande et mettre les armateurs marocains sur un pied d’égalité avec leurs concurrents étrangers en matière législative, fiscale et administrative.
 
Les réformes juridiques qu’exige cet alignement prendront beaucoup de temps. Aussi Il convient de réfléchir aux moyens d’accélérer la constitution d’une flotte sous contrôle national compétitive et performante. A cet égard, il faut adopter le concept de navire sous contrôle marocain au lieu de navire sous pavillon national, un navire sous contrôle national pouvant être sous pavillon de libre immatriculation ou sous pavillon marocain.

Lorsqu’on dit par exemple que l’armateur danois Maersk est le 2eme plus grand armateur du monde, il faut savoir qu’il n’a que très peu de navires sous pavillon danois. Ainsi les armateurs marocains opérant à l’international doivent pouvoir immatriculer leurs navires sous pavillon de libre immatriculation, comme leurs concurrents, en attendant que la législation nationale soit adaptée pour leur offrir un cadre de travail similaire.
 
Pour relancer le secteur de la marine marchande au Maroc, l’implication de l’État (ou d’entreprises publiques) dans la création de compagnies maritimes est nécessaire comme l’est l’association avec des armateurs étrangers réputés pour recréer le savoir-faire et retisser les liens avec le marché international du transport maritime qui ont été perdus avec la quasi-disparition de la marine marchande marocaine. Bien entendu, l’objectif final est la création d’une nouvelle génération d’armateurs marocains privés.
 
Il faut également créer des synergies entre armateurs et chargeurs nationaux pour permettre à ceux-ci d’avoir la maitrise de la composante transport maritime. Les exportateurs préfèrent traditionnellement vendre leurs cargaisons en FOB et les importateurs à acheter les leurs en Coût et Fret,
 
Au niveau portuaire, le Maroc a su tirer profit de sa position géographique avantageuse grâce à la stratégie portuaire nationale à l’horizon 2030.  La mise en œuvre progressive de cette stratégie, qui a nécessité des investissements se chiffrant en dizaines de milliards de dirhams,  a permis au Maroc de faire face à l’augmentation de ses échanges commerciaux. Il est souhaitable de faire un effort similaire en faveur du secteur de la marine marchande pour servir les ambitions louables que le Royaume affiche désormais dans ce domaine.
Propos recueillis par Soufiane Chahid








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