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« Btana de l’Aïd » : Une aubaine pour l’industrie du cuir au Maroc ?


Rédigé par Mina ELKHODARI et Nada EL ICHATI Mardi 19 Juillet 2022

Les peaux de mouton de la fête d’Al-Adha ne connaissent pas toutes le même sort. Le tannage ou la « dbagha », comme appelée couramment par les nationaux, constitue une activité incontournable de la tradition artisanale marocaine.



Cette activité s’est répandue dans le pays, principalement depuis Fès et Marrakech, déjà à l’époque de la dynastie des Almohades, soit dès le 12ème siècle. D’autres tanneries ont vu le jour plus tard à Tétouan et Taroudant, où la tradition se maintient toujours. L’art du tannage demeure pratiqué selon les mêmes techniques d’antan.

La « btana » des moutons et des chèvres est la matière phare de l’industrie du cuir. Sa transformation suit un processus de traitement bien distinct, comme l’explique Isaac Abessera, professionnel et fin connaisseur du tannage à Casablanca : « L’introduction des peaux dans de grands récipients remplis de chaux, d’ammoniac et d’excréments de pigeons où elles sont conservées plusieurs jours. Après vient la procédure d’enlèvement des poils restants collés sur les peaux. En cas d’exigence au niveau du colorage, celles-ci seront plongées dans des cuves remplies de colorant naturel, de menthe ou de henné.

Par la suite, les peaux sont prêtes comme matière première pour fabriquer des sacs, manteaux, chaussures, ceintures… ». Il y a quelques décennies encore, le traitement des « btanas » n’était pas l’apanage des tanneries. Beaucoup de femmes aux foyers n’hésitaient pas à transformer leurs terrasses en véritables ateliers, les jours suivant Al-Adha.

En d’autres termes, la peau du mouton de l’Aïd ne faisait pas systématiquement partie des déchets finissant dans les bennes à ordures. Elle constituait, au contraire, un élément d’une haute importance, compte tenu de son utilisation, après un traitement spécial, à des fins diverses et variées, comme la décoration d’intérieur, tapis de prière, descente de lit… pour ne citer que ces exemples. Veiller à obtenir une bonne « btana » commence au moment même du sacrifice.

Ainsi, au moment du dépeçage du mouton, il faut faire attention à ne pas l’abîmer, pour qu’elle reste intacte et ne pas être percée par un coup de couteau maladroit. L’après-midi de l’Aïd, les femmes procèdent au lavage, puis au séchage de la peau au soleil, après l’avoir saupoudrée de sel et d’alun pilé, dans l’optique d’en obtenir une pièce à multiples usages.

«De notre temps, chaque partie du mouton de l’Aïd était utilisable. La peau, elle, était une pièce maîtresse de notre foyer », témoigne Lalla Hadda, une senior casablancaise, avec un grain de nostalgie dans la voix. Toujours selon ses dires, « la btana » est transformée en « haydoura ». Une spécialité artisanale bien de chez nous qui finit ses jours dans la chambre des enfants, au salon, ou sur un banc de cuisine ou à la salle à manger. «Après le nettoyage de la laine, le revers de la haydoura doit être frotté au sel et exposé pour être séché au soleil. C’est de cette façon qu’elle peut durer le plus longtemps possible», tient-elle à préciser.

La « btana » est souvent accommodée pour la fabrication de la «guerba», soit ce bon vieux «frigo» ancestral utilisé, depuis la nuit des temps, dans la région du Maghreb pour conserver la fraîcheur de l’eau en période d’été. A cette fin, dans les régions de l’Oriental, les femmes ont recours à l’huile de cade (guetrane) pour bien soigner la peau et éliminer la mauvaise odeur.

Cela va de soi, l’on ne peut parler de «guerba » sans évoquer le «guerrab», ce bonhomme de rouge vêtu, avec une sorte de sombrero sur la tête et une clochette pendant au cou, sillonnant les bazars et souks des grandes villes du pays, portant une sorte de besace remplie d’eau et des verres en cuivre ou en bronze.

Sa cible : les touristes ou les simples passants assoiffés par leurs virées « shoppinguesques » ou par les chaleurs qui font grimper le mercure en cette période de l’année. Sa particularité : il se contente d’une poignée de centimes et parfois d’un sourire ou d’un «merci », en échange de quelques gorgées d’eau. La « btana » de mouton se transforme également en « chekoua », cette ingénieuse invention traditionnelle permettant de transformer le lait en «lben » ou petit lait.

Quid de la compétitivité ?

Au-delà des activités traditionnelles liées aux peaux de mouton, l’industrie du cuir demeure une composante clé du secteur des biens de consommation au Maroc, car elle joue un rôle crucial dans l’économie nationale, étant accessible dans tous les coins et recoins du pays.

A tout point de vue, d’après plusieurs recherches concordantes, la compétitivité des entreprises du secteur, à l’instar des autres activités économiques, est déterminée par des facteurs comme les bonnes pratiques de management, la qualification des ressources humaines, l’innovation et une stratégie Marketing pertinente. Les industriels du cuir disposent d’une offre englobant l’ensemble de la chaîne de valeur : de la récupération de la matière à la commercialisation des articles en cuir, en passant par l’étape décisive qui est la fabrication. Des marques de luxe internationales ont fait leur fonds de commerce et recette de succès de la transformation du cuir, avec pour principal fournisseur mondial les artisans marocains.

Ce marché juteux exporte 58% de la production du secteur du cuir. La chaussure, quant à elle, est le produit phare de ce secteur avec 80% des exportations. Quant aux cuirs et autres peaux tannées, ils arrivent en deuxième position avec 12%.

Enfin, les produits de maroquinerie et d’habillement représentent 8% des exportations. Selon de récentes statistiques de la Fédération des industries du cuir (FEDIC), les exportations du secteur, toutes filières confondues, ont connu une chute remarquable durant l’année 2020.

Ainsi, le chiffre d’affaires global a baissé de 3,9 en 2019 à 3,07 milliards de dirhams entre janvier et décembre 2020, soit un recul de 21% par rapport à l’exercice de l’année précédente. D’un autre côté, une baisse de 22% a été notée au niveau du volume des exportations. Celui-ci s’est situé à 15.317 tonnes, contre 19.600 au cours de l’année 2019.


 

3 questions à Isaac Abessera, propriétaire d’une tannerie de cuir


« Malgré les mutations du marché, le cuir reste une matière
noble privilégiée au Maroc et ailleurs »
 
- Si Aïd Al-Adha constitue une aubaine pour votre industrie, comment participe-t-elle dans son développement ?

- Généralement, on n’achète pas trop de « btanas » de mouton en raison de leur mauvaise qualité. Pour vous donner une idée : sur un total de 100 peaux, seules 40 restent utilisables. Ajoutons à cela la faible demande à l’exportation sur fond d’une faible capacité journalière de traitement de peaux, avec une moyenne de 3000 peaux traitées par jour. Cette année, par exemple, nous avons acheté 20.000 «btanas » qui sont prêtes au traitement.


- Cette activité est-elle à forte valeur ajoutée ? Qu’en est-il du secteur de l’automobile ?

- Nous sommes présents dans le secteur du cuir depuis 1970. Malgré les mutations du marché, le cuir reste une matière noble et vivante qui sera toujours demandée avec une bonne valeur ajoutée. Si nous sommes aujourd’hui sur la production des chaussures et vêtements, nous sommes également prêts à agir dans le secteur de l’automobile qui nécessite des équipements spécifiques.

Par ailleurs, en termes de manque, nous ne sommes pas bien équipés pour collaborer dans le domaine du mobilier. La production des canapés en cuir, par exemple, reste une activité laborieuse qui requiert de lourds investissements en termes de matériel.


- Quels sont, selon vous, les enjeux qui entravent le développement de votre activité ?

- Je dirais principalement le matériel nécessaire pour le traitement des « btanas ». Comme nous sommes sur le marché du textile, la capacité de nos machines ne dépasse pas le tannage des peaux de moutons et de chèvres. Si jamais nous avions l’équipement pour aller beaucoup plus loin, nous n’hésiterons pas.



Recueillis par M. ELKHODARI

 








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