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Biodiversité : Bientôt le retour des crocodiles marocains dans la Nature ?


Rédigé par Omar ASSIF Dimanche 20 Novembre 2022

Alors que la biodiversité mondiale continue de s’éroder, le crocodile du Maroc est revenu au pays et pourrait bientôt retourner dans les habitats où il a jadis vécu.



Un énième signal d’alarme sur la disparition rapide et inquiétante de la faune sauvage a été sonné récemment à travers la publication du « Living Planet Report 2022 », de WWF (Fonds Mondial pour la Nature) et la Société zoologique de Londres (ZSL). On y découvre que près de 69% de la faune mondiale a disparu en moins d’un demi-siècle. Certaines de ces espèces se sont éteintes à jamais en l’absence de programme de conservation et de réintroduction.

Si la faune de notre pays ne semble pas épargnée par ce phénomène, l’enjeu de lutte contre l’érosion de la biodiversité implique de conserver les habitats naturels et de multiplier les initiatives de réintroduction dans la Nature, y compris pour des espèces prédatrices. Il y a quelques semaines, des articles de la presse française ont évoqué la « réintroduction au Maroc » d’un couple de crocodiles issu d’un parc lyonnais « dans un oued protégé ». Une information dont nous avons confirmé l’imprécision, puisque les reptiles en question ne retourneront jamais aux gueltas du Maroc où ils ont jadis vécu. Leur descendance, en revanche, aurait des chances d’y arriver.

Crocodiles du Sahara

Contactés par nos soins, les responsables du CrocoParc d’Agadir confirment qu’il s’agit d’un couple de crocodiles d’Afrique de l’Ouest dont l’espèce avait jadis vécu au Maroc. « Ils ont été installés dans un bassin d’une trentaine de mètres de longueur (plus grand que leur bassin lyonnais) disposant de niveaux différents d’eau (entre 20 cm et 1m60 de profondeur). Les deux crocodiles ont également des terriers pour s’abriter, à l’image de ce qu’ils ont dans la Nature », explique la même source.

C’est manifestement une première étape pour assurer la multiplication de l’espèce afin de pouvoir la réintroduire dans le futur dans les écosystèmes marocains. « On peut imaginer que des générations issues de ce couple soient relâchées dans la Nature. Cela devra bien évidemment se faire en accord avec les administrations et les populations locales. Pour réussir ce projet, il est nécessaire que les populations qui vivent autour de gueltas y trouvent de l’intérêt, notamment à travers des activités d’écotourisme. En attendant, il y a un gros travail de pédagogie et de mémoire à faire », précise Luc Fougeirol, directeur de CrocoParc

Conflit Homme-Animal ?

« Les gueltas dans lesquelles ont vécu les crocodiles durant le siècle dernier étaient caractérisées par la présence permanente de l’eau. Un des défis d’une éventuelle introduction de cette espèce sera logiquement lié à la viabilité de l’habitat au vu des vagues de sècheresse que connaît le pays », spécule pour sa part Dr Abdellah Bouazza, herpétologue.

À l’instar d’autres espèces potentiellement dangereuses pour l’Homme, le retour des crocodiles dans la Nature ne pourrait-il pas constituer un risque de conflits Homme-Animal ? La réponse est manifestement négative selon un rapport (datant de 2015) du Groupe d’Études et de Recherche des Écologistes Sahariens (GERES). « Ces crocodiles ne peuvent par nature ni s’enfuir, ni s’envoler. Inféodés à leur guelta permanente, ils ne constitueront aucun risque pour la population locale. Cette réintroduction démontrera que celle d’espèces sauvages est bénéfique. Ce bénéfice pourra s’exprimer notamment au travers du développement d’un tourisme naturaliste respectueux de l’environnement ainsi que des populations locales », précise le document.

Défis de reproduction

En attendant de pouvoir trancher sur la faisabilité de la réintroduction, le couple de crocodiles du Sahara semble bien s’acclimater à son nouvel habitat marocain. « Ce sont les deux premiers représentants de cette espèce qui reviennent dans le territoire marocain. Ils sont ainsi les ambassadeurs de leur espèce. Quelques jours après leur arrivée, nous avons remarqué qu’ils ont légèrement changé de couleur, puisque les crocodiles ont tendance à voir leur couleur s’éclaircir quand ils ont bien chaud. Ils sont magnifiques, j’en ai rarement vu d’aussi beaux », précise le directeur de CrocoParc.

Âgés de 49 et 36 ans, les deux crocodiles pourront-ils véritablement assurer un « noyau reproducteur » qui pourra servir à la réintroduction de l’espèce au Maroc ? « Ils sont encore jeunes pour des crocodiles ! D’autre part, si on met des animaux de ce genre dans de bonnes conditions, ils se reproduisent. En témoignent les crocodiles du Nil et les caïmans que nous avons dans le parc et qui s’y reproduisent chaque année », assure la même source.



Omar ASSIF

Repères

L’ancêtre marocain des crocodiles
En 2012, la découverte d’un crâne fossilisé a pu établir que l’ancêtre des crocodiles africains a vécu dans les territoires équivalents au Maroc actuel, il y a environ 95 millions d’années. La créature baptisée «Shieldcroc» (crocodile blindé) en raison de l’épaisse couche de peau recouvrant le dessus de sa tête, a été mise au jour par une équipe américaine de l’Université du Missouri. L’animal dont le nom scientifique est « Aegisuchuswitmeri » aurait eu une taille qui dépassait les 10 mètres de longueur.
 
Le CrocoParc d’Agadir
CrocoParc Agadir est le premier parc zoologique de crocodiles au Maroc, ouvert en mai 2015 dans la banlieue d’Agadir. Il abrite 325 crocodiles du Nil au sein d’un jardin botanique s’étendant sur environ 4 hectares. Depuis son ouverture, CrocoParc abrite diverses espèces animales, notamment des tortues géantes, des iguanes verts, des pythons géants ou encore des anacondas. Au-delà de son rôle pédagogique et ludique, CorocParc se veut également comme un espace qui contribue à l’étude et à la conservation des espèces menacées.

L'info...Graphie


Projection


Vers un inversement de la tendance de perte de la biodiversité ?
 
Selon le récent rapport « Living Planet Report 2022 », « le rythme effarant du déclin » des populations de la faune sauvage mondiale durant les cinquante dernières années, « est un avertissement sévère que la riche biodiversité qui soutient toute forme de vie sur notre planète est en crise, et que celle-ci met toutes les espèces en danger, y compris nous », les humains.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la double urgence interdépendante du changement climatique induit par l’Homme et de la perte de biodiversité, menaçant le bien-être des générations actuelles et futures, lit-on dans le rapport. « L’objectif d’inverser la perte de biodiversité pour parvenir à un bilan “nature” positif d’ici 2030 est primordial si nous voulons sauvegarder le monde naturel pour les générations actuelles et futures 193 ».

Les auteurs du rapport estiment que cet objectif est atteignable et voient un signe positif dans la mobilisation de 90 dirigeants mondiaux qui ont approuvé un accord pour préserver la nature, s’engageant à inverser la perte de biodiversité d’ici 2030.

 

Histoire


Il était une fois les petits crocodiles des oasis du Maroc
 
Pendant très longtemps, les scientifiques ont confondu l’espèce de crocodile qui vivait au Maroc avec celle qui vit en Egypte et porte le nom du Nil. Depuis plusieurs années et grâce aux analyses ADN, il est depuis établi qu’il s’agit en fait d’une espèce à part entière : le crocodile du Sahara ou crocodile d’Afrique de l’Ouest.

L’année d’extinction totale du crocodile au Maroc fait l’objet de certaines divergences. La littérature scientifique précise cependant que l’espèce a disparu en 1950 de la Guelta de Tanzida, et aurait encore été observée en 1951 dans la Guelta de Tizgui Remz, au sud d’Assa, ainsi que dans celle de Taffagount, au Sud d’Akka.

« Dans notre oasis, le crocodile, qu’on appelle Ouadem en amazighe, vivait dans une guelta de grande taille. Il se cachait le plus souvent dans un escarpement rocheux difficile d’accès. Durant les années 60 et même 70, il nous arrivait encore de le surprendre à prendre le soleil à côté de l’eau. Il se hâtait alors à revenir rapidement dans l’eau », raconte un septuagénaire originaire de Tanzida.

Si les crocodiles du Sahara sont réputés pour leur taille plutôt modeste par rapport aux crocodiles du Nil, ils n’en demeurent pas moins potentiellement dangereux. « Nos parents nous interdisaient de nous approcher de la grande guelta. Les populations de la région avaient été marquées par des accidents qui avaient eu lieu lorsque des bergers nomades avaient mal estimé le danger en s’approchant trop près avec leurs troupeaux de l’endroit où vivaient encore des crocodiles », poursuit notre interlocuteur.
 

3 questions à Luc Fougeirol, directeur de CrocoParc


« Ces crocodiles sont importants pour nous et pour le Maroc puisqu’ils sont issus d’une espèce qui a disparu dans le territoire du Royaume durant les années 70 »
 
Fondateur de CrocoParc dans la région d’Agadir, Luc Fougeirol répond à nos questions sur les conditions d’arrivée du couple de crocodiles du désert.


- Les deux crocodiles du Sahara ont-ils été achetés par CrocoParc ? Comment s’est passé le transport ?

- Le couple est un don du parc de la Tête d’Or, parc municipal de la ville de Lyon. Nous avons eu beaucoup de plaisir à les recevoir, car ces crocodiles sont importants pour nous et pour le Maroc puisqu’ils sont issus d’une espèce qui a disparu dans le territoire du Royaume durant les années 70. Le transport s’est bien passé. Ils sont arrivés dans un fourgon spécial dans lequel ils étaient installés dans des caisses aux normes internationales. Le voyage a été assez long, mais ils sont arrivés en bonne forme.


- Ces deux crocodiles sont-ils les seuls représentants de leur espèce ?

- Même si elle a disparu du Maroc, l’espèce continue à vivre dans d’autres régions, en Mauritanie notamment où elle subsiste encore dans deux gueltas, au Burkina-Faso, au Mali et au Tchad. Dans ces régions, leurs populations sont malheureusement de moins en moins nombreuses.


- Pourquoi cette espèce s’est-elle éteinte dans son habitat marocain ?

- Les crocodiles au Maroc ont disparu principalement à cause des grosses sécheresses qui ont sévi durant les dernières décennies de leur présence. Ils ont disparu durant les années 70 quand la peau de crocodile était à la mode et qu’il y a eu une recrudescence de la chasse. Du moment que leur présence n’a plus un intérêt économique, les populations de faune sauvage disparaissent malheureusement. Il faut vraiment que les populations qui vivent aux alentours de leurs habitats y trouvent un intérêt.

Mon espoir, c’est de réintroduire des générations issues de ce couple de crocodiles dans des gueltas dans le Sud, près de l’oued Draâ, où ils vivaient autrefois. Il y a d’ailleurs un étudiant en biologie (de la Faculté de Corte en Corse) qui a travaillé pendant plusieurs mois sur ce sujet, en essayant d’identifier des zones où ces animaux pourraient encore être réintroduits.



Recueillis par O. A.

 








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