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Aveugles et malvoyants : Une intégration au ralenti


Rédigé par Chaimae BARKI Lundi 18 Octobre 2021

Selon les statistiques du ministère de la Santé, environ 500.000 personnes au Maroc souffrent de déficiences visuelles parmi lesquelles 200.000 sont non-voyantes. Ces invisibles aux yeux des politiques vivent souvent dans des conditions difficiles, notamment en matière d’intégration professionnelle. Détails.



Aveugles et malvoyants : Une intégration au ralenti
La vie sociale, le logement, les transports, ou encore le travail, cela peut être une vraie corvée quand on est en situation d’handicap visuel. C’est le cas des diplômés chômeurs non-voyants et malvoyants au Maroc. Ces derniers revendiquent « un emploi par la voie d’un recrutement direct » et la mise en oeuvre du quota des 7% leur permettant d’intégrer la Fonction publique.

Depuis 2012, le gouvernement marocain a multiplié les promesses devant la contestation grandissante des non-voyants et déficients visuels, mais sans que cela n’aboutisse à des gestes concrets.

En 2016, une loi a même été votée pour appuyer un texte, déjà existant et qui date de 1997, exigeant des entreprises l’emploi d’un certain nombre de personnes handicapées. Une loi qui, de l’aveu même des autorités, « est difficilement applicable ». Une loi de mars 2016 annonçait également que, désormais, un concours de la Fonction publique exclusivement réservé aux personnes handicapées sera organisé chaque année, afin de leur garantir un accès minimum à l’emploi.

En fait, le parcours d’un non-voyant vers le marché de travail se heurte, dès le premier pas, à divers obstacles. Ces personnes, en général, souffrent d’un problème d’orientation. Après avoir décroché leur baccalauréat, ils se retrouvent face à un choix très limité de formations au cycle supérieur au point qu’il est rare de trouver des non-voyants ingénieurs ou experts en informatique, bien qu’ils soient capables d’exercer ces métiers.

Cet horizon assez étriqué est principalement dû au manque, voire à l’inexistence de matériel pédagogique et informatique adapté, et ce, pour leur permettre d’avoir plus d’opportunités d’insertion, une fois leur diplôme décroché.

Dans ce contexte, Rifaï Hicham, président de l’Association Marocaine pour la Réadaptation des Déficients Visuels (AMRDV), nous a indiqué qu’« en matière de scolarisation, une telle personne reçoit une éducation informelle car elle n’est pas prise en charge par l’Etat. Cela a été réclamé depuis longtemps », ajoutant que « l’éducation des aveugles nécessite plusieurs pré-requis dont le Maroc ne dispose pas. Elle repose sur un professionnalisme des enseignants et sur l’usage d’une technologie avancée pour assurer l’accès à l’éducation pour ces citoyens, raison pour laquelle l’Education nationale ne la prend pas en charge ».

Qu’en est-il du quota handicap ?

L’article 17 de la loi n°07-92 relative à la protection sociale des personnes handicapées stipule qu’«aucun citoyen ne peut, pour cause d’un handicap dont il est atteint, être privé de l’obtention d’un emploi dans le secteur public ou privé ».

Pour la Fonction publique, outre le quota de 7% de personnes en situation d’handicap exigé par la loi sur toute entreprise comprenant plus de 8 employés, trois concours ont été organisés exclusivement pour les personnes handicapées à partir de 2016 et ont représenté une chance énorme pour cette catégorie de citoyens.

Cette année, 400 personnes ont été recrutées, 200 personnes lors du concours dernier et 50 à l’occasion de la première édition. Certes, la situation d’handicap des personnes déficientes visuelles rend plus pénible la vie de tous les jours, mais cela n’annule pas leurs capacités intellectuelles et créatrices. Ainsi, leur inclusion est tributaire d’une communication effective et d’une coopération avec le tissu associatif des personnes déficientes visuelles.

Le numérique, indispensable à l’inclusion

A l’ère d’Internet et de la digitalisation des pratiques humaines, l’accessibilité numérique revêt une très grande importance et constitue un pas que tout Etat désirant inclure les personnes déficientes visuelles devrait franchir.

Rifaï Hicham, président de l’AMRDV, estime qu’il est inacceptable que les personnes non-voyantes ne puissent pas accéder à internet, indispensable aujourd’hui pour obtenir certains documents administratifs.

Dans ce sillage, il a relevé que «notre association a adressé plusieurs courriers et demandé à maintes reprises au ministère pour que les personnes aveugles déjà recrutées dans la Fonction publique puissent au moins avoir accès au site internet et à l’intranet de leurs ministères», ajoutant que « nous avons également proposé la formation de webmasters qui, moyennant des modifications mineures, puissent rendre les sites accessibles à tout le monde ».



Chaimae BARKI
 

AMARDEV, une association « Braillographe »
L’association A.M.A.R.D.E.V. est une association qui a pour objectif de créer au Maroc le concept de réadaptation pour les aveugles et les déficients visuels. Elle oeuvre dans le domaine de l’intégration scolaire, sociale, culturelle et professionnelle des déficients visuels au Maroc. Ainsi, l’Association se donne pour mission d’initier les enfants et les adultes à l’alphabet Braille. L’Association reçoit également des classes de non-voyants de tout le Maroc pour leur remettre des livres en Braille, fabriqués par l’AMARDEV, et adaptés à leur niveau.
 
Entre lutte politique et mendicité
Peut-on considérer ces aveugles comme des mendiants ? La réalité est contrastée. Si ces jeunes aveugles pratiquent la mendicité dans le centre politique et administratif de Rabat, c’est pour une raison très simple : ils ne se considèrent pas comme des mendiants, mais comme des citoyens en lutte pour l’égalité des droits. «Nous ne sommes pas des mendiants ! On ne mendie pas ici, on occupe le terrain ! Car notre combat est politique », nous confie l’un des jeunes aveugles qui protestait dans l’avenue Mohammed V, devant le Parlement. « Si les combats des aveugles d’autres pays sont parfois une source d’inspiration, la situation politique marocaine gâche souvent notre optimisme », a-t-il ajouté.

3 questions à M. Azelarab Idrissi, président et fondateur de la Ligue Braille du Maroc

Aveugles et malvoyants : Une intégration au ralenti

« Le gouvernement a adopté une éducation inclusive efficace mais qui est mal appliquée »
 
- Depuis 2012, on ne donne que des promesses aux personnes aveugles et malvoyantes : qu’en est-il des difficultés ?

- Il faut revoir la stratégie d’orientation de ces personnes au lycée et aux universités, et leur permettre d’explorer le monde des matières scientifiques au lieu de les borner dans les branches littéraires. Un autre point est très important : le gouvernement a adopté une éducation inclusive qui s’avère efficace mais qui est mal appliquée.

Par exemple, une petite école de nonvoyants à Taza a essayé d’appliquer la méthode inclusive. La démarche consistait à consacrer une petite salle d’une école ordinaire pour ces élèves non-voyants ; quant aux enseignants, ils sont eux aussi nonvoyants et n’entretiennent aucune relation avec les autres enseignants. Cela n’est point une inclusion mais plutôt une sorte de simple intégration vu qu’aucun changement n’a été effectué au niveau de la pédagogie et des programmes scolaires.


- Comment parviendrait-on à réussir une éducation inclusive ?


- Le matériel pédagogique adapté est d’une nécessité urgente pour mettre en place une éducation inclusive. Une personne non-voyante serait capable d’exceller en mathématiques si on mettait à sa disposition un matériel et des équipements pédagogiques lui permettant, à titre d’exemple, de distinguer le cercle du carré ou du triangle. En fait, l’initiative du gouvernement est louable et vise à instaurer une égalité de chances et à éradiquer la discrimination, et j’espère qu’elle se reproduira avec plus d’efforts sur le niveau pratique et pédagogique.


- Un message pour le nouveau gouvernement…


- Il faut absolument revoir l’éducation inclusive pour ces personnes, notamment au niveau de la documentation pédagogique et du matériel pédagogique. Il est aussi important de mettre en place une formation spécifique, de favoriser l’enseignement de matières scientifiques et d’informatique et de former des enseignants capables d’accompagner ces déficients visuels.
 
Recueillis par C. B.