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Culture

Astrud Gilberto, un succès planétaire payé 120 $


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 25 Juin 2023

Disparue récemment, la chanteuse née d’une mère brésilienne et d’un père allemand, avait 83 ans. Le hit qui colle à sa riche carrière est « The Girl from Ipanema » parcimonieusement rémunéré. Son parcours est bien plus ample que cette sommaire reconnaissance orchestrée par le célèbre saxophoniste américain Stan Getz qui la malmène à ses débuts. L’artiste donnait de la voix en anglais et en portugais, retenant une attention particulière à travers le monde.



Reine de la bossa-nova, elle peint et lutte contre la maltraitance des animaux.
Reine de la bossa-nova, elle peint et lutte contre la maltraitance des animaux.
Astrud grandit à Rio de Janeiro. Petite secrétaire au ministère de l’agriculture, elle rencontre le futur grand guitariste brésilien Joao Gilberto. Elle a dix-neuf ans. A ce moment précis, l’artiste qui devient gourou de la bossa-nova (nouveau truc) est plébiscité pour son album « Chega de Saudade ».

Nous sommes en 1959. Ensemble, ils débarquent aux Etats-Unis en 1963. Ils rencontrent Stan Getz et enregistrent la scie « The Girl from Ipanema », écrite un an auparavant par Vinicius de Moraes et composée par Antonio Carlos Jobim. La chanson parait sur l’opus « Getz/Gilberto ». Le succès est immédiat et incontrôlable.

Seulement, un bémol surgit. L’interprète est flouée par ses deux partenaires : son mari et Stan l’américain qui commence par avouer : « Quand j'ai entendu Astrud pour la première fois, j'ai pensé qu'il y avait quelque chose d'innocent et de sage dans sa voix - un tel opposé à ces filles à la voix de poitrine qui chantent du rock'n'roll. »

Avant de gifler en 1966 l’histoire naissante et prometteuse d’une voix envoutante : « Elle n'était alors qu'une femme au foyer, et je l'ai mise sur ce disque parce que je voulais que ‘’The Girl from Ipanema’’ soit chanté en anglais, ce que Joao ne pouvait pas faire. ‘’Ipanema’’ a été un succès et ce fut une chance pour elle. » Cette incongrue déclaration intervient après un bien malheureux évènement.

Astrud touche 120 dollars pour sa prestation studio, son mari 22.000 et Stan Getz un million. Cette somme ridicule est confirmée par le journaliste Gene Lees dans son live Singers and the Song II : « Astrud n'a pas été payée un sou pour cette session et en quelques jours, la chanson était dans les charts. Ça en était arrivé au point où Getz appelait le bureau de Creed Records (...) Creed pensait que Stan l'appelait pour s'assurer qu'Astrud ait une part des royalties. Au contraire, il appelait pour être sûr qu'elle ne touche rien. » Trouble et machiavélique de la part de quelqu’un qui se marie plus tard avec la femme qu’il écrase royalement.     
 
Une étoile au Latin Music-Hall of Fame
 
Astrud Weinert -son nom de naissance- voit le jour (ou la nuit) à Salvador de Bahia en 1940. Son premier amour, Joao Gilberto, quitte ce monde en 2019 et le second, Stan Getz, part en 1991. La chanteuse se forge, entre-temps, une carapace de gagnante.  « ‘’Fly Me to the Moon » (1972) est un nouveau succès majeur pour la chanteuse qui se fait compositrice avec les albums ‘’Astrud Gilberto Now’’ et ‘’That Girl from Ipanema’’ où sur des paroles de Hal Shaper, elle s’illustre aussi avec ‘’Far Away’’, chanté en duo avec Chet Baker, l’idole de son adolescence ». Paradoxalement timide, malgré un retentissement planétaire, elle s’engage dans des tournées aux Etats-Unis où elle réside, remet le couvert au Canada, en Europe et au Japon. Son groupe, concocté familièrement, comprend ses deux fils Marcelo et Gregory. De concert, ils créent les Productions Gregmar avec, à la clé, un album en hommage à Carlos Jobim, compositeur de l’hymne « The Girl from Ipanema ».

L’année 1996 est assez inhabituelle pour cette voix atypique et déroutante de renvois à ses origines brésiliennes : elle accompagne George Michael sur la reprise de « Desafinado » de Joao Gilberto qui la renvoie à l’an 1959 lorsqu’elle se lie maritalement à son premier homme. Elle dit également « oui » à Etienne Daho, couchant ses cordes vocales sur « Les bords de seine ». En 2001, Astrud fait sa dernière apparition, au Latin Jazz USA Awards. Dans la foulée, elle décroche à New York son étoile au Latin Music-Hall of Fame. Sept années plus tard, elle est récompensée par le Latin Music Awards pour l’ensemble de sa carrière. En se retirant de toute velléité vocale, l’attachante artiste embrasse le monde de la peinture, luttant parallèlement contre la maltraitance des animaux avec l’édition de l’essai « Les animaux ont besoin de notre aide ».

Ses déboires, enveloppant heurs et malheurs, la conduisent au titre de Reine de la bossa-nova, ce « nouveau truc » qui ne ment pas, qui enflamme et qui renvoie ensuite sous la douche, histoire de rappeler que la sueur n’est pas forcément enfantée par des rythmes effrénés, que le crescendo est une arme doucereuse menant variablement à la transe. Sa petite fille communique la première sur le dernier vol de sa parente : « J’apporte la triste nouvelle que ma grand-mère est devenue une étoile aujourd’hui et qu’elle se trouve aux côtés de mon grand-père, Joao Gilberto. » L’étoile gagne le ciel, narguant la Philadelphie américaine qui la contient depuis bien longtemps. Astrud l’universelle reste cette voix à mille tons, ce cœur qui déverse l’amour jusqu’à envahissement. 
Anis HAJJAM
 
   
 
 
 
 
 



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