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Arganier : Un «Arbre de vie», menacé par les cultures intensives


Rédigé par Saâd JAFRI Mardi 10 Mai 2022

Le Maroc et l›Organisation des Nations Unies fêtent, mardi, la deuxième édition de la Journée Internationale de l’Arganier, espèce endémique du Royaume. Une espèce considérée comme «l’arbre de vie» depuis des siècles par les populations du Sud, mais qui aujourd’hui est exposée à plusieurs dangers. Eclairage.



Arganier : Un «Arbre de vie», menacé par les cultures intensives
A quelques kilomètres de la baie de Taghazout, à flanc de montagne, une dizaine de femmes cheminent au bord de la route, dès les premières lueurs du jour. Elles se dirigent vers des coopératives spécialisées dans l’extraction de l’huile d’argan. Dans cette région, la vie des femmes est liée à l’arganeraie, et ce, de génération en génération. Pour elles, cet arbre millénaire est «un don de Dieu», qui est une principale source de revenus pour des populations qui étaient livrées à la précarité depuis plusieurs années.

«De tout temps, la femme a joué un rôle de premier plan dans la valorisation de l’arganier et la transmission des savoir-faire s’y rattachant. Aujourd’hui, cet héritage est transmis à travers les coopératives qui se font de plus en plus nombreuses dans la région», nous confie Jamila Idbourouss, Présidente de l’Union des Coopératives des Femmes pour la production et la commercialisation de l’huile d’Argane et des produits agricoles (Tissaliwine UCFA).

Aujourd’hui, la filière de l’Arganier c’est un chiffre d’affaires annuel de 1,2 milliard de dirhams, c’est plus de 45.000 emplois féminins directes, et c’est aussi 25.000 points de ventes partout dans le Maroc, d’Oujda à Boujdour, en passant par Berkane, Fès, Marrakech, sans oublier les capitales économique et administrative du pays. C’est dire que cette espèce rare et endémique, qui n’existe à l’état naturel nulle part ailleurs qu’au Maroc, est un vrai vecteur de développement social, économique et touristique. Des atouts qui viennent s’ajouter à la préservation de la biodiversité, la conservation de l’équilibre de la nature et à la lutte contre les changements climatiques.

En effet, l’Arganier se distingue par ses modes et pratiques agro-forestières durables et résilientes qui assurent la viabilité des systèmes de production alimentaire, la préservation de la diversité biologique et l’adaptation et la mitigation des effets des changements climatiques.

Ainsi, Lahcen Kenny, Enseignant Chercheur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan-II (IAV), nous explique que «l’arganier est un excellent vecteur d’atténuation du changement climatique, surtout qu’il est complètement résilient face à la sècheresse». C’est ainsi que le Maroc et l’Organisation des Nations Unies ont décidé de célébrer la deuxième édition de la Journée Internationale de l’Arganier, sous le thème «L’arganier, symbole de résilience». Une manifestation qui serait un moment de mobilisation nationale et internationale autour de cet arbre endémique et de son écosystème ancestral.

Un patrimoine menacé !

«Au cours des années, le volume des récoltes a énormément baissé», se désole Fatna, qui fait de l’arganier son métier depuis plus de trois décennies. Des baisses dues aux effets du changement climatique, aux cultures intensives et aux pressions croissantes sur la ressource. «Aujourd’hui la demande à l’international est élevée, mais il faut absolument veiller à ce que cette dynamique d’ouverture sur le monde n’impacte pas les acquis locaux, notamment sur le côté culturel, social et économique», alerte Lahcen Kenny.

Un constat partagé par Mohammed Cherkaoui Eddeqaqi, DG de la Société d’aménagement et de promotion de la station de Taghazout (SAPST), dont la baie dispose d’une réserve naturelle préservée de quelque 100 hectares de forêts d’arganier séculaires. Un écosystème qui sera renforcé par la plantation de 800 arganiers, sur une coulée verte de 3 hectares, et au niveau des différentes composantes de la Station.

Sur le plan national, ces arbres s’étalent sur une superficie dépassant 800.000 hectares (ha) répartis sur les trois régions de Souss-Massa, Marrakech-Safi et Guelmim-Oued Noun. Dans ce même sens, il est prévu que la plantation de l’arganier agricole soit portée à 50.000 ha à l’horizon 2030 dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie de développement du secteur de l’arganier, encadré depuis 2011.

Ces efforts fournis par le Royaume, terre d’origine de l’arganier, afin de le préserver et le développer, suscitent, néanmoins, l’intérêt des investisseurs étrangers, menaçant ainsi les producteurs locaux. «Il ne faut ménager aucun effort pour la valorisation de l’arganier, et ce, dans une logique 100% national», recommande Mohamed Bouhrist, président de la commune rurale de Taghazout, notant qu’il ne faut pas attendre des fonds étrangers pour passer à la vitesse supérieure.

«Aujourd’hui, le Maroc est pleinement lancé dans la promotion du Made in Morocco, et l’arganier est une espèce unique qui pourrait donner une vraie valeur ajoutée au pays dans ce sens», insiste-t-il.

Offrant ses feuilles pour les chèvres montagnardes, ses fleurs aux abeilles, ses fruits pour les plaisir gastronomiques et cosmétiques de l’Homme, l’arganier ne peut être qualifié que de généreux, qui depuis des siècles a été «l’arbre de vie» pour les populations du Sud. D’où la nécessité d’accompagner la stratégie nationale de la plantation de l’arganier, par une stratégie de régulation commerciale, pour éviter tout dérapage.


Saâd JAFRI

3 questions à Lahcen Kenny, Enseignant Chercheur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV)

Arganier : Un «Arbre de vie», menacé par les cultures intensives


« L’arganier est suffisamment promu à l’international, désormais, l’heure est à la régulation »

 
- Quel rôle peut jouer l’Arganier dans un contexte de changement climatique ?

- Le changement climatique est, aujourd’hui, une réalité. Le Maroc à l’instar de plusieurs autres pays, dispose d’une stratégie nationale pour lutter contre le changement climatique. Celle-ci est déclinée en deux composantes. La composante atténuation et la composante adaptation. Cela dit, il est à noter que la forêt de l’arganier pourrait aider considérablement à la réussite et à la consolidation de cette stratégie.

Premièrement, du fait que cette espèce occupe une superficie de 830.000 hectares qui contribuent à la fixation du CO² et à la séquestration du carbone dans le sol. Il s’agit donc d’un excellent vecteur d’atténuation du changement climatique, surtout que l’arganier est complétement résilient face à la sècheresse, en témoignent des arbres qui ont déjà subi cinq ans de sécheresse, mais qui aujourd’hui arrivent toujours à porter des fruits.


- L’Arganier a-t-il d’autres usages utiles à part les utilisations alimentaires, médicinales et cosmétiques ?

- En plus des points que vous avez mentionnés, l’arganier à un usage fourrager pour les animaux. Il a également un usage énergétique du fait que la coque, après le concassage, est utilisée pour le chauffage.

L’arganier a également un usage agricole. Les terres sous les forêts de l’arganier sont prometteuses pour la production céréalière et des fruits, car elles sont pleines de matières organiques. A cela s’ajoute la dimension culturelle autour de l’arganier, sans oublier la dimension sociale. Par exemple, durant la phase de concassage, les femmes parlent de leurs problèmes de famille. Une sorte de thérapie de groupe.


- Ces dernières années l’arganier est très demandé à l’international. Cette forte demande ne menace-t-elle pas sa culture au Maroc ?

- Il faut absolument veiller à ce que cette dynamique d’ouverture à l’international n’impacte pas les acquis locaux, notamment concernant le côté culturel, social et économique. L’arganier a été valorisé sous d’autres cieux, le Maroc a pu acquérir une bonne clientèle, désormais, l’heure est à la régulation. Il faut donc se mettre à table et réfléchir sur un développement durable. Il y a des modèles à suivre, des pays qui ont pris des mesures courageuses pour préserver les écosystèmes et nous devons faire pareil, car si on ne fait rien, on risque le dérapage.


Recueillis par S. J.