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Apprentissage de la Darija: Dur parcours du combattant pour les expatriés installés au Maroc ! [INTÉGRAL]


Rédigé par DAVID LE DOARÉ Mercredi 30 Août 2023

Qui n’a jamais pesté sur celles et ceux qui vivent dans le Royaume sans parler aucune des deux langues officielles ou la langue du quotidien ? Etrangers venus d’Europe ou d’Afrique, Marocains du monde ou de la Mission, ils sont des milliers à ne jamais complètement faire société par la parole. Pourquoi sont-ils si rares ? Reportage.



« Quand la police m’arrête et demande mes origines, je réponds : Marocain de Zagora ! Ça les fait sourire, ils disent que non et je réponds : oui, oui ! En voyant mes papiers, ils rigolent avec moi». 

Ibrahima est Guinéen, il vit au Maroc depuis treize ans et s’est installé avec femme et enfant. Facile avec les langues, il a appris la darija « en se frottant avec les Marocains ». Aujourd’hui, à Laâyoune, il est chez lui, il s’est fait des amis et a créé sa société de consultant en migration. Quand il a l’occasion de s’adresser à d’autres subsahariens, Ibrahima leur martèle que « la langue c’est la porte de l’intégration, il faut aller la chercher ! ».

D’ailleurs, lorsqu’entre 2014 et 2017 plus de 40.000 migrants ont été régularisés, dans le cadre de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA), moult programmes d’intégration avaient vu le jour - tel Taâlem Darija - en tant que vecteurs d’inclusion sociale. Une initiative qui s’étend jusqu’aux établissements pénitenciers. En 2023, une prison à Tanger s’est distinguée en faisant suivre des cours à 70 détenus de 24 nationalités pour « communiquer avec les membres de l’établissement pénitentiaire, mieux s’intégrer à la société marocaine et augmenter leur potentiel de réinsertion».

Ceci dit, les paramètres d’apprentissage de ce dialecte parlé dans presque la totalité du Royaume ou encore la nécessité de l’apprendre, diffèrent selon la nature des migrants. Si les subsahariens et quelques étrangers en provenance des pays d’Asie sont obligés de s’intégrer via la darija, pour les Européens, c’est une simple cerise sur le gâteau.
 
Un parcours semé d’embûches

« Je n’ai ressenti aucune attente sur l’apprentissage de la langue, peut-être parce que les Marocains sont polyglottes ? ». Jeune bénévole dans une association tangéroise, quand Tristan est arrivé de Marseille, il était résolu à apprendre l’arabe… seulement pourquoi se fatiguer quand on peut vivre et travailler avec la langue apportée dans les bagages ? Pire, dans un contexte déroutant pour les étrangers habitués à des pays monolingues, certains autochtones sèment la confusion : « Des collègues et des voisins m’ont déconseillé d’apprendre la darija, qui semble plutôt mal-aimée».

Si la darija est incontournable, en dehors des régions à majorité amazighophones, rien ou presque n’est fait pour encourager son apprentissage. Sans incitation ni pression particulière, beaucoup jettent l’éponge. Quant à ceux dotés d’une motivation inébranlable, ils se heurtent à un autre obstacle : le flou intrinsèque de la darija ? Non. « Ce n’est pas évident de trouver une bonne pédagogie pour étudier… il y a une phase préalable pendant laquelle il faut vraiment enquêter pour trouver les bons outils», conclue Tristan. La rareté des méthodes bien construites, accessibles et à jour plonge de nombreux apprenants dans un dédale d’outils incomplets ou désuets. Toutefois, l’absence de pédagogie ou de programmes dédiés à la darija relève de l’évidence, du moment qu’elle demeure un dialecte. Sur le plan linguistique, ce dernier puise grandement dans le vocabulaire de l’arabe classique, ce qui pourrait faciliter éventuellement l’établissement d’une grammaire puis une graphie en bonne et due forme, mais pour le moment le lexique, la grammaire, tout comme le vocabulaire du dialectal marocain, diffèrent d’une région à une autre. Pire, d’un ménage à un autre. Mais cela n’empêche pas certains d’« innover » ! 
 
Loin de la langue, loin du cœur ?

« Chaque été, il se sentait exclu par sa propre famille. Il ne comprenait rien, il fallait traduire les blagues et ça cassait l’ambiance. À cause de ça, il a arrêté de venir au Maroc pendant vingt-cinq ans… mais cet été il est de retour pour la première fois ! ». En duo avec son mari, Houda a lancé le site BlaBlaDarija en janvier 2021. Elle gère le volet pédagogique et lui s’occupe des aspects techniques et marketing. C’est un franc succès, les apprenants (la moitié sont des MRE) se comptent par milliers et les témoignages reconnaissants abondent : comme pour cet homme ci-dessus, qui, à l’âge de la retraite, peut enfin se rapprocher des siens. Comme cette médecin qui suit des cours pour mieux comprendre ses patients.

Combien de MRE sont éduqués dans une autre langue que l’arabe marocain ? Nés aux Pays-Bas, en Espagne, au Canada, selon le contexte dans lequel ils ont grandi, ils ne sont pas toujours à l’aise en darija. Moins nombreux mais plus proches, il y a aussi ces Marocains qui ont grandi dans un environnement linguistique francophone, à la maison comme à l’école. « Il y a tellement d’émotions que beaucoup de gens ont des opinions contradictoires », explique Houda, ajoutant qu’« ils ne pardonnent pas à un Marocain de ne pas parler l’arabe local et en même temps ils critiquent toute initiative pour l’enseigner ».

En l’absence de méthode standardisée, sans examen du TOEIC, du DELE ou du DALF (anglais, espagnol, français), les apprenants n’ont d’autre choix que de se tourner vers internet et les réseaux sociaux, où les enseignants autoproclamés sont légion (cf. repère : Le marché de la darija). Marocains non-darijaphones ou étrangers, tous l’ont compris, aucune langue ne développe autant le vivre ensemble que l’arabe marocain. 
 

3 questions à Farid Bahri « C’est un peu paradoxal mais c’est un dialecte qu’il faut apprendre et non une langue »

Professeur d’Histoire spécialiste du Maroc, auteur de l’ouvrage « Les Marocains et leurs langues, ce que parler 4 ou 5 langues veut dire», Farid Bahri nous donne sa vision sur l’apprentissage de la darija et l’intégration sociale.
Professeur d’Histoire spécialiste du Maroc, auteur de l’ouvrage « Les Marocains et leurs langues, ce que parler 4 ou 5 langues veut dire», Farid Bahri nous donne sa vision sur l’apprentissage de la darija et l’intégration sociale.
Qu’est-ce qui motive MRE et étrangers à s’installer au Maroc ?
 
Le Royaume donne l’image d’un pays neuf, ce qui le rend très attractif. On observe un afflux de gens des pays du Nord : certains ne restent pas plus de trois ans, en revanche, quand les MRE rentrent c’est pour de bon. Ils veulent participer à l’évolution du Maroc, et ceux qui sont instruits ou qui ont de bonnes expériences professionnelles peuvent négocier leurs conditions de retour. Du côté des pays du Sud, sous le règne de SM le Roi Mohammed VI, le Royaume joue à fond la carte de l’économie et développe une politique panafricaine qui en fait un des leaders continentaux. D’où un afflux de gens des pays du Sud qui ne voient plus le Maroc comme un pays-étape, mais comme une destination.
 
Quelles sont les politiques publiques dédiées à l’intégration dans la société ?
Au milieu des années 2010, deux vagues de régularisations ont concerné des dizaines de milliers de sans-papiers. Dans la foulée, beaucoup de programmes ont été lancés dans le cadre de la SNIA, mais, aujourd’hui, cette machine est grippée. Il n’y a plus vraiment de politique d’intégration pour les étrangers ou alors ça se fait au petit bonheur la chance. Il y a aussi bien sûr les politiques d’intégration des communautés amazighes, mais ils sont Marocains et il s’agit plutôt de cohésion nationale que de cohésion sociale.
 
Quelle langue apprendre pour s’intégrer au Maroc ?

 C’est un peu paradoxal mais c’est un dialecte qu’il faut apprendre et non une langue. Faut-il rappeler qu’une écrasante majorité des Marocains sont darijaphones ? Bien sûr, pour des villes comme Béni-Mellal ou Agadir, apprendre l’amazigh aurait du sens. L’fusha (arabe littéral) fait partie de l’identité du Maroc et rien ne changera ça, simplement la vie quotidienne, ce n’est pas son rôle. Imaginez si les Maghrébins en Europe du Sud devaient apprendre le latin pour aller faire leurs courses. Pendant mes études à Tanger, dans les années 1980, en classe, les Marocains prenaient des cours d’arabe classique et les Français de la classe apprenaient la darija !


Le marché de la darija : Le marché de la darija

Des milliers de personnes veulent apprendre la darija, et comme il n’existe pas de méthode standardisée, tout un écosystème d’entrepreneurs s’est engouffré dans la brèche. Sur Amazon, des dizaines de résultats s’affichent pour la recherche « darija » : imagiers pour enfants, guides linguistiques pour adultes, les uns en français, les autres en anglais, en espagnol, en italien… Des ouvrages autoédités pour la plupart, comme le suggèrent les noms (Darija-Daba éditions, Editions Darija pour tous, Darijatipress) qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Sur les réseaux sociaux, des cohortes de professeurs autoproclamés ont flairé le filon. Beaucoup créent leur propre méthode, ce qui n’aide pas toujours les apprenants, perdus dans un labyrinthe pédagogique. Du côté des professeurs, les meilleurs peuvent rencontrer un joli succès : active depuis 2020, la chaîne YouTube LearnDarijawithKawtar compte près de 300 vidéos publiées et plus de 500.000 vues ! Sur le marché de la darija, les apprenants choisissent entre les cours particuliers, les groupes d’études, ou des méthodes d’auto-apprentissage via des plateformes en ligne (BlaBlaDarija).

Education : L’amazigh prend sa place légitime

Après des années d’attente, la généralisation progressive de l’enseignement de la langue amazighe au cycle primaire s’est installée au titre de la rentrée scolaire 2023/2024, à l’horizon d’une généralisation globale lors de la rentrée 2029/2030. 

Ce chantier s’inscrit dans le cadre de l’application des dispositions de la Constitution, notamment l’article 5 qui stipule que l’amazigh constitue une langue officielle de l’État, ainsi que dans le sillage de l’intérêt porté par SM le Roi Mohammed VI à l’amazigh. 

Cette généralisation progressive cadre aussi avec les textes législatifs sur la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, la loi-cadre 51.17 et la feuille de route gouvernementale 2022-2026. 

En vue de mettre en œuvre ce chantier, le ministère entreprend bon nombre d’actions et de mesures organisationnelles, administratives, pédagogiques, de formation et d’appui aux niveaux central, régional, provincial et local. L’objectif est d’atteindre un taux de couverture de 50% des établissements scolaires offrant un enseignement en amazigh au cours de la rentrée scolaire 2025-2026. Les mesures entreprises comprennent la mise en place de structures de supervision et de pilotage à tous les niveaux. Elles comprennent aussi la formation initiale et continue des enseignants afin d’améliorer leurs capacités pédagogiques.








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