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Actu Maroc

Aides sociales aux ménages, la colère des exclus du Fonds spécial coronavirus


Rédigé par Saâd JAFRI Lundi 11 Mai 2020

Ce sont les nouveaux visages de la crise. Ces Marocains ravagés par la précarité économique, qui descendent dans les rues, mettant leur vie en danger pour demander de l’aide.



Opérations de distribution des aides financières, au profit des Ramedistes
Opérations de distribution des aides financières, au profit des Ramedistes
Quelque 5,1 millions de familles tirant leurs revenus des secteurs formel et informel ou de métiers précaires ont jusqu’à maintenant bénéficié des aides financières directes du Fonds spécial du Covid-19 pour faire face à cette conjoncture défavorable. Cette initiative inédite, engagée par le Royaume, est fortement applaudie, soit. Mais qu’en est-il des 1,6 million de Ramedistes et des millions de non-Ramedistes qui échappent au tableau de bord des pouvoirs publics, qui sont profondément touchés par la crise sanitaire.

«J’ai toujours travaillé dur pour subvenir aux besoins de ma famille, maintenant je n’ai même plus de quoi acheter les aliments dont nous avons besoin durant le ramadan. Je suis une bosseuse, pourquoi je n’ai pas droit à l’aide de l’État», déplore Merieme, une jeune esthéticienne, travaillant dans un salon à Rabat, sans contrat. Incapable de supporter davantage cette précarité, une partie de ces exclus des listes des bénéficiaires, commence à descendre dans les rues pour réclamer les aides financières, et ce, malgré le confinement obligatoire.

Des petits groupes de personnes travaillant dans le secteur informel, comme des vendeurs ambulants, des recycleurs, et même des femmes au foyer, se réunissent dans différentes villes et villages du Royaume, demandant un soutien pour subvenir à leurs besoins et améliorer leur situation de vie, qui empire de jour en jour, surtout avec le mois de Ramadan. Réagissant à cette situation, le SG général du Parti de l’Istiqlal, Nizar Baraka, a tiré la sonnette d’alarme et a appelé les autorités publiques à donner la priorité au niveau des aides en nature aux ramedistes et aux travailleurs du secteur informel exclus des transferts monétaires directs, afin de leur permettre de dépasser cette crise sanitaire avec le moins de dégâts possibles.

Le manque de transparence source de déception

Cet état des lieux désolant, trouve ses racines non seulement dans le nombre réduit de bénéficiaires, mais également dans les lacunes de communication du Comité de Veille Economique (voir 3 questions à). Contrairement à ce qui a été demandé par le Parti de l’Istiqlal, bien au début de la crise sanitaire, le gouvernement n’a pas précisé les critères d’accès à l’aide de telle sorte que tous les Ramedistes et travailleurs de l’informel se croyaient concernés alors qu’ils n’ont retenu que ceux qui ont perdu leur travail à cause du Coronavirus. . «Quelles sont les conditions d’éligibilités ? Qui est prioritaire ? Y a-t-il des quotas ? Toutes ces questions restent sans réponse et ce manque de transparence agite les citoyens », nous confie le député istiqlalien, Rahal El Mekkaoui. A rappeler que ce manque de transparence a été constaté également au niveau du report des échéances de crédit qui n’a été rectifié que dernièrement, lors de la 7ème réunion du CVE. 

Les paysans appellent à l’aide

«Chaque semaine je me rendais au marché hebdomadaire du village, pour vendre quelques produits (œufs, poulets beldi, un peu d’herbes), ce qui me permettait d’avoir un revenu pour tenir jusqu’à la semaine d’après, mais maintenant, rien», nous déclare un petit fellah de Had Oulad Frej à quelque 50 Km d’El Jadida. En  situation précaire bien avant la pandémie, les petits paysans dans plusieurs régions, ont aussi émis l’espoir que le gouvernement leur accorde un soutien financier pour faire face aux difficultés.

Ces derniers sont touchés de plein fouet par le «lockdown», du fait de la fermeture des «souk» (sources principales de leurs revenus et activités économiques) et plusieurs d’entre eux n’ont toujours pas reçu de réponse concernant les aides. Pire, le secteur d’activité dans lequel opère ces paysans, figure parmi les secteurs qui, selon le ministère de l’Industrie et du Commerce, ne sont pas considérés en difficulté à cause de la crise. Ainsi, ces derniers, bien qu’ils n’aient plus où vendre leurs maigres produits pour subsister, ils ne peuvent pas être considérés en situation de difficulté à cause de la crise et ne peuvent donc pas prétendre aux aides du Fonds spécial. Néanmoins, le gouvernement ne s’est pas encore exprimé sur cette décision, qui agite les professionnels et les politiques (voir 3 questions à), montrant encore une fois, la faiblesse de sa communication de crise.

Saâd JAFRI

3 questions à Rahal El Mekkaoui, membre du groupe parlementaire Istiqlalien «Pour l’unité et l’égalitarisme»

Rahal El Mekkaoui
Rahal El Mekkaoui
«Il faut bien réfléchir la communication de crise, pour ne pas donner de faux espoirs aux citoyens»

 Plusieurs citoyens sont descendus dans les rues demandant les aides du Fonds spécial. Comment a réagi le CVE?

- Les décisions prises par le Comité sont très importantes, très positives et vont dans le sens de réduire la pression sur les ménages, qui se retrouvent aujourd’hui soit dans une perte totale ou partiel de leurs revenus. Cependant, s’il y a bien une chose que l’on pourrait montrer du doigt, c’est la communication. Il n’y a pas eu une communication claire sur les personnes éligibles aux aides prévues dans le cadre du Fonds spécial, ce qui a induit les gens en l’erreur, en pensant, par exemple, que tous les Ramedistes bénéficieront dudit soutien. C’est dans ce sens que nous appelons le gouvernement à bien penser sa communication de crise, pour ne pas donner de faux espoirs aux citoyens. 

- Parmi les populations qui souffrent le plus de la crise, figure les paysans, est-ce que les mesures prises par le CVE sont suffisantes pour aider les ménages démunis à dépasser la crise ? 
- Actuellement le monde rural est touché de plein fouet par le confinement, du fait de l’interdiction des «souks» hebdomadaires. Surtout que ces derniers sont la plaque tournante de l’économie du monde rural. Environ 50% de la population rurale se rend chaque semaine à ces marchés traditionnels pour vendre leurs produits et acheter ce dont ils ont besoin, notamment les petits vendeurs de bétails, et ceux qui font de l’agriculture vivrière. Pourtant, le ministère de tutelle indique dans le Bulletin Officiel qu’ils ne sont pas considérés en difficulté à cause de la crise. Ce qui est tout à fait aberrant, car il est clair comme l’eau de roche, qu’ils sont ravagés par le confinement. La reconsidération des catégories estimées touchées par la crise, s’impose, surtout pour le monde rural. Il faut également revoir les critères qui ont permis de donner ces estimations. 

- Bien que plusieurs personnes bénéficient des aides du Fonds spécial, des millions de Marocains, restent sans soutien. Que faut-il faire pour remédier à cela ?
- Aujourd’hui nous avons beaucoup de programmes de soutien pour les vulnérables, notamment les soutiens alimentaires pour le mois de Ramadan. Ainsi, puisque l’Etat dispose de la liste de tous ceux qui ont bénéficié du Fonds spécial, et ceux dont les demandes n’ont pas été approuvées, il serait judicieux de prioriser les ménages non-bénéficiaires des mesures d’aide sociale dans la distribution d’aides en nature. Comme ça, ces programmes deviendraient complémentaires aux mesures du CVE. Une telle action créera un certain sentiment de solidarité et de justice au sein de la société et par ricochet, évitera la frustration.

Receuillis par S. J