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Accord de libre-échange Maroc-Tunisie : Le Royaume évalue ses pertes et profits en cas de rupture


Rédigé par Soufiane CHAHID Mardi 6 Septembre 2022

Si Rabat choisit l’escalade, une des options serait la suspension de l’accord de libre-échange avec la Tunisie. Cette démarche est-elle vraiment dans l’intérêt du Royaume ?



Le président tunisien recevant Nasser Bourita, porteur d’un message royal. Ph. Archives
Le président tunisien recevant Nasser Bourita, porteur d’un message royal. Ph. Archives
Après le rappel de son ambassadeur, le Royaume devrait-il recourir à l’arme commerciale contre la Tunisie? Depuis le début de la crise entre les deux pays, des voix se sont élevées pour demander la suspension de l’accord de libre-échange (ALE) liant Rabat et Tunis. «Cette option n’est pas à l’ordre du jour», nous répond une source au sein du ministère des Affaires étrangères. «Toutefois, des études d’impacts sont réalisées pour évaluer tous les scénarios», poursuit notre source.

Si le Maroc choisit l’escalade, une des premières victimes serait cet ALE qui profite largement aux exportateurs tunisiens. Selon les chiffres de l’Office des Changes, les exportations tunisiennes vers le Maroc ont atteint 2,3 milliards de dirhams en 2021 (soit 1,5% du total des exportations du pays), contre seulement 1,3 million de dirhams d’exportations marocaines (soit 0,4% du total des exportations). Elles sont principalement constituées de fruits, suivies des équipements électriques et électroniques, puis des préparations alimentaires diverses.

Dans la catégorie fruits, on retrouve les célèbres dattes tunisiennes. D’après le groupement interprofessionnel tunisien des dattes, pour la saison agricole 2020/2021, le Royaume était de loin la principale destination de ce produit avec 20.700 tonnes, suivi par l’Italie (6.700 tonnes), la France (6.400 tonnes) et l’Allemagne (5.900 tonnes).

Cahiers et stylos

La Tunisie est arrivée à percer le marché local par d’autres produits de grande consommation, comme les cahiers scolaires. Jusqu’en 2018, le marché marocain représentait 90% du total des exportations tunisiennes de cahiers scolaires. Selon les producteurs locaux, les entreprises tunisiennes ont eu recours au dumping, en écoulant à moindre prix leurs produits au Maroc, comparativement aux prix affichés en Tunisie. Cette pratique aurait occasionné la faillite de 11 producteurs marocains.

Depuis janvier 2019, le ministère de l’Industrie impose des droits antidumping compris entre 15,7% et 27,7% sur les cahiers tunisiens. Tunis a porté l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et a eu gain de cause. L’organe d’appel de l’OMC, saisi par le Royaume, devrait prochainement se pencher sur ce litige. Les célèbres stylos BIC proviennent aussi de Tunisie, où ils sont fabriqués dans une usine à Bizerte. «Ces dernières années, nous avons investi dans la production de stylos. Nous pouvons tout à fait nous passer des importations tunisiennes», nous informe Nabil Tber, directeur général d’Imprimerie moderne et un des deux fabricants de stylos 100% marocains.

Se passer de la Tunisie ?

Si l’économie tunisienne est la plus grande perdante d’une suspension de l’ALE, les entreprises marocaines devraient-elles s’attendre à un retour de bâton ? Les exportations marocaines se composent en majorité de véhicules automobiles et d’équipements électriques et électroniques. «La Tunisie n’est pas un marché essentiel pour le Maroc.

Les produits exportés peuvent facilement être réorientés vers d’autres pays africains», rassure-t-on auprès de l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX). Côté investissement, l’opération la plus importante a été le rachat en 2005 de 53,54% du capital de la Banque du Sud par un consortium constitué d’Attijariwafa Bank (83,8%) et Grupo Santander (16,2%), pour un montant de 61 millions de dinars (plus de 200 millions de dirhams.) Suite à des rumeurs, le groupe bancaire marocain a assuré récemment qu’il ne souhaitait pas quitter le Tunisie.

Toujours est-il qu’une décision pareille serait lourde de sens. L’ALE Maroc-Tunisie est une des composantes de l’accord d’Agadir, qui établit une zone de libre échange entre six pays arabes. Comment éjecter un pays sans condamner tout l’accord ? Et surtout, rompre un ALE avec un pays africain ne remettrait-il pas en question le projet de zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), dont le Maroc est un des promoteurs. C’est à ces équilibres fragiles que doit penser notre diplomatie.



Soufiane CHAHID

Repères

ALE : un réajustement nécessaire
En janvier dernier, le ministère du Commerce a procédé à une révision de l’ALE avec la Tunisie en excluant provisoirement 19 catégories de produits du démantèlement tarifaire. A cela s’ajoute une autre catégorie soumise à un taux unique de 17,5%. UTICA, l’organisation du patronat tunisien, s’était indigné de cette mesure, et a appelé son gouvernement à intervenir. Le ministre du Commerce Ryad Mezzour avait répliqué que cette mesure était en adéquation avec les dispositions de l’accord d’Agadir.

L’effondrement du phosphate tunisien
«J’accuse le Maroc d’avoir saboté la production tunisienne de phosphates pour éliminer un concurrent.» Cette accusation a été lancée par un commentateur, en mai dernier sur les ondes de la radio tunisienne RadioMed. Si l’accusation est grossière, elle traduit un vrai malaise dans ce secteur autrefois stratégique. A cause de grèves répétitives et de sous-investissement, la production phosphatière a dégringolé de 80% en dix ans, faisant passer le pays du cinquième au douzième producteur mondial.


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Marché financier


Le rêve d’un « Euronext » maghrébin
 
Les deux plus importantes places boursières du Maghreb, Casablanca et Tunis, ont caressé le rêve de fusionner en une seule plateforme d’échanges sur le modèle de l’Euronext européen. C’était en 2010, à l’occasion de l’introduction en bourse de l’entreprise tunisienne Ennakl Automobiles. L’actionnaire majoritaire d’Ennakl est Sakhr El Materi, gendre du président Ben Ali.

Conseillé par Attijari Intermédiation, filiale d’Attijariwafa Bank, le concessionnaire exclusif de marques comme Audi, Volkswagen ou Seat avait décidé de s’introduire simultanément à la bourse de Tunis (30% du capital) et à la bourse des valeurs de Casablanca (10%).

Cette opération de 12,8 milliards de dinars tunisiens (plus 42 milliards de dirhams) devait constituer la première étape de ce rapprochement. Après la révolution, la participation de Sakhr El Materi est expropriée par l’Etat tunisien et revendue à un consortium de deux groupes tunisiens : Poulina-Parenin. Le rapprochement des deux bourses n’ira pas plus loin.
 

Zone de libre-échange


Qu’est-ce que l’accord d’Agadir ?
 
L’accord d’Agadir regroupait initialement quatre pays, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, et la Jordanie. Cet accord a été signé à Rabat le 25 février 2004 et est entré en vigueur le 27 mars 2007. Il avait comme objectif de créer une zone de libre-échange entre les quatre pays signataires. Ces quatre pays arabes avaient signé des accords d’association avec l’Union Européenne (UE), leur permettant un accès privilégié au marché européen.

En s’associant, ils voulaient non seulement intensifier la circulation de marchandises, de développer les investissements, mais aussi de profiter du cumul des règles d’origine. Une marchandise peut être composée de plusieurs éléments fabriqués dans des pays différents, et bénéficier tout de même d’un accès privilégié au marché européen.

Le second objectif était de préparer la zone euro-méditerranéenne de libre-échange, qui devait, à l’horizon 2010, réunir dans un marché commun les pays de l’UE et ceux du pourtour de la Méditerranée. Cette zone de libre-échange n’a toujours pas vu le jour, mais deux autres pays vont rejoindre l’accord d’Agadir. Il s’agit du Liban et de la Palestine, qui ont validé leurs adhésions en 2016. Le Maroc va remettre en question cet accord avec quelques partenaires.

En janvier dernier, le ministère du Commerce a procédé à des ajustements tarifaires concernant plusieurs produits en provenance notamment de l’Egypte et de la Tunisie.
 

3 questions à Moktar Lamari

Accord de libre-échange Maroc-Tunisie : Le Royaume évalue ses pertes et profits en cas de rupture

« La rupture de l’ALE sera catastrophique pour des centaines d’entreprises tunisiennes »
 
Moktar Lamari, économiste tunisien et professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP) du Québec répond à nos questions.


-Le Maroc est-il un partenaire économique important pour la Tunisie ?

- Le Maroc est un partenaire important pour la Tunisie à plus d’un titre, en plus de l’économique, il y a les canaux de l’enseignement universitaire, la culture et le capital social tissé entre des familles et des institutions. Le capital social est important. Dans ce cadre, il faut qu’il agisse pour calmer les humeurs et préserver les liens culturels, amicaux et bien plus !


-Quel impact aurait la suspension de l’accord de libre-échange entre les deux pays ?

- Les méfaits et dégâts seront énormes, certains vont pouvoir se chiffrer maintenant, d’autres sont incommensurables et vont apparaître de manière latente et diffuse. Si on tient compte de tous les échanges commerciaux, les événements, le transport, le tourisme… on peut chiffrer à un milliard de dollars le manque à gagner annuel pour la Tunisie.


-Et en termes d’emplois ?

-La rupture de l’accord de libre-échange sera catastrophique pour des centaines d’entreprises tunisiennes et 18.000 emplois seront précarisés, impactés et beaucoup seront simplement détruits. La Tunisie exporte des produits agricoles, des produits intensifs en main-d’oeuvre. Elle a un besoin majeur en devises fortes et le dinar tunisien est sur une mauvaise pente, dévaluation après dévaluation… J’espère qu’on n’ira pas jusqu’à la rupture ! Le Maroc et la Tunisie comptent des sages et des élites intelligentes pour éviter une telle perspective.



Recueillis par S. C.








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