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​Le règne du Mouisme!


Rédigé par Mohamed Lotfi le Mardi 23 Septembre 2025

Le Mouisme, c’est l’art de marcher dans deux directions opposées sans jamais avancer. C’est le triomphe du « en même temps » : dire oui de la bouche et non de la main, promettre et retirer aussitôt, proclamer le mouvement en s’enfonçant dans l’immobilisme. Le mouisme c’est l’art d’être mou.



Dernière illustration : Aujourd'hui, le 21 septembre 2025, le Canada, main dans la main avec le Royaume-Uni et l’Australie, a reconnu l’État palestinien. Mais pas sans conditions : démilitarisation, élections sans Hamas, réforme de la gouvernance. Une indépendance sous tutelle, corsetée avant même de naître. Le tout alors que, depuis octobre 2023, Ottawa autorise des livraisons d’armes à Israël pour sa guerre à Gaza. Reconnaissance d’une main, munitions de l’autre : le Mouisme à l’état pur.
 
Cette incohérence n’est pas un accident. Elle est devenue une méthode de gouvernement. C’est le théâtre de la vertu enveloppée de « réalisme » géopolitique, l’art de fabriquer des symboles forts mais vides, des gestes spectaculaires mais creux. Le pouvoir dit une chose, fait son contraire, et s’auto-congratule de son incohérence.
 
Le centrisme n’est pas seulement une posture modérée entre deux pôles idéologiques. Il devient souvent un réflexe d’évitement : refuser de trancher, refuser de prendre parti, au nom d’un équilibre qui finit par n’être qu’immobilisme. Le « juste milieu » se transforme alors en alibi : ménager tout le monde, sans satisfaire personne, et surtout, ne rien transformer.
 
Ainsi, le Canada n’a pu reconnaître le droit de la Palestine à l’indépendance qu’en lui retirant aussitôt sa souveraineté pleine et entière. Réflexe colonisateur : il conditionne sa reconnaissance à l’exclusion de ce qui a pourtant maintenu la résistance palestinienne vivante depuis vingt ans. On peut critiquer le Hamas, mais sans lui et ses alliés, la cause palestinienne n’aurait pas refait surface ni forcé, en une seule journée, dix pays occidentaux à reconnaître l’État palestinien.
Le Canada ne rejette pas le Hamas uniquement parce qu’il est qualifié de groupe terroriste. Il le rejette surtout parce qu’il n’incarne pas ce Mouisme qui sied si bien à l’Autorité palestinienne, une Autorité sans légitimité aux yeux de grands nombre de Palestiniens eux-mêmes, mais dont la docilité rassure les chancelleries occidentales.
 
Le Mouisme n’est pas qu’une posture diplomatique : c’est le visage contemporain du centrisme. Non pas un équilibre, mais une neutralisation. Aristote concevait le juste milieu comme un courage exigeant : ni fuite, ni témérité, mais la force d’affronter ce qu’il faut, quand il faut. Nos gestionnaires modernes ont trahi cet héritage. Leur « centre » n’est plus un espace vivant de tension et de décision, mais un marais stagnant où l’on s’enlise. On n’y tranche rien, on n’y décide rien : on « gère », on met en scène, on ajuste des éléments de langage soigneusement aseptisés. Le discours se fait lénifiant, vidé de toute substance, conçu pour ne froisser personne et donc incapable de défendre quiconque.
 
Dans son communiqué de reconnaissance de la Palestine, le Canada illustre parfaitement ce Mouisme : il gomme l’asymétrie fondamentale entre l’occupant et l’occupé, entre le colonisateur et le colonisé. En renvoyant dos à dos l’envahisseur et l’envahi, il nie la réalité d’un rapport de force brutal et transforme une domination séculaire en simple « différend » à régler. C’est là tout le génie pervers du Mouisme : réduire une injustice flagrante à une équation abstraite, où les responsabilités se dissolvent dans le langage neutre de la diplomatie.
 
C’est la logique de la médiocratie, que le philosophe Alain Deneault a si bien décryptée : un système qui valorise la fadeur, la conformité, l’acceptabilité, au détriment de l’audace, de l’excellence, du risque. Dans ce régime, exceller devient suspect, résister est assimilé au terrorisme, et la radicalité nécessaire à tout combat juste est criminalisée. Le Hamas, sans qui aucune reconnaissance de la Palestine n’aurait eu lieu des pays occidentaux, est réduit et confiné à un groupe terroriste. Comme si tout les groupes de résistance de l’histoire, qui ont mené aux libérations de leurs terres, n’avaient pas été traité de terroristes.
 
Pour sortir du mouisme, il faut réhabiliter l’audace, le conflit, et la vision. Il ne s’agit pas de basculer dans l’extrême pour l’extrême, mais de redonner au politique sa dignité : celle d’être un espace de lutte pour l’avenir, et non un marécage où l’on s’enlise.
L’histoire nous avertit : chaque fois que le centre se replie sur la gestion du statu quo, il prépare la montée des extrêmes. Dans les années 1920-30, l’impuissance des gouvernements centristes a pavé la voie à Mussolini et Hitler. Dans les années 1990-2000, l’alternance centriste en France a nourri le discours « gauche-droite, c’est pareil », ouvrant un boulevard au Front national. Aujourd’hui encore, l’effondrement du centre favorise Meloni en Italie, Vox en Espagne, Trump aux États-Unis.
 
Le mouisme quand il prend forme dans le centrisme engendre trois poisons :
 
– Il neutralise les clivages : gauche et droite se ressemblent, l’électeur se tourne vers ceux qui « tranchent ».
– Il déçoit tout le monde : en voulant ménager chaque camp, il frustre chacun. Cette frustration devient le carburant de la radicalité.
– Il délégitime la démocratie : réduite à une gestion sans vision, elle incite à « renverser la table ».
 
Sortir du Mouisme suppose de réhabiliter le conflit. Aristote voyait dans la délibération politique un exercice exigeant vers le bien commun. Machiavel rappelait que la liberté naît de la tension entre élites et peuple. Plus près de nous, Chantal Mouffe défend un pluralisme agonistique : la démocratie n’est pas fusion molle, mais affrontement civilisé de visions irréconciliables.
 
En d’autres termes : il faut oser choisir. Pas l’extrémisme violent, mais un radicalisme du vivant, radical parce qu’il va aux racines, vivant parce qu’il réintroduit de l’élan, du désir, là où le statu quo a tout anesthésié. La tiédeur n’est pas prudence, c’est lâcheté. Le compromis n’est plus sagesse, mais renoncement.
 
Et c’est ainsi que…
 
Le mouisme crée une atmosphère de vide politique. Et comme la nature a horreur du vide, ce sont les discours les plus tranchés, les plus passionnés, qui viennent l’occuper. Là où le Mouisme bredouille des compromis, l’extrême droite tonne des certitudes. Dans un monde instable, beaucoup préfèrent l’illusion d’une certitude radicale au brouillard permanent du compromis mou.
 
Le centrisme n’est pas seulement une faiblesse : il est le terreau de l’extrême droite, du fascisme. En refusant de choisir, il pousse les peuples à choisir l’inacceptable. En figeant le statu quo, il donne aux démagogues déguisés en politiciens ou en chroniqueurs, l’allure de révolutionnaires. En réalité, ils sont des mercenaires au service d’une idéologie, d’un marché. Ils sont des empoisonneurs de puits.
 
Le Mouisme creuse le lit où l’extrême droite vient s’asseoir en reine. 
 
Et c’est ce même Mouisme qui, jusque dans le monde de la création, stérilise l’inspiration et étouffe la volonté collective : il empêche même un chœur d’artistes de chanter Gaza à l’unisson.