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​Le dernier homme


Rédigé par Mohamed Lotfi le Lundi 13 Octobre 2025

Le dernier homme est tombé. Sa caméra est tombée avec lui. Un fracas sec, aussitôt étouffé par la poussière. Avec lui sont tombées les dernières paroles du dernier homme, un souffle, un verset, un éclat de foi lancé à la face de ce qui reste du monde.



Pour annoncer le cessez-le-feu à Gaza, le dernier homme a chanté : « Lorsque vient le secours d’Allah ainsi que la victoire… » Il chantait à découvert, d’une voix bouleversante, d’un sourire éclatant, debout sous la lumière mourante d’un lampadaire survivant, tandis que les détonations lacéraient encore l’air. Il chantait pour croire que la parole pouvait précéder la paix, que le Verbe, peut-être, pouvait suspendre la main guerrière des hommes.
 
Mais le feu n’avait pas cessé. Cette fois, ce ne sont pas les explosions d’en face qui ont mis fin à ses jours. Ce sont les balles des siens. Sept balles ont traversé le corps du dernier homme. Les balles de ceux qui partageaient sa langue, sa poussière, ses prières. Ceux qui craignaient sa voix plus que les bombes de l’ennemi. Depuis un bon moment déjà, le dernier homme était dans leur mire. Paleywood, qu’on le surnommait, parce qu’il bougeait comme un acteur de Bollywood. Mais dans les coulisses de l’ennemi, on l’avait identifié comme « Danger » parce qu'Il révélait au monde, avec une légèreté désarmante, la laideur de l'ennemi.
 
On le jugeait trop dangereux, non parce qu’il portait une arme, mais parce qu’il portait la mémoire. Il filmait ce qu’on ne devait pas voir, rapportait ce qu’on ne devait pas dire. La vie des survivants, les morts, les blessés, ce qui reste d’un hôpital, d’une école, la peur et la dignité mêlées, les ruines habitées, les gestes minuscules d’une humanité têtue. Ils étaient dix mille abonnés sur sa page au début du génocide, ils sont aujourd’hui des millions par le monde à pleurer sa mort.
 
Ses images circulaient en dehors du périmètre, glissaient sous les frontières du mensonge. Et dans ce passage interdit, il rapportait la nouvelle, sans savoir qu’un soir, juste après avoir annoncé la fin du feu, il allait devenir, lui-même, une nouvelle. Mauvaise pour les siens, bonne pour l’ennemi. Le dernier homme venait tout juste de chanter sourate An-Naṣr(la Victoire).
 
Le dernier homme s’appelait Saleh Jaâfaraoui, à qui Libération avait consacré un article un mois et demi après le 7 octobre 2023. Il n’est pas mort sous les bombes, ce sont les siens qui l’ont tué, une milice armée affiliée à l’ennemi. Ceux qui ont fait un pacte avec le diable, ceux qui ont préféré le confort de la lâcheté à l’effort de la résistance. Des collabos, oui, il y en a dans toutes les guerres, dans tous les camps, dans tous les siècles. Saleh avait vingt-sept ans.
 
Le dernier homme est tombé ce 12 octobre 2025, mais la caméra de son iPhone tourne toujours. Elle continue de filmer la poussière, la lumière qui s’éteint, le vent qui passe sur son visage. L’œil de verre, obstiné, refuse la nuit. Il capte encore le battement du monde, ce reste de vie qui circule entre les pierres.
 
Dans ce regard sans paupière, quelque chose survit : une promesse, une vérité, un fragment d’éternité.
Tant que la caméra tourne, le dernier homme parle et chante encore ses derniers versets :
 
إِذَا جَآءَ نَصْرُ ٱللَّهِ وَٱلْفَتْحُ�وَرَأَيْتَ ٱلنَّاسَ يَدْخُلُونَ فِى دِينِ ٱللَّهِ أَفْوَاجًۭا�فَسَبِّحْ بِحَمْدِ رَبِّكَ وَٱسْتَغْفِرْهُ ۚ إِنَّهُۥ كَانَ تَوَّابًۢا
 
 
 

 



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