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Actu Maroc

Tribunaux : Grand déficit de moyens humains [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Jeudi 16 Octobre 2025

La justice croule sous le poids d’une surcharge de travail au moment où les tribunaux sont dépourvus de moyens budgétaires et humains. Décryptage.



200 postes budgétaires sont alloués annuellement au ministère de la Justice.
200 postes budgétaires sont alloués annuellement au ministère de la Justice.
Devant les députés, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a révélé, lundi dernier, un chiffre qui donne le vertige. Chaque tribunal au Royaume n’a droit qu’à deux fonctionnaires par an. Une pauvre moisson dans la répartition des postes budgétaires qui sont déjà faibles. Le département de la Justice dans sa globalité n’obtient au maximum que 200 postes annuellement.  Aujourd’hui, il y a des arbitrages épineux à faire au niveau du ministère de tutelle entre les fonctionnaires et les techniciens informatiques puisqu’il y a un énorme besoin à la fois dans l’administration et la numérisation. Difficile de trouver des profils qui ont une double formation juridique et numérique.
 
Quoiqu’il en soit, il y n’a pas assez de moyens pour recruter assez de gens pour augmenter les effectifs et remplacer les départs en retraite.  Etrangement, cette problématique n’a pas été assez débattue à l’hémicycle pendant la séance consacrée aux questions orales.
 
Ceci en dit long sur l’indigence des moyens mis à disposition d’une justice en pleine transformation. Le système judiciaire n’a jamais changé de visage en si peu de temps depuis des décennies. Les réformes, que ce soit à l'échelle pénale, civile ou commerciale,  s'enchaînent à tous les niveaux. On espère un saut qualitatif, le but étant d’assouplir l'appareil judiciaire jugé trop répressif et bureaucratique.
 
Maintenant, le gouvernement tâche d'humaniser le système, une aspiration qui fait l’objet d’un consensus depuis le débat de 2015. Jusque-là, il y a eu des progrès sur le plan législatif. Les procédures pénales ont été conçues avec pour point commun une justice plus rapide. Pénalement parlant, le nouveau cadre législatif est conçu de sorte à recourir le moins possible à la détention pour soulager les prisons qui regorgent de détenus incarcérés à titre provisoire.
 
Le Code pénal, bientôt finalisé, devrait supprimer des peines concernant des infractions anodines. La procédure civile, en cours de révision après le coup de butoir de la Cour constitutionnelle, a pour vocation d'accélérer le traitement des litiges civils.  
 
 En principe, le législateur aspire à une justice rapide, mais les moyens ne sont pas au rendez-vous.
 
Comment peut-on fluidifier le fonctionnement des tribunaux, réduire les délais d’exécution des peines, gérer les peines alternatives et moderniser la justice commerciale avec si peu de fonctionnaires et autant de juges ?
 

Une justice rapide sans moyens !
 
Cela fait longtemps que le ministre de tutelle se plaint de la maigre dotation de son département. Comment peut-on accompagner la refonte de la justice avec si peu de fonctionnaires, surtout dans les tribunaux. Là, nous ne parlons que de l'administration. Le même problème touche le corps de la magistrature. Malgré le poids des affaires judiciaires et les litiges qui s’entassent d’année en année dans les prétoires, il n’y a pas assez de juges pour les traiter convenablement.
 
Les magistrats sont surchargés, le fardeau est trop lourd pour minimiser le risque d’une justice expéditive au moment où on a besoin de plus de procureurs et de juges d’application des peines, sans parler des juges d’instruction et des magistrats de siège dont il n’y a pas suffisamment de cadres depuis des années.
 
Le Ministère Public a sonné le tocsin dès 2023. Il manque environ mille autres magistrats pour répondre au besoin actuel et garantir le minimum de performance souhaitable. Concrètement, il s’agit de réduire le nombre d’affaires traitées quotidiennement par magistrat qui s’élève en moyenne à 32, selon le rapport annuel de 2023.
 
 
Des prétoires en quête d’hommes !
 
 Plantons le décor. Le Maroc compte 4100 juges, dont 1.087 procureurs qui forment 26% du corps de la magistrature. Ceux-ci font face à un iceberg de nouvelles affaires qui s’ajoutent aux reliquats en circulation. Chaque année, il y a  4,6 millions de dossiers à trancher, selon les statistiques livrées par le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Mohamed Abdennabaoui, en 2024, un chiffre en constante augmentation. Une charge de travail énorme ! Les effectifs actuels ne permettent pas de faire fonctionner les tribunaux conformément à l’esprit des réformes en cours. Selon Omar Benjelloun, avocat au barreau de Rabat et membre de l’Association des barreaux du Maroc (ABAM), l’idéal serait d’avoir 10.000 magistrats au total pour  alléger le fardeau de la charge qui pèse aujourd’hui sur les prétoires. Notre interlocuteur estime que la surcharge actuelle nuit à la qualité des jugements.
 
“C’est une usine à produire de mauvais verdicts”, a-t-il résumé dans une interview accordée à « L’Opinion ».
 
Le déficit se fait sentir surtout dans les tribunaux de première instance, qui sont à l’avant-garde, une sorte de “perron de la Justice”. Face à ce sous-effectif, on essaye d’optimiser les énergies. Le pouvoir judiciaire et le Ministère Public tâchent d’améliorer le rendement des magistrats. Mais, cela, semble-t-il, ne suffit pas. Entre-temps, le ministère de la Justice veut ancrer davantage la médiation dans le paysage judiciaire pour limiter autant que possible le recours au tribunal.
 
A la foi sur les plans pénal et civil, les mécanismes de médiation sont introduits pour abroger l’action publique en cas de réconciliation des parties. Dans le prochain code pénal, M. Ouhabi veut élargir le champ des infractions où la médiation est possible sans intervention du parquet, surtout dans les conflits anodins entre les individus. Il s’agit certes d’un véritable changement de paradigme mais le sous-effectif de la justice est tel qu’on ne saurait en venir à bout par de simples ajustements législatifs.
 

Un coût onéreux
 
Le coût du sous-effectif est onéreux au moment où  il y a un véritable souci d’exécution des décisions judiciaires. Abdelatif Ouahbi l’a reconnu lui-même lors de sa dernière apparition à l’hémicycle. Le problème touche particulièrement les affaires civiles et commerciales où les décisions judiciaires traînent longtemps. Pour y remédier, la tutelle pense à créer un fonds dédié à l’exécution des jugements bien que cette idée soit difficile à mettre en œuvre. En parallèle, le paquet est mis dans les huissiers de justice auxquels les moyens ont été donnés après la réforme de leur cadre légal.


Age de pierre ! : Quand Ouahbi dénonçait un système archaïque !

Lorsqu’il est intervenu, en décembre 2023,  aux “Journées Made in Morocco”, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait dressé un véritable réquisitoire contre le fonctionnement de la justice marocaine qu’il pense qu’il faut civiliser en la sortant de “l’âge de pierre”.

A ses yeux, le système manque de gouvernance à tous les niveaux. Le manque de numérisation dans les tribunaux est caractéristique de l'archaïsme dans lequel sombrent les tribunaux qui, selon lui, est une entrave, surtout pour le monde économique. Là, le ministre faisait allusion à la lenteur des procédures et de traitement des dossiers. “Il suffit de réaliser qu’il faut parfois près de quinze ans pour statuer sur la légalité des messages numériques que s’échangent les hommes d’affaires en cas de procès”, a-t-il expliqué, soulignant un autre paradoxe : celui du Registre commercial qui exige que le chef d'entreprise se présente au tribunal en cas de changement de statuts, alors que la création d’entreprises est faisable à distance.

Cet archaïsme dont parle le ministre touche également son département et notamment les ressources humaines dont certaines ne sont pas adaptées aux postes qu’elles occupent. Ouahbi a donné l’exemple de l’ex-Directeur de la Direction informatique qui est juriste de formation et qui a été finalement remplacée par une ingénieure à la tête de ladite Direction. Ce à quoi s’ajoute la quasi-absence de la parité au ministère. “Quand je suis arrivé au ministère de la Justice, j’ai trouvé qu’il était trop conservateur, a-t-il indiqué, faisant ainsi allusion à l’absence de femmes à la tête des Directions. Le ministre a rappelé que sa décision de nommer une femme à la tête de l’Inspection générale du Ministère ne fut pas bien accueillie.

Le problème est plus large selon Ouahbi qui a estimé que l’Université marocaine produit des cadres déphasés par rapport à la réalité des métiers de Justice. “Ce qu’apprennent les cadres à l’université n’a rien à voir avec la réalité des tribunaux", a martelé le ministre, regrettant le grand fossé qui sépare l’université de la réalité des métiers de la Justice.

Par ailleurs, Ouahbi a estimé qu’il faut civiliser davantage la justice en améliorant le fonctionnement des tribunaux. “Les tribunaux ne peuvent plus être gérés de la même façon qu'ils le sont aujourd’hui”, avait-il conclu.

 


Trois questions à Rabii Chekkouri : “L’effectif trop limité des magistrats de parquet ne permet pas d’assurer un suivi efficient des plaintes”

Rabii Chekkouri, avocat au Barreau de Rabat, a répondu à nos questions.
Rabii Chekkouri, avocat au Barreau de Rabat, a répondu à nos questions.
  • Aujourd’hui, le nombre de juges ne dépasse pas 4190. A quel point est-ce pénalisant pour le système judiciaire ?
     
Le sous-effectif des magistrats ne saurait être sans conséquence sur le bon fonctionnement de la justice. Un juge du siège peut, en effet, se retrouver à traiter plusieurs milliers de dossiers par an. En matière pénale, où les enjeux sont d’autant plus graves qu’ils touchent à la privation de liberté, cette pénurie de magistrats dans les juridictions répressives compromet inévitablement la qualité des jugements.
 
Le juge, avant d’être une institution, demeure un être humain soumis au stress et à l’épuisement. Comment concevoir qu’après douze heures de débats, des délibérations puissent encore s’étaler sur plus de deux heures ? Il arrive que des décisions soient rendues à l’aube, après l’examen de dizaines d’affaires criminelles, dans des conditions qui interrogent sur la sérénité et la rigueur requises par l’acte de juger.
Concernant le parquet, garant de l’ordre public, il joue un rôle essentiel dans le contrôle et l’orientation des enquêtes. Ses magistrats assurent des permanences pour veiller au bon déroulement des investigations. De surcroît, leur effectif, encore trop limité, ne permet pas d’assurer un suivi efficient des plaintes qui se comptent par centaines de milliers par an.
 
 
  • Qu’en est-il de la formation des magistrats ? Peut-on dire qu'elle demeure lacunaire par rapport aux évolutions du droit et du système judiciaire en général ?
 
La formation des magistrats et les conditions d’accès à la magistrature doivent, à mon sens, être réformées afin de s’adapter aux évolutions de la société. Le concours d’entrée devrait privilégier l’évaluation du raisonnement juridique plutôt qu’un simple contrôle des connaissances, étant donné que les textes sont en constante mutation.
 
 
  • Les peines alternatives sont désormais entrées en vigueur, mais les moyens de leur application ne semblent pas assez mobilisés. Partagez-vous ce constat ?
 
Bien que publiée au Bulletin Officiel, la loi sur les peines alternatives n’est toujours pas en vigueur, son application restant subordonnée à l’adoption des lois organiques en cours d’examen parlementaire. Toutefois, la mise en œuvre effective de cette loi exige des moyens adéquats, indispensables à la réduction de la surpopulation carcérale. Le recrutement de juges d’application des peines et de fonctionnaires qualifiés au sein de l’administration pénitentiaire, chargés d’assurer l’exécution pertinente des peines alternatives, s’avère indispensable.
 

Peines alternatives : Des défis d’application

Abdelatif Ouahbi a relevé que dans certains cas où une peine alternative a été prononcée sans être exécutée, il a été décidé de procéder à la détention des personnes concernées afin de purger leur peine d'emprisonnement.

 

Il s'agit de neuf cas concernant des personnes qui n'avaient présenté aucune excuse ou requête relatives à la non-exécution de la peine alternative, a-t-il précisé, notant qu'il n’existe aucune voie de réconciliation dans l’exécution de la peine alternative, et toute question concernant la personne condamnée doit faire l'objet d'une requête auprès du juge d'exécution ou du président du tribunal.

 

M. Ouahbi a, de même, souligné qu'il est inacceptable de ne pas exécuter les jugements des peines alternatives, qui incarnent une "politique pénale de réconciliation entre la personne concernée et la société", ajoutant que "toute personne condamnée à une peine alternative est tenue de l’exécuter afin d’éviter le retour en prison".









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