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Culture

Magazine : Mohamed Jibril, la plume du perpétuel


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 16 Janvier 2022

Le discret et intemporel journaliste sort un recueil, («Malaise dans la société, 40 ans d’actualité sociétale marocaine», Le Fennec, 140 DH), rassemblant une partie de ses écrits politico-socio-culturels parus entre 1970 et 2020 dans différents supports dont le légendaire Lamalif. Un voyage dans le temps sous différents tons.



Généralement, les recueils de chroniques ou de billets ont peu d’impact sur le lecteur, d’autant lorsque l’exercice est déversé avec la récurrence du «je», l’implication «narcissique» de l’auteur conjuguée à l’envi. Ici, l’approche est tout autre. Une panoplie de genres constitue l’ouvrage. Récits, analyses, enquêtes, reportages, portraits et chroniques touchant à la politique, à l’économie, au social, à l’art et à la culture rythment un travail généreusement académique.

En fait, il ne s’agit pas de chroniques mais d’UNE chronique déclinée en plusieurs actes. Une critique de la société dans son sens le plus absolu. Un travail herculéen où même l’humour est traité avec sérieux. «Style dépouillé et austère, plus proche de l’universitaire que du journaliste soucieux de scoop et de sensationnel», dit de Mohamed Jibril, l’auteur de la riche préface du livre le politologue Mohamed Tozy.

Ce style dépouillé où chaque mot est logé à bon endroit n’échappe pas aux contextes de décennies qui suggèrent la sagesse de l’expression d’entre les lignes, le récit cru cédant la place à la rédaction imagée. Les choses ont palpablement évolué mais les réflexes d’emballage ont le matériau dur.

Mohamed Jibril qui use pendant son long parcours de plusieurs noms de guerre -ces pseudonymes qui ne trompent que le lecteur lambda- demeure, à raison, intraitable dans sa lecture de cette évolution : «Si, effectivement, nombre de restrictions et de non-dits ont été levés, tout au moins au niveau des discours et des médias, l’évolution réelle demeure problématique et incertaine. D’une part la libération relative des expressions n’a pas donné lieu à une prévalence plus nette d’une culture valorisant l’esprit critique et une puissante créativité. Lesquelles mettraient en cause les stéréotypes et l’emprise du consumérisme pseudo-moderne, devenus prédominants dans toutes les catégories sociales. D’autre part, ce même phénomène s’est accompagné d’une exacerbation des discours et surtout des comportements conservateurs, devenus plus contraignants sous la pression des organisations ayant entrepris d’ ‘islamiser’ la société. Ceci en recourant à une culpabilisation systématique des moindres formes de vie se voulant tant soit peu modernes (ou sécularisées) et en dogmatisant et ritualisant à l’excès de ‘retour’ à la tradition. Le conformisme néo-traditionnaliste est de règle dans ces différents cas de figure, couvrant souvent l’affairisme qui va bon train avec un pragmatisme politicien et une comédie sociale sans trop de scrupules.» Tout est dit sur une marche en trompe-l’oeil, une avancée parfois à reculons.

Rigueur et feuille blanche

Mohamed Jibril, journaliste à facettes multiples, gifle d’une main les maux politico-sociaux (lire plus loin son texte sur les fonctionnaires) et caresse de l’autre oeuvres littéraires, plastiques et cinématographiques.

Dans les deux cas, la rigueur guide sa feuille blanche, la sensibilité en garde-fou. Son recueil, scindé en six volets (qu’on «dissèque» ici en surface, pas qu’en profondeur), s’intéresse en premier aux jeunes, à la male-vie de la jeunesse, aux nombreuses failles de l’Education nationale…

L’auteur enchaîne sur le quotidien d’une population tantôt oisive, tantôt étourdie, parfois xénophobe notamment à l’endroit des migrants subsahariens. La troisième partie s’attaque au caméléonisme exprimé par une société qui se cherche des repères au début des années 1980, Jibril prenant comme fil rouge la pièce de théâtre «Jilali Travolta» écrite par Larbi Batma, s’intéressant plus loin aux moeurs et à la moralité. Casablanca la stressante est également au menu avec son explosion urbaine et sa médina qui crie à la détresse.

De là, le journaliste nous ouvre la voie des régions où les souks se meurent, où l’eau se fait rare, où les inégalités font rage. Pour clore, Jibril rappelle que le conservatisme et le religieux s’érigent comme des bâtisses à la jauge improbable.

Débats respectueusement houleux

Jibril, à l’apparence joviale et au verbe précieux, est l’ami des artistes jusqu’à la communion (ou non) intellectuelle. Il ne manque de convoquer la passion parfois porteuse de débats respectueusement houleux. L’adepte des ciné-clubs et des galeries d’art qui le sollicitent pour des catalogues ou des monographies fait couler sa belle encre sur les colonnes de Maghreb Informations, Lamalif, Rivages, La Revue Noire, La Gazette du Maroc, le site Dimabladna… Ecrire, encore et toujours.

Avec «Malaise dans la société, 40 ans d’actualité sociétale marocaine», Mohamed Jibril n’invite pas à l’explosion de joie mais à la réflexion sur la morbidité d’un système qui peut mener à une joie d’explosions progressives, lui le témoin de ratages parfois évitables, certainement handicapants. Qu’il se rende à l’incongruité des forces d’inertie qui ne faiblissent que lorsqu’un variant les remplace. De la pâte est encore à pétrir.



Anis HAJJAM



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