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Culture

Magazine : Khadija Alami, fée et gestes


Rédigé par Anis Hajjam le Vendredi 23 Juillet 2021

Femme de challenge et d’action, elle construit sa carrière pierre par pierre. Productrice et patronne des studios Oasis de Ouarzazate, la cinéaste finalise une importante joint-venture avec la Nigériane Chioma Ude. Rencontre avec une forte personnalité, membre de l’Académie des Oscars.



Khadija Alami provoque les opportunités, les traque. Ph. Khalil Nemmaoui
Khadija Alami provoque les opportunités, les traque. Ph. Khalil Nemmaoui
Une battante ? Non, une tueuse. Elle commence par forcer la porte de la production cinématographique avant d’en gravir, pas à pas, ses échelons. Jusqu’à y mordre à pleines dents, jusqu’à la création en 1998 de la structure K Films tournée essentiellement vers les productions internationales. Khadija Alami ne fait pas que s’accrocher aux opportunités qui s’offrent à elle, elle les cherche, les provoque, les traque. Une baroudeuse dans l’âme, une cogneuse à mains nues. Ceux qui travaillent avec ou pour elle, lui reconnaissent son intégrité, sa transparence, son sérieux maladif. Visiblement, cela paye.

En 2014, au lendemain de l’hommage que le Festival international du film de Marrakech lui rend, elle annonce la construction, à Ouarzazate, de son Oasis Studios Morocco, un troisième land de tournage de la ville mais avec des «plus» indéniables. «C’était un rêve qui a commencé dans les années 1990 lors de ma première visite en Californie du ranch de George Lucas pour qui j’ai eu la chance de travailler préalablement.

Le lieu se composait de la société LucasFilm (Star Wars, Indiana Jones…), Skywalker Ranch pour le montage son, plus une cinquantaine de guest-houses réservées aux productions qui faisaient leurs montages chez lui… J’avais été fascinée par l’infrastructure, j’imaginais un lieu pareil au Maroc et particulièrement à Ouarzazate qui accueillait le plus gros des tournages. Evidemment, je n’avais ni les moyens ni l’ombre d’un soupçon qu’un jour j’allais pouvoir réaliser ce rêve.»

Khadija se ronge les ongles jusqu’en 2010 lorsqu’une offre salvatrice de 17 hectares lui est suggérée par un gouverneur fou de culture et ami des fous. Traduisons : cinéma. Prix symbolique pour mieux faire rayonner le 7e art mondial prenant vie dans les étendues lumineuses de la région : «Un plateau au-dessus de l’oasis de Fint, lieu mythique des tournages. Il existait déjà les studios Atlas et CLA mais il manquait celui dont je rêvais, un studio qui répond à mes besoins en tant que cliente. De toute façon, quand il y avait deux tournages à Ouarzazate, la ville était saturée. Donc, il y avait de la place pour un troisième studio. Ma démarche était d’honorer une ville qui m’a permis de devenir la professionnelle que je suis aujourd’hui.»

Machines hollywoodiennes

Le temps passe, change de ton, et les productions, de respectables à prestigieux projets, s’inscrivent dans le CV-références de Khadija Alami : grosses machines hollywoodiennes, italiennes, anglaises… sont aux portes de ses jardins dont elle ouvre les portails avec entrain. De prestations pour Ridley Scott, Paul Greengrass, séries britanniques aux productions pour films marocains et arabes, Khadija se déploie en équilibriste à qui on ne la fait pas.

Il y a peu, son nom est revenu sur les lèvres, à la lumière de son association avec une célèbre nigériane: «Chioma Ude a acheté des terrains à Lagos d’une superficie de 5 hectares avec l’idée de construire des studios pour accueillir des tournages étrangers et nigérians. Un contact commun aux Etats- Unis lui a parlé des difficultés à convaincre les étrangers et surtout les studios US à tourner au Nigéria et lui a conseillé de me contacter pour s’inspirer de mon expérience en tant que productrice et aussi en tant que première femme à construire des studios (ce qu’elle croyait s’approprier en construisant les siens). En octobre dernier, elle est venue à Ouarzazate pour visiter mes studios et me parler de son projet. Lorsqu’elle a vu la superficie d’Oasis -17 hectares titrés et 25 en location, soit un total de 42 hectares- ainsi que des décors existants, un studio insonorisé de 300 m2, accessoires, costumes, véhicules, bureaux…, elle s’est rendue compte que les 5 hectares ne lui suffiraient pas et que le Maroc possédait plusieurs atouts (stabilité politique, sécurité, une histoire de 100 ans de tournages, techniciens qualifiés, matériel disponible et surtout proximité avec l’Europe). Après quelques jours de brainstormings, elle m’a proposé de créer une joint-venture (en cours de signature) afin de travailler ensemble. »

Affaire pliée

Avec les contacts américains (qui veulent du contenu africain) dont disposent Chioma et Khadija, additionnés à l’expérience et l’infrastructure de cette dernière, l’affaire est, disons, pliée. «Après son séjour au Maroc, nous nous sommes retrouvées à Los Angeles pour des réunions avec Sony, Amazon, Condé Nast et NBC.»

A l’issue de ces rencontres, Khadija Alami -membre de l’Académie des Oscars depuis 2017- découvre que les studios et les plateformes de streaming considèrent le Maroc comme un lieu de tournage et non comme producteur de contenus : «Nous ne sommes ni dans le cercle MENA (Netflix a ouvert ses bureaux à Dubaï et Amazon au Caire) ni vraiment africains (Amazon s’est implanté la semaine dernière à Lagos, la même chose pour Condé Nast) et d’autres suivront. Donc, l’idée de créer ce partenariat avait tout son sens. Nos deux forces jointes pourraient créer des contenus maroco-nigérians et, in fine, africains. D’autant que nous projetons d’installer un laboratoire d’écriture avec des scénaristes nigérians et marocains mais également l’organisation de tournages au Maroc qui sera notre base d’action à plein temps.»

Cerise sur le gâteau de cette association, Khadija Alami -fraîche démissionnaire de la Fondation du festival africain de Khouribga (lire plus loin)- s’apprête à présider, en décembre prochain, le jury de la 12e édition de l’Africa International Film Festival fondé par Chioma Ude. Le clap est actionné.
 
Anis HAJJAM