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Culture

MAGAZINE : Nour-Eddine Saïl, un Général au Centre


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 27 Juillet 2025

Parmi ceux appelés à la haute destinée du Centre cinématographique marocain (CCM), on ressort avec trois noms bouleversants de pragmatisme, tonnants et tonitruants. Ils se nomment tel un déchirement orageux. Le Maroc les a eus, plus depuis. Cela fait partie des spécificités incompréhensibles d’une contrée pourtant assez éloignée des tractations réfléchies. Après Kouider Bennani il y a quinze jours et Souheil Ben Barka il y a une semaine, voici le tour d’un dénicheur d’empêcheurs de tourner en rond, Nour-Eddine Saïl.



Le chef c’est lui, l’accompagnateur aussi.
Le chef c’est lui, l’accompagnateur aussi.
En voilà un dont la langue trouve du mal à se loger dans une poche où le calme ne lui sied pas. Une langue en immuable instabilité. Lors de rebondissements imprévisibles, Saïl ne jouit pas uniquement de remarques toutes faites, mais aussi d’un renouveau moulé dans le sarcasme qui fait de lui l’homme qui a réponse à tout, balayant la crainte de ne pas avoir raison. Bref, le chef c’est lui, l’accompagnateur également. Jouer sur les deux tableaux, voilà qui donne envie de rester en ininterrompu mouvement. Un regard et une tête qui suggèrent l’explosion, avant l’éclat de rire qui n’exclut pas celui des nerfs. L’homme est un cas ! Evoquant la profession qui le maintient les mains liées, il s’adresse nonchalamment à un parterre assoiffé de mots : « Si vous voulez déflorer ce métier, maitrisez au moins trois langues, quatre c’est mieux. » Bien entendu, dans ses pans d’accompagnement, il y a des références et de belles histoires à secouer l’assistance. On se demande, aujourd’hui, ce que ces aspirants deviennent après leur flirt avec l’intransigeance d’un routier pluriel. « Nous marchons à reculons. Dans les années 1970, les ciné-clubs étaient notre raison d’exister en tant qu’agitateurs culturels. Tout passait par les films. Lorsqu’une copie arrivait, elle faisait dix projections dans autant de villes. Un record ! Elle voyageait au rythme de nos moyens et cela donnait lieu à des débats passionnés après projections », raconte celui qui préside plus tard au fatum du Centre cinématographique marocain. 
 
De solides références

Devant la gabegie technologique actuelle, tout est à portée. Malheureusement, on enjambe des dunes désertiques, excepté de rares résistances cinéphiliques. Nour-Eddine épargne souvent le cinéma marocain pour parler des cinéastes marocains. Il cite Mohamed Abderrahman Tazi, Murtapha Derkaoui dont il encense « Titre provisoire (1984) » et Mohamed Mouftakir qu’il aime pour le choix de ses thèmes. Un jour, répondant à l’intervention d’un professeur de philosophie -en présence de Nour-Eddine Saïl, cela ne s’invente pas-, qui l’élève aux cieux, l’orateur réplique après une salve d’applaudissements : « Je ne détiens pas le grand savoir. J’ai eu moi aussi des prédécesseurs qui m’ont beaucoup appris et que je remercie. » L’homme, est-il passeur ? Bien évidemment, même si sa nature loquasse interdit de le dire. Ses choix dans ce monde où le fluide ne l’engage pas, se résument en trois catégories : un film simpliste, il ne le boit pas ; un film simple et bien raconté, il l’applaudit ; un film pensé, et parfois difficile d’accès, l’intéresse parce qu’il le pousse à la réflexion. A chacune -ou presque- de ses interventions publiques, de solides références traversent ses exposés : Spinoza, Stanley Kubrick, Edgar Morin, Jean-Luc Godard, Nietzche, Umberto Eco... L’homme oublie sciemment d’autres, soulignant un trait de son fonctionnement intellectuel : « Je ne suis pas un historien. Je n’ai jamais rien répertorié par écrit : dates, évènements ou noms. Je fonctionne avec ma mémoire. » Mais Nour-Eddine Saïl a d’autres préoccupations à partager : la fermeture inquiétante des salles de cinéma, une nouvelle stratégie pour améliorer le procédé de l’avance sur recettes par la commission d’aide cinématographique... Lui que l’Afrique habite avant la récente mode, crée en 1977 le festival du film africain de Khouribga ; lui qui met sur pieds Radio 2M avant l’avalanche des stations privées ; lui, lui et encore lui. L’histoire ne ment pas. Ce beau parcours, décliné ici en bribes, appelle à l’action qui tutoie le partage : « L’individualisme tue l’art et la culture. Travaillons ensemble ! », assène celui qui conseille de se vautrer dans la modernité, les lumières et la beauté, en combattant une société où règne de plus en plus l’obscurantisme.
 
Une trace indélébile

L’homme qui écrit en 1989 le roman « L’Ombre du chroniqueur » en donnant congé à la lettre A, est tout sauf un démissionnaire. Le cinéma est dans ses entrailles. Il s’y emploie sans retenue, le nourrit pour les siens, pour les Africains qui le vénèrent à Ouagadougou entre autres, le respectent à travers le monde. L’ancien critique des publications « Maghreb Information », « Caméra 3 » qu’il lance, du magazine français « Les Cahiers du cinéma » ne cesse de donner, d’être célébré, de se réinventer. Au lendemain de la naissance de la deuxième chaîne de télévision marocaine dite 2M International, son président Fouad Filali, alors gendre de Hassan II et patron de l’ONA (Omnium Nord-Africain), holding royale, fait appel à Nour-Eddine pour le développement de sa télévision. Pour des raisons d’éthique, il quitte rapidement le navire et nage vers Paris où l’attend feu Serge Adda, patron de Canal Horizons. Il lui offre le siège de directeur des achats de programmes et ensuite celui de directeur général des programmes et de l’antenne. Sur Canal + France, Saïl installe une capsule traitant de philosophie. En 2000, un séisme « éditorial » secoue la direction de 2M, renvoyant chez-eux le directeur général Larbi Belarbi et ses proches collaborateurs. Le ministre de la Communication de l’époque, Larbi Messari, nomme Nour-Eddine Saïl patron de la chaîne. L’agitateur crée rapidement une matinale d’information qui fait long feu, met en place un comité pour l’octroi d’aide à la production de téléfilms et met sur pied Radio 2M. L’homme est remercié trois années plus tard et hérite in extremis du poste de directeur général du Centre cinématographique marocain (CCM) où sa trace est à ce jour indélébile. Il y refond l’aide à la production, y instaure la production de trois courts métrages pour l’acquisition de la carte professionnelle, y met fin à l'informel et passe la production nationale de cinq films par an à vingt-cinq. Pendant son règne à la tête du CCM, Saïl est nommé vice-président délégué de la Fondation du Festival international du film de Marrakech et décide de loger dans sa ville (Tanger) l’ancien festival itinérant national du film. Il quitte ce monde en décembre 2020 à 73 ans après avoir tant et tant donné au cinéma.
 
Anis HAJJAM







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