Voici un garçon qui trouve la lumière dans l’obscurité. L’atrocité jaillissant dans sa famille le rend prolifique, usant d’un thème morbide mais tellement foudroyant de coups de foudre qui ne s’éloignent jamais d’une réalité au passé récent mettant en garde le futur. S’il ne veut pas sortir de cette prison, c’est qu’il ne cesse de porter plainte contre le désarroi ambiant, celui qui écrase à pas de géants tout ce qui entend se faire entendre par à-coups sans trop donner de la voix. Mahi Binebine est une curiosité des temps nouveaux, une galerie de réflexions à bords perdus. Avant de peindre, il fracasse ce qui jonche un songe prêt à devenir rêve. Lorsqu’il écrit, c’est la fluidité qui prend les rênes du récit. Du revers d’une main ferme, il excommunie le « sujet-verbe-compliment ». Et nous voilà dans l’univers de gros récits où le familial est conçu pour gicler à toute page tournée. C’est que Binebine ne flirte pas avec l’incongru, il le broie pour en extraire l’incompréhension qui sommeille en lui. Quand il s’exprime de sa voix généreusement déployée, le sourire-rire est pleinement délivré. Cette personne est née pour vivre. Pleinement.
Plus de 800 pièces
Mahi Binebine, espiègle, comprend ce qui lui arrive. Oui. En tant qu’écrivain dont le DERNIER roman « Mamaya » est en cours de parution, il ne jure plus que par son art plastique et pictural. « Oui, je pense que ce treizième ouvrage sera mon dernier. C’est bon comme cela. Mais qui sait, peut-être que j’y retournerai un jour… », dit-il. Qu’à cela ne tienne. En lui rendant visite à quelques kilomètres de sa ville chérie Marrakech, je suis foudroyé par un voyage dans le ton. Tout est beau et classieux. Il y a de la hauteur dans cette demeure. Rachid Andaloussi qui architecture cet endroit en fait un havre où la paix se construit à longueur de vie. Et vient le moment de la grande visite des lieux. Pris par cette main de maître, je déambule sans rien soupçonner. Traversant un jardin qui n’en finit pas, nous voilà dans un atelier qui sent l’ouvrage, qui laisse perplexe. Du monde s’y affère avec grosse assiduité. Mahi tire des murs quelques œuvres, m’en parle, les remet à leurs endroits et m’en montre d’autres, d’autres et encore d’autres. Quittant l’atelier, je prends nonchalamment le chemin de cet espace à hauteur inouïe sous plafond où il m’accueille à mon arrivée. C’est à ce moment que je comprends que le périple ne fait que commencer. Un deuxième et un troisième atelier pour qu’on plonge dans le monumental ! Des œuvres à profusion issues de la création de celui qui se réveille généralement à cinq heures du matin. Et me voilà ébahi. Ces tableaux et sculptures dépassent le nombre troublant de huit-cents pièces. Ils sont conçus et mis au chaud pour l’ouverture entre 2026 et 2027 de la Fondation Mahi Binebine qui se construit sur un terrain conséquent pour que l’art se perpétue. Et c’est cet artiste qui le fait. Seul. La belle rencontre que je narre avec cœur arrive en pendant de l’ample exposition d’Abdallah Hariri intitulée « Mon histoire » tenue à la galerie Comptoir des Mines de Hicham Daoudi. Hariri nous y raconte son parcours depuis les années soixante, nous fait rêver à travers quelques décennies, m’envoie dans les cordes du plasticien Abdelkrim Ghattas et me jette dans les bras d’un lendemain boursouflé de présent. C’est ainsi que je considère Binebine. Il mord dans la vie à l’inverse d’autres qui ne pensent qu’à leur ultime départ. Sachant que les morts ne deviennent morts que lorsqu’ils meurent, je me permets cette brutalité qui veut que vivre n’est pas une finalité mais un projet de trépassement. Mahi vit jusqu’à ce qu’éternité s’ensuive.