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La ruée vers les "Visas d'or"


Rédigé par AB Vendredi 2 Août 2019

S'il y a des Marocains qui risquent leur vie en traversant la Méditerranée pour l'Eldorado européen, d'autres se paient le luxe d’acquérir des biens immobiliers pour obtenir un titre de résidence dans l’un des pays du Vieux Continent. Leur point commun: les deux opèrent dans la clandestinité.



Quand l'argent soulage la fièvre des titres de séjour en Europe

La ruée vers les "Visas d'or"

L’argent ne fait pas le bonheur...mais il y contribue, ajoutent les pragmatiques. Il contribue aussi à l'assouvissement des caprices de ces Marocains désireux d’obtenir d'un titre de séjour en Europe.  

 

C'est ce qu'on appelle "faire d'une pierre deux coups". La nouvelle porte d'entrée des riches Marocains en Europe est désormais l'achat de maisons ou appartements permettant de se procurer un titre de séjour dans la rive nord de la Méditerranée. Pourtant, contrairement aux économies plus ou moins ouvertes comme la Chine, le Maroc est catégorique sur ce point: "Aucun investissement impliquant une sortie d'argent du pays n'est autorisé pour les personnes physiques. Qu'il soit Marocain ou binational, tout résident fiscal au Maroc est interdit de détenir ou d'acquérir des biens ou d'avoirs financiers à l'étranger", nous confie-t-on à l'Office des Changes.

 

Légal ou pas, en dix ans, l'achat des maisons en Espagne par des marocains a connu un véritable pic, passant de 3.023 unités en 2007, à 5.500 en 2017, enregistrant une hausse de 72%. Ces chiffres, annoncés par le Conseil général du notariat espagnol (Consejo general del notariado), dans son rapport de 2018 sur l’achat de maisons par des étrangers, mettent le Maroc au premier rang des acquéreurs non-européens de maisons en Espagne, devant la Chine, dont les ressortissants se sont appropriés 4.935 maisons durant la même année. Les Marocains sont aussi les neuvièmes plus actifs du marché immobilier espagnol dans le monde, devancés par des investisseurs de pays comme la Roumanie, l'Equateur ou la Colombie, où trafics de devises et blanchiment d'argent font ravages. 

 

Les Marocains à la rescousse de l'Europe

 

En plus de l'Espagne, la liste "vendeurs" de titres de séjours est longue: Portugal, Malte, Chypre, Suisse, Grèce etc, mais aucune de leurs ambassades à Rabat n'a répondu à nos sollicitations sur le nombre de biens sous propriété de citoyens marocains sur leurs territoires. Ce sont des pays qui se sont retrouvés avec un stock de biens immeubles invendus à la suite de la crise financière mondiale de 2008, qui les a poussés à ouvrir leurs frontières aux porteurs de capitaux souhaitant s'accaparer de propriétés immobilières. En 2013, par exemple, notre voisin du nord voulait relancer son marché immobilier par tous les moyens.

Les banques espagnoles devaient se débarrasser de près de 900.000 logements, en quête de repreneurs depuis l’éclatement de la bulle immobilière. Le gouvernement avait donc proposé d’octroyer un permis de résidence aux étrangers n’appartenant pas à l’Union européenne s’ils achètent un logement de plus de 160.000 euros (environ 1.700.000 dirhams). A Chypre, la générosité a été poussée au plus loin. Le gouvernement a mis en place un mécanisme qui permet d'octroyer passeport chypriote aux étrangers qui auront perdu au moins 3 millions d’euros (plus de 32 millions de dirhams) avec la solution adoptée pour résoudre la crise du secteur bancaire en avril dernier. L’exemple du Portugal est encore plus criant, puisque, entre 2012 et 2014, le pays a accordé un peu plus de 2000 permis de séjour pour des investissements de 1,2 milliard d’euros et des recettes fiscales chiffrées à plus de 100 millions d'euros, selon le magazine économique suisse Bilan. Cerise sur le gâteau, les contreparties du Visa d'or sont minimes: ne pas revendre son bien et être sept jours par an au Portugal.

Trois fois rien pour les acheteurs marocains à côté de l'immense avantage de pouvoir voyager quand et où ils veulent dans l'Union européenne, et ce, sans même avoir à se déplacer pour acheter sa future résidence. Car en effet, agences immobilières et cabinets intermédiaires espagnols ou portugais poussent comme des champignons sur la Toile, tous, tachant à avoir une version en arabe et une autre en français de leurs sites web. Toutes les procédures sont expliquées à la lettre avec les "meilleurs plans" pour s'acquitter d'un bien dans la péninsule ibérique, qui offre "le type de Titre de Séjour le plus avantageux".

Sur le site d'un "facilitateur" espagnol, on apprend que le titre de séjour "est accordé directement pour deux ans au conjoint et aux enfants", qu'il "n’est pas exigé de résider en Espagne, juste de voyager au moins une fois en Espagne pendant la période où il est accordé", et que la démarche "ne prend que 15 jours". Et comme ce sont aussi des fins connaisseurs du Maroc et des aspirations de ces citoyens, ces Semsars de titres de séjour mettent en avant l'accès qu'offre ce permis aux soins de santé publique en Espagne ou au Portugal. De quoi séduire tout marocain conscient du délabrement des services de santé dans son pays. 

 

"Handicap"

 

Si certains trouvent le moyen d'enfreindre les lois et exporter de l'argent en Europe, d'autres n'y parviennent pas. Mohamed* est un officier d'un corps d'armée de 59 ans. Pour sa retraite, il planifiait d'élire résidence à Alicante (au sud-est de l'Espagne) avant de découvrir le "monde obscur" de l'investissement immobilier". "Vu que ma femme est cheffe cuisinière, on voulait acheter une maison en Espagne et ouvrir un petit restaurant marocain pour y passer le reste de nos jours", raconte ce père de trois enfants qui dit avoir ignoré l'interdiction imposée par l'Office des Changes jusqu'à une date récente. Mohamed a failli abandonné l'idée jusqu'à ce qu'il découvre une nouvelle piste.

Il poursuit: "En cherchant sur internet, j'ai trouvé un cabinet d'avocats immobiliers qui proposent de prendre en charge l'opération. Je les ai contacté et expliqué le type de maison que je voulais acheter. Ils m'ont fait une liste étoffée de propositions et m'ont laissé le soin de choisir. Mais avec un budget de 2.000.000 de dirhams, je n'avais pas beaucoup de marge, j'ai donc choisi la maison la moins chère". La sensibilité de ce genre d'opérations est néanmoins une aubaine pour les intermédiaires, qui facturent des montants exorbitants. "J'ai dû renoncer à l'idée lorsque le cabinet m'a envoyé un devis de 500.000 dirhams d'honoraires pour compléter mon achat", se désole-t-il. 

 

La "fermeture" du système d'import et export d'argent est décriée par une bonne partie d'acteurs économiques. Pour cet industriel marocain "le Royaume gagnerait à s'ouvrir dans les deux sens, c'est-à-dire en permettant aux marocains d'investir à l'étranger et aux non-résidents de faire entrer des capitaux librement". De l'aveu même de l'ex directeur général de l'Office des Changes, l’Instruction générale des opérations de change (IGOC) serait un "handicap" pour les investisseurs.

"Contrairement à ce qu’on pense, freiner les mouvements de capitaux fait fuir les investisseurs et vice versa", confessait Jaouad Hamri dans une conférence de presse en mars 2015. Reste que la traque aux fuites de devise bat son plein avec 600 dossiers de constitution illégale d’avoirs à l’étranger examinés de 2014 à début 2019. Par ses accords de coopération bilatéraux, l'Office de Changes détecte les opérations douteuses impliquant une exportation indue de devises. Si l'ancienne direction laissait entrevoir une libéralisation progressive des changes, la nomination de Hassan Boulaknadal en 2016 à la tête de l'Office rompt le doute.

"L’acquisition par des personnes qui résident au Maroc de biens immeubles à l’étranger, sans l’accord préalable de l’Office des changes, constitue une infraction. Les contrevenants risquent des amendes qui peuvent atteindre six fois la valeur de l’avoir constitué. Ces amendes peuvent être cumulées à des peines privatives de liberté allant de 3 mois à 5 ans", avertissait-il dans une interview accordée à nos confrères de L'Économiste le 2 janvier 2019. 

 

*Le nom de notre source a été modifié

 








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