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Culture

La louange du confinement


Rédigé par Lahoucine EL MERABET le Mercredi 29 Avril 2020

Erasme a inspiré bien des philosophes et des écrivains qui, se sentant leurrés par une pensée conformiste et par des convenances consacrées, ont choisi de s’inscrire en faux contre un courant qui a fini par s’ériger en norme, en morale et en codes hiératiques et canoniques.



La louange du confinement
L’éloge a été ainsi fait de la paresse par Eugène Marsan (Eloge de la presse, 1926), de la fuite par Henri Labori (Eloge de la fuite, 1976), de la faiblesse par Alexandre Jollien (Eloge de la faiblesse, 1999), des frontières par Régis Debray (Eloge des frontières, 2010) et de l’imperfection à la fois par l’Italienne Rita Levi Montalcini (Eloge de l’imperfection, 1998) et par Hassan Wahbi (Eloge de l’imperfection, 2012).

Bien entendu, cette liste de titres condense une référence à des réalités négativement perçues par le commun des mortels et par l’intelligence commune qui ne peuvent que les discréditer. Toutefois, à travers un prisme particulier, ces perceptions sont révisées et jaugées à l’aune d’une conception qui trouve son renfort dans une vision dont la subjectivité ne peut souffrir aucune anomalie, comme elle ne peut courir le risque d’aucun anathème collectif.

Les frontières reprennent de la valeur

C’est dans ce sillage qu’on peut inscrire la situation que le monde actuel est en train de traverser et les différentes contraintes qu’il affronte. La crise est là ; la conjoncture sanitaire mondiale étale ses répercussions sur les différents secteurs vitaux dans les pays développés et sous-développés. Les différentes activités sont à l’arrêt, ce qui déteint sur les moindres détails de notre vie domestique et même privée. Les frontières ont repris leur valeur et leur prévalence, et appellent à être célébrées, comme l’a judicieusement annoncé Régis Debray comme prémonition vérace, en tant que « vaccin contre l’épidémie des murs, remède à l’indifférence et sauvegarde du vivant ». C’est là un constat que tout le monde peut faire et qu’il faut vite dépasser pour voir que la grande opportunité qui a été offerte par cette crise c’est de condamner à un confinement avec lequel il ne faut point « badiner ». Cette situation obligée offre à son tour une posture idoine pour la contemplation, la méditation et la cogitation, nécessaires à des bilans qu’on ne peut jamais avoir le temps de faire.
 
Selon le philosophe français Pascal « Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achète une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir ». Cette vie sédentaire que l’on a propension à abandonner s’explique essentiellement par une quête effrénée des plaisirs de la chasse, des divertissements qui valent généralement plus que ce que l’on peut en obtenir. Car« on aime mieux la chasse que la prise » aux dires du grand philosophe qui impute le grand malheur des hommes « à une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre ».

Le confinement ne se choisit pas

Si le choix du confinement n’a pas été délibérément fait, il n’en reste pas moins qu’il peut être interprété dans un sens ou dans un autre, comme il peut permettre la liberté de gloser au sujet de ses incidences, de ses maléfices et de ses bénéfices. Il ne fait aucun doute que c’est une rude épreuve à toutes les sensibilités et à toutes les consciences. La tendance à errer, à briser tous les cadres et à faire voler en éclats toutes les barrières a été finalement contrée par cette contrainte de rester emmuré dans une demeure qui est bien la nôtre.

Cette propriété, ce bien et cette richesse ne se sont réellement révélés que suite à cet enfermement, propice à des bilans qui s’avèrent décidément intempestifs. La prégnance du présent impose des supputations qui révèlent le passé dans son insignifiance, sa vacuité et sa puérilité. Mieux encore, des pensées émergent et se trouvent orientées vers le futur qui nous avait arboré des promesses, vouées à présent au rang des incertitudes et des niaiseries enfantines. Tout cela pour dire que le confinement est bien là, pour dessiller les yeux aux rêveurs, aux âmes industrieuses, aveuglées par des fantômes, des leurres et des chimères qui ne tardent à afficher leur aspect modique et dérisoire. Un arrêt de cette ampleur est d’autant plus nécessaire qu’il ouvre sur la réalité des choses, en imposant un grain de sable dans une machine qui ne connaît que la logique mécanique d’un mouvement incessant et invincible. Les mécanismes et leurs engrenages sont mis devant cette relativité irréfutable avec laquelle il importe désormais de compter, sous peine de courir à chaque fois au devant des déconvenues plus que certaines.

Lahoucine EL MERABET

Agrégé de lettres modernes, Professeur de Philosophie Auteur de « La Sensibilité pensante à l’oeuvre dans Le Livre du sang de Khatibi »