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Introduction de variétés résistantes à la cochenille : Serait-ce la fin de la longue traversée du désert du cactus marocain ?


Rédigé par Oussama ABAOUS Dimanche 25 Septembre 2022

Les scientifiques marocains se sont illustrés grâce à leur travail de sélection et de multiplication de variétés de figues de barbarie résistantes à la cochenille. Récit d’une course contre la montre pour ressusciter une filière meurtrie.



Depuis quelques mois, l’Institut National de la Recherche Agricole (INRA) croule sous les sollicitations de collaboration émanant de diverses parties et institutions de recherche du monde entier. Avec l’annonce de la sélection et la multiplication de 8 variétés de figuier de barbarie qui résistent aux ravages de la cochenille du cactus par les chercheurs marocains, les acteurs de la filière nationale de valorisation des figues de barbarie anticipent déjà un retour à la normale de leurs activités et leur espoir se propage au-delà de nos frontières.

« Nous recevons régulièrement un nombre considérable de demandes et de requêtes à propos des 8 variétés résistantes à la cochenille du cactus. Nous sommes bien évidemment disposés à la collaboration scientifique nationale et internationale, mais nous devons d’abord prioriser l’achèvement des activités de multiplication et d’accompagnement de la nouvelle stratégie Génération Green 2020-2030 qui prévoit la plantation de 130.000 hectares de ces variétés à travers le pays », explique Dr Mohamed Sbaghi, directeur de recherche à l’INRA et coordonnateur national du programme de multiplication du cactus résistant à la cochenille.

Réactivité et collaboration

Si le Maroc commence à voir le bout du tunnel après plusieurs années de dépérissement des cultures du figuier de barbarie à cause de ce ravageur vicieux, d’autres pays de la région appréhendent une catastrophe qui ne les a pas encore touchés, mais dont la propagation ne semble pas vouloir s’arrêter. « La façon avec laquelle est arrivée la cochenille en Méditerranée est encore mal connue. Il existe plusieurs pistes et théories probables. Cela dit, des pays comme l’Italie - où la filière de valorisation du cactus est très développée - sont aux aguets pour anticiper et essayer d’empêcher l’arrivée et la prolifération du ravageur », poursuit le scientifique.

Notre pays a pour sa part déjà traversé une véritable crise depuis qu’est apparu le premier foyer de ce ravageur en 2014. « En 2016, au lancement officiel du programme d’urgence, nous avions uniquement quelques zones infestées au niveau de Sidi Bennour et dans la région de Zmamra », raconte la même source qui se félicite de « la réactivité et la collaboration dont ont fait preuve les diverses parties prenantes impliquées dans la lutte contre ce ravageur ».

Sélection et multiplication

En 2017, la vitesse de propagation du fléau s’est accentuée au niveau national avec l’apparition de nouveaux foyers d’infestation, dans la région de Rhamna notamment. Pendant ce temps, une équipe mixte de chercheurs marocains capitalisait sur le travail de collecte d’écotypes de figues de barbarie (mené par l’INRA depuis les années 80) pour tenter d’identifier des variétés résistantes, à même de sauver une filière nationale de valorisation en chute libre.

« Nous avons travaillé dans des conditions climatiques parfois pénibles pour reproduire une réplique de toutes les variétés dont nous disposions au niveau d’un champ expérimental infesté afin de déterminer lesquelles étaient les plus résistantes. Le résultat de ce travail a par la suite été confirmé et renforcé par d’autres expériences similaires à l’échelle du laboratoire et de la serre », explique Dr Sbaghi.

Après l’inscription au catalogue officiel des 8 variétés de cactus qui ont démontré leur résistance face à la cochenille, la phase entamée de multiplication et d’établissement des plateformes permet déjà de donner progressivement de l’espoir aux acteurs de la filière dans l’objectif d’une reprise des activités de culture.

Produits et sous-produits

Habitué à certaines variétés patrimoniales réputées pour leurs atouts gustatifs et productifs, le milieu des producteurs a cependant vu circuler plusieurs rumeurs et doutes par rapport aux 8 variétés résistantes. « Nous avons organisé des rencontres pour montrer aux producteurs les spécificités de ces 8 variétés ainsi que le potentiel qu’elles pouvaient offrir. Ils ont testé plusieurs produits par eux-mêmes et je peux vous assurer qu’ils ont été ravis du résultat. Pour résumer, en adoptant ces nouvelles variétés, les producteurs et les consommateurs ne perdent pas au change par rapport aux anciennes variétés non-résistantes », assure le chercheur.

Pendant que l’INRA continue à multiplier et à diffuser les nouvelles variétés résistantes, ses équipes poursuivent leurs recherches sur divers axes. « Nous menons actuellement un programme d’amélioration génétique en croisant les variétés résistantes avec d’autres variétés sensibles afin de renforcer leur résistance. Les résultats sont très probants et nous sommes actuellement en train d’attendre la fructification pour évaluer les qualités des produits issus de ces nouvelles variétés », conclut le scientifique.



Oussama ABAOUSS

Repères

Explosion des prix
L’infestation du figuier de barbarie par la cochenille du cactus a épargné certaines zones où les conditions environnementales et climatiques ne sont pas propices à la prolifération de cet insecte ravageur. Face à la baisse drastique des quantités de fruits disponibles sur le marché national durant ces dernières années, les prix de la pièce ont explosé pour passer de moins d’un dirham à plusieurs dirhams (jusqu’à dépasser 10 dirhams dans certaines régions). Cette hausse des prix s’est également fait ressentir au niveau des autres sous-produits de cette filière.
 
Le Liban pointé du doigt
Selon le média « Times of Israël », la propagation de la cochenille qui est actuellement en train de décimer les cultures de cactus au niveau de la Méditerranée est due à une erreur de responsables libanais qui voulaient introduire l’insecte « Dactylopius coccus » pour produire du carmin. « Au lieu d’importer Dactylopius coccus, le Liban a acheté du Dactylopiusopuntiae, une espèce apparentée d’insecte cochenille qui vit aussi de la figue de barbarie, mais qui est beaucoup plus agressive et dommageable », souligne le média.

L'info...Graphie

Introduction de variétés résistantes à la cochenille : Serait-ce la fin de la longue traversée du désert du cactus marocain ?

Ecologie


Quand un insecte-ami se transforme en pire ennemi
 
Dans ses habitats natifs en Amérique du Sud, le figuier de barbarie vit en symbiose avec plusieurs espèces de cochenille. Selon certains auteurs, l’introduction du figuier de barbarie dans la région méditerranéenne s’est faite afin de pouvoir exploiter ces cochenilles dans la production d’un pigment rouge (carmin) utilisé encore aujourd’hui comme colorant pour certains produits alimentaires et cosmétiques.

Cette famille d’insectes n’a cependant pas pu survivre à l’introduction de sa plante hôte sous d’autres latitudes. De ce fait, le figuier de barbarie a surtout été utilisé sous la forme de clôture dissuasive et résistante à la sécheresse pour les enclos et les champs d’animaux. L’introduction accidentelle de la cochenille Dactylopiusopuntiae a cependant sonné le glas pour la survie et le maintien des populations de figuiers de barbarie dans le pourtour méditerranéen, surtout que le contexte écologique de la zone est très différent de celui qui prévaut encore dans l’habitat original mexicain.
 

Stratégie


Vers une augmentation progressive des superficies de cactus
 
Au vu de son potentiel de valorisation et de sa résistance exceptionnelle face aux aléas climatiques, la culture du figuier de barbarie a bénéficié d’une place privilégiée lors de la déclinaison du Plan Maroc Vert (PMV). Les prévisions des superficies plantées prévues à l’horizon 2020 ont ainsi été atteintes dès 2014 avec un développement simultané de plusieurs unités de conditionnement et de transformation des produits de cette filière. Un élan qui a grandement été perturbé depuis à cause des ravages de la cochenille.

Depuis son lancement, la nouvelle stratégie nationale agricole « Generation Green » ambitionne pour sa part de restaurer et d’agrandir les superficies détruites par la cochenille grâce aux nouvelles variétés résistantes qui ont été sélectionnées parmi 400 écotypes de cette espèce florale.

L’objectif pour 2030 est d’atteindre une superficie de culture de 130.000 hectares. Cette remise en selle de la filière du figuier de barbarie se fera notamment grâce à l’accompagnement de l’INRA qui compte poursuivre la multiplication des variétés résistantes afin de produire près de 1.630.000 plantules et quelque 481.800 cladodes entières des différentes plateformes pour un total de 2.112.000 plants.

Les efforts conjugués des diverses parties prenantes permettront ainsi de réhabiliter près de 7800 hectares courant 2022, pour atteindre 15.000 hectares en 2023, puis 20.000 hectares en 2024. Dès l’année 2025, 23.000 hectares s’ajouteront chaque année à la superficie globale occupée par cette culture.
 

3 questions au Dr Mohamed Sbaghi


« La résistance naturelle d’une espèce a toujours une limite »
 
Coordonnateur national du programme de multiplication du cactus résistant à la cochenille et directeur de recherche à l’INRA, Dr Mohamed Sbaghi répond à nos questions.

- Est-il possible que les variétés résistantes à la cochenille puissent un jour perdre cette résistance ?

- Bien sûr, la résistance naturelle d’une espèce a toujours une limite. Elle peut s’interrompre brutalement comme elle peut diminuer progressivement sur une durée plus ou moins longue. Cela dit, nous sommes en train d’étudier l’expression génétique de cette résistance afin de la renforcer et de la protéger. Maintenir ainsi la résistance d’une espèce est tout à fait possible, en témoignent les variétés résistantes de vigne qui perdurent depuis les années 90.

D’un autre côté, il faut également ne pas oublier que la cochenille est également susceptible de développer des résistances. Pour cette raison, il est impératif d’éviter de planter les variétés qui sont sensibles en essayant de les protéger par des traitements, car cela peut à terme renforcer la résistance de ce ravageur.


- Les variétés patrimoniales qui ont été décimées par le ravageur sont-elles donc perdues à jamais ?

- Pas du tout. L’INRA a réussi à sauvegarder toutes les anciennes variétés. Elles sont actuellement à l’abri de la cochenille. Une fois que le ravageur aura été définitivement éradiqué, nous pourrons toujours les réintroduire. Ajoutez à cela les croisements que nous sommes en train de tester entre ces variétés (Aissa, Moussa, Delahia, Hddiouia, etc.) et celles qui sont résistantes. Cela permettra à terme de multiplier le nombre et la résilience des variétés dont nous disposons.


- En Israël, les chercheurs ont tenté d’introduire des prédateurs de la cochenille pour l’éradiquer. L’INRA envisage-t-il de faire la même chose ?

- L’introduction de prédateurs de la cochenille est un aspect qui nous intéresse à plus d’un titre. Nous avons par ailleurs commencé ce type de travail depuis 2017 avec la coccinelle ‘’Cryptolaemusmontrouzieri’’. Cela dit, au vu des risques potentiels négatifs de ce genre de solution, nous veillons à assurer toutes les précautions nécessaires en mettant notamment à profit notre insectarium où les tests peuvent se faire sous contrôle.

D’un autre côté, nous avons également identifié 14 insectes prédateurs (coléoptères) marocains de la cochenille. Nous prospectons également l’apport que peuvent fournir des espèces de champignons. La recherche dans le domaine de la lutte biologique contre cette cochenille et les autres ennemis des principales cultures au Maroc nécessite du temps et des moyens et l’INRA n’exclut aucun axe de recherche qui peut potentiellement donner des résultats probants.



Recueillis par O. A.







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