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Interview avec Youssef El Jai : Renforcer l’attractivité du marché marocain par une fiscalité adaptée


Rédigé par Wolondouka SIDIBE Jeudi 17 Novembre 2022

Le PLF23 suscite un intérêt justifié à travers des fiscalités innovantes touchant tous les secteurs d’activité dans un contexte économique mondial de plus en plus préoccupant. Pour l’export, la reprise est une bonne nouvelle en attendant une refonte stratégique de ce pan clé pour l’économie marocaine. Explications avec Youssef El Jai, Economiste au Policy Center for the New South.



-Quelle lecture faites-vous, d’abord, du Projet de Loi de Finances 2023 par rapport à celui du précédent (2021) ?

- Globalement, le gouvernement répond en partie à certaines recommandations ressorties des 3èmes Assises nationales sur la fiscalité de 2019, notamment en matière d’harmonisation de l’impôt sur les sociétés et de préservation des équilibres macroéconomiques.

Par rapport à l’année précédente, le cap de la hausse des dépenses d’investissement est maintenu, ce qui devrait permettre de financer les programmes de promotion de l’emploi et de l’entrepreneuriat, notamment Forsa et Awrach, mais aussi entamer l’activation de la Charte de l’investissement, dont les mesures incitatives nécessiteront une manne budgétaire conséquente.

Par ailleurs, avec un budget estimé à 51 milliards de dirhams annuellement à partir d’ici 2025, la réussite de la réforme de la généralisation de la protection sociale est tributaire de la capacité de l’Etat à mobiliser des ressources pour financer ce chantier majeur. Les réformes fiscales impactant l’imposition des professions libérales et des travailleurs indépendants seront un pas en avant dans la réalisation de cet objectif. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que le principe de l’équité fiscale doit primer.

En effet, selon le diagnostic établi par la Commission pour le Nouveau Modèle de Développement, l’impôt sur le revenu est prélevé pour l’essentiel sur les revenus salariaux de fonctionnaires et dans les secteurs organisés. La hausse de l’impôt sur les banques et compagnies d’assurance, qui évoluent dans des marchés à forte concentration, obéit à la même logique.

A l’avenir, cette démarche pourrait éventuellement être transposée aux secteurs à faible contestabilité. Enfin, s’agissant des hypothèses retenues dans la conception de ce PLF, quelque peu de prudence s’impose. Le gouvernement avance dans un contexte international fortement incertain, particulièrement dans la Zone Euro.


-Dans le contexte actuel, marqué par une hausse importante des prix, quelles sont les mesures contenues dans le PLF 2023 qui visent à protéger le pouvoir d’achat des ménages et limiter la hausse des coûts des entreprises ?

- Le maintien des dépenses de compensation pour l’année 2023 a été un choix raisonnable étant donné l’incertitude qui entoure l’évolution de la conjoncture économique. L’activation prochaine du registre social unifié et du registre national de la population devrait permettre un meilleur ciblage des aides et une meilleure optimisation des dépenses publiques. La hausse du salaire minimum décidée lors du dernier dialogue social représente un coup de pouce pour les salariés.

Toutefois, certaines analyses considèrent cette mesure comme contreproductive dans la lutte contre le chômage de longue durée en raison du renchérissement du coût de travail. Il aurait ainsi été plus judicieux de revoir la fiscalité sur le travail, en application des recommandations formulées par les Assises de la fiscalité, reprises notamment dans le rapport du Nouveau Modèle de Développement.

Le gouvernement a également décidé de revoir les droits de douane sur un certain nombre d’intrants. Cette mesure devrait permettre aux entreprises de réduire leurs coûts de production et de maintenir leurs prix inchangés sans rogner leurs marges. Peut-être serait-il utile de la pérenniser pour renforcer l’attractivité du marché marocain, la fiscalité sur les échanges extérieurs étant considérée comme un facteur structurant dans la stratégie d’ouverture d’un pays.


-Qu’en est-il des avantages fiscaux ?

- En matière d’IS, la convergence vers un taux unique pour les entreprises réalisant un bénéfice inférieur à 100 millions de dirhams améliorera la lisibilité du régime fiscal des sociétés. Toutefois, la mise en place d’un taux intermédiaire de 35%, au-delà de ce montant, peut conduire à un effet de seuil qui impacterait négativement la collecte des ressources publiques.

En matière de dépenses fiscales, le gouvernement vient avec quelques changements qui devraient améliorer la structure fiscale de l’Etat à terme. Ainsi, certains avantages fiscaux qui ont prévalu ces dernières années, notamment les régimes spéciaux des zones d’accélération industrielle (ZAI) et le statut Casablanca Finance City (CFC) seront progressivement supprimés. Ceux-ci offraient une imposition préférentielle à certaines entreprises (exemple : exonération quinquennale puis IS de 15%).

Conformément aux engagements internationaux du Maroc, notamment la convention BEPS de l’OCDE et du G20, le PLF 2023 prévoit une harmonisation progressive des taux d’IS vers un taux unique de 20% d’ici 2026. Ces mesures devraient concourir à atteindre les objectifs de la convention visant à mettre fin à l’érosion de la base fiscale via des stratégies d’évitement de l’impôt sur les bénéfices des sociétés.


-Plusieurs mesures incitatives ont été annoncées pour soutenir différents secteurs d’activité y compris l’import et l’export. Comment se présente aujourd’hui ce dernier volet, l’export, dans le contexte post Covid-19 ?

- Dans une conjoncture internationale difficile, le secteur exportateur affiche une progression notable portée essentiellement par la dynamique des prix. Globalement, la hausse des exportations de biens est liée à la hausse des prix des principaux produits exportés par le Maroc sur les marchés internationaux. Cette augmentation cache des disparités importantes entre l’impact de la variation des prix et le changement des quantités exportées.

A titre d’illustration, pour le poste « phosphates et dérivés », les derniers chiffres font ressortir une hausse de la valeur exportée, mais une baisse du volume. La balance des services, dont le tourisme représente une part importante, a connu une amélioration soutenue après deux années marquées par les restrictions liées à la pandémie Covid-19. Cette reprise est une bonne nouvelle en attendant une refonte stratégique de ce secteur clé pour l’économie marocaine. Pour l’année 2023, il faudrait peut-être s’attendre à un recul ou un ralentissement de la dynamique des exportations pour les produits dont l’activité est essentiellement concentrée chez nos principaux partenaires européens.

En effet, tous les signaux portent à croire que la Zone Euro entrera en récession dans les prochains mois sous l’effet conjugué de la hausse des taux d’intérêt de la BCE, pour juguler l’inflation, et l’exacerbation des tensions sur les produits énergétiques. L’incertitude entourant la saison agricole à venir pourrait également conduire à une progression ou un ralentissement de l’activité à l’export.
 




Interview réalisée par Wolondouka SIDIBE


Bon à savoir

M. Youssef El Jai travaille au Policy Center for the New South comme économiste. Il a rejoint le centre en 2019 après avoir obtenu un Master’s in Analysis and Policy in Economics de la Paris School of Economics et du Magistère d’Economie de la Sorbonne. M. Youssef a enseigné à l’Université Paris Dauphine et à l’Université de Paris Cité, en macroéconomie dans les départements d’économie et de mathématiques.

Au sein de l’équipe de recherche, il s’intéresse aux questions d’intégration économique dans le continent africain et en particulier en Afrique de l’Ouest, ainsi que les évolutions conjoncturelles de l’économie marocaine.

Brièvement, quant au Policy Center for the New South, c’est un groupe de réflexion marocain visant à contribuer à l’amélioration des politiques publiques économiques et sociales qui interpellent le Maroc et le reste de l’Afrique en tant que parties intégrantes du Sud global.

Le PCNS plaide pour un « nouveau Sud » ouvert, responsable et entreprenant, qui définit ses propres récits et cartes mentales autour des bassins méditerranéen et sud-atlantique, dans le cadre d’une relation prospective avec le reste du monde.

 








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