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Interview avec Tarik Saleh : « Mes films traduisent mes sentiments les plus profonds envers l’Egypte »


Rédigé par Mina Elkhodari Mercredi 16 Novembre 2022

Le réalisateur suédois d’origine égyptienne marque de son empreinte cette année la 19ème édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM) avec son thriller «La Conspiration du Caire » qui décrit le pouvoir politique et ses contradictions, l’occasion de revenir sur sa vision du 7ème art.



DR : MEHDI CHEBIL/ HANS LUCAS
DR : MEHDI CHEBIL/ HANS LUCAS
- Vous avez réalisé d’abord un film sur la politique qui est «Le Caire confidentiel » et après vous avez abordé la région dans votre film «Boy From Heaven », pourquoi en fait le choix de ces deux thématiques généralement divergentes ?

- Je ne me considère pas comme un cinéaste politique ou un activiste. Mon travail à moi est de trouver la vérité dans les histoires. Quand je la trouve, elle devient politique puisqu’il y a toujours des gens qui refusent de montrer la face vraie d’une histoire. Cela fait que je deviens cinéaste politique par coïncidence malgré que, sincèrement, si j’avais fait de la comédie romantique j’aurais certainement la possibilité de rentrer en Egypte avec mes enfants au lieu d’en être privé pour des années.


- Etre cinéaste et immigrant en même temps, comment est-ce que cela est important pour vous en tant que réalisateur ?

- Certainement. Etre issu d’un vécu migratoire ou simplement être migrant constitue toujours, d’après l’expérience de réalisateurs notables dans le monde, un point de plus pour réaliser des oeuvres qui interpellent le large public à travers nos histoires et notre vécu bien différent d’un simple citoyen.

Dans ce sens, je me rappelle très bien de Billy Wilder, Martin Scorcese ou Francis Ford Coppola comme de grands cinéastes et enfants d’immigrés. Ce dernier, par exemple, a pu raconter l’histoire du rêve américain dans son film «Le Parrain», tout simplement parce qu’il est conscient de ce que signifie être une famille issue de l’immigration. Il a vécu la lutte pour se construire une vie décente. En fait, lorsqu’un individu porte en lui cette diversité, qui constitue bien une richesse, et même les douleurs qui vont avec aussi, il porte incontestablement un regard différent sur la société au sein de laquelle il vit ou a grandi.

De même, lorsqu’on est trop fier de nos origines sans avoir conscience de la raison, sans l’humilité qui doit aller avec, et surtout sans avoir rien accompli, on défend une certaine appartenance parce qu’elle permet plutôt certains privilèges, alors qu’on devrait avoir honte.

Personnellement, je n’ai pas ce sentiment là. Je suis toujours attaché à des endroits précis, des lieux particuliers qui signifient beaucoup pour moi comme Alexandrie, Le Caire, Casablanca et d’autres coins du monde pour lesquels j’ai autant de sentiments.


- Vos travaux sont marqués par la recomposition de l’espace avec une certaine liberté. Dans votre film « Le Caire confidentiel », vous avez représenté Le Caire à travers Casablanca. Ainsi, dans « La Conspiration du Caire», vous avez représenté cette fois-ci la capitale égyptienne à partir d’Istanbul. De même, vous avez représenté Al-Azhar dans la mosquée Süleymaniye, s’agit-il d’un choix ?

- Je suis condamné à ne plus mettre les pieds en Egypte. Pour cela, cette représentation n’est qu’une traduction de mes sentiments les plus profonds envers mes origines en tant que réalisateur. D’ailleurs, j’étais et je suis toujours obsédé par le fait de tourner des films en Egypte qui marque bien mes origines et surtout dans Le Caire qui me tient toujours à coeur. En effet, j’estime que c’est cela qui m’a poussé à reproduire Le Caire à Casablanca et après à Istanbul.

Pour ce faire, je suis parti à la conquête de chaque avenue qui pourrait être Le Caire dans mon film. Pour leur part, les spectateurs marocains s’amusent bien du fait de trouver des indices de leur ville dans mes films malgré, qu’en termes de production, ca n’a pas été facile.

S’agissant du film «Le Caire confidentiel», le tournage a coïncidé avec la naissance de ma première fille, un moment important de ma vie. Je ne voulais pas m’aventurer, c’est pour cela que j’ai opté pour la ville de Casablanca, qui me tient à coeur, comme plateau à ciel ouvert. Cette aventure me rappelle bien l’expérience de Federico Fellini, qui a réussi à recréer sa ville natale dans d’autres lieux.

Pour «La Conspiration du Caire», j’étais conscient du fait que je ne pourrais pas le tourner au Caire. J’ai donc décidé de créer une version fictionnelle d’Al-Azhar à Istanbul. Il allait être tourné au Maroc mais les conditions mises en place en période de pandémie nous ne l’avaient pas permis. C’est pour cela que nous avons choisi la Turquie pour les facilités que nous pouvions avoir en termes de tournage malgré la Covid-19 et nous avons reproduit Al-Azhar dans la mosquée Süleymaniye d’Istanbul qui m’a fasciné dès le premier regard.


- Dans votre parcours cinématographique, vous avez abordé des thématiques qu’on n’aborde pas tous les jours, voyez-vous que le cinéma constitue un espace pour le cinéaste pour s’exprimer sur des questions complexes ?

- En tant que cinéaste, je prends le parti de l’humain, surtout au temps où nombreuses sont les personnes qui affectionnent les conspirations, cette pensée magique, surtout dans notre région arabe. C’est amusant de croire que les gens au pouvoir sont puissants, alors que, parfois, ils peuvent être eux-mêmes orchestrés par leur entourage. Il y a toujours des échecs de leadership, des défauts de gouvernance, donc si conspiration il y a, on reconnaît qu’un échec se cache derrière.

Dans mon travail de réalisateur, j’essaie de dire que nos dirigeants sont finalement des êtres humains comme nous. Ils s’emportent, ils ont un excès de zèle, un soulèvement peut se provoquer, mais, souvent, on n’est pas éliminé par son ennemi frontal mais par son ami proche. C’est là, pour moi, le message le plus important dans ce film qui est de montrer comment le personnage du sécuritaire Ibrahim ne se tient pas contre les Frères musulmans en premier lieu, mais contre son supérieur, qui est sans foi ni loi, un psychopathe qui ne peut pas mettre en accord ses collaborateurs. C’est intéressant d’analyser la perception des choses que peut avoir celui qui est détesté par tous, jusque dans son entourage, dont font partie évidemment ceux qui sont loin de l’affectionner.



Recueillis par Mina ELKHODARI

Portrait


Tarik Saleh : le cinéaste politique par coïncidence
 
Tarik Saleh est un réalisateur cinéaste suédois d’origines égyptienne, né en 1972 à Stockholm. Il a commencé sa carrière en tant que graffeur. Sa fresque fascinante, réalisée en 1989, a été la première à être protégée par l’État de Suède et reconnue comme un héritage culturel.

Au début des années 2000, il a été directeur artistique du magazine Alive in Cairo et éditeur de la revue Atlas. En 2001, il s’est lancé dans la réalisation d’un documentaire avec Erik Gandini : « Sacrificio : Who betrayed Che Guevara ». Ce film documentaire pose des questions sur la mort de Che Guevara et suscite controverses et débats sur le plan international.

En 2005, toujours avec Erik Gandini, il produit son documentaire « Gitmo : The New Rules of War », sur les camps de détention de la baie de Guantanamo. Ce film remporte de nombreuses récompenses aux États-Unis et en Europe. En 2009, il réalise sa première fiction, le film d’animation « Metropia ».

Il est ensuite sélectionné dans plus de 65 festivals de cinéma, dont Tribeca et le festival de cinéma de Londres, et gagne de nombreux Prix, notamment aux festivals de Miami et de Seattle. Après avoir réalisé en 2017 son film « Le Caire confidentiel» qui dénonçait une police militaire aux ordres du politique (primé au Festival de Sundance), Tarik Saleh met la religion au coeur de son long métrage courageux «Boy from Heaven » qui dénonce les accointances politico-religieuses et leurs effets délétères.
 








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