- Le chômage persiste encore parmi les diplômés, avec un taux de 19,4% au premier trimestre de 2025. Quelle est la part de responsabilité de l’enseignement supérieur dans cette tendance ?
Aujourd’hui, le grand défi de notre système d’enseignement réside dans sa capacité à former des talents tout en assurant leur insertion réussie dans le monde professionnel. Certes, nos universités proposent des formations globalement complètes et de bonne qualité, mais il persiste un manque de collaboration structurée avec le monde de l’entreprise, un levier pourtant essentiel pour faciliter l’intégration des lauréats dans la vie active. De nombreux étudiants suivent des formations de plusieurs années, mais lorsqu’il s’agit de décrocher un stage ou un premier emploi, ils bénéficient, dans la plupart des cas, d’un accompagnement limité de la part de leurs établissements. Cela s’explique en grande partie par l’absence de canal digital centralisé permettant aux universités de suivre les premiers pas de leurs lauréats dans le monde professionnel, depuis la première candidature au premier contrat de travail. De tels indicateurs sont nécessaires dans la mesure où ils permettent à ces établissements d'adapter leurs formations aux réalités du marché de l’emploi. Il est donc temps de faire de l’insertion professionnelle un indicateur central de l’efficacité des formations.
Dans cette optique, nous avons commencé à déployer une solution digitale innovante qui regroupe entreprises, universités et étudiants sur une même plateforme, tout en permettant le pilotage d’indicateurs clés liés à l’insertion. Si cette solution a été rapidement adoptée par quatre établissements du secteur privé, son déploiement dans le secteur public reste difficile, et nécessite une action coordonnée avec les autorités compétentes.
- Outre l’accompagnement et la sensibilisation post-diplomation, dans quelle mesure peut-on considérer les soft skills comme un levier d’insertion professionnelle ?
L’importance des soft skills n’est plus à démontrer. Ce qui reste, en revanche, c’est de mettre en place un cadre propice à leur développement, afin de faciliter le passage progressif du monde académique au monde professionnel. Si ce passage devrait s’opérer principalement à travers des programmes de stage et d’alternance, la réalité est tout autre du moment que les stages cantonnent l’étudiant à un rôle passif d’observateur gratuit. Ces expériences, loin de favoriser une dynamique d’insertion, n’engendrent ni responsabilisation ni montée en compétence, et passent à côté de leur finalité première : préparer activement à l’entrée dans la vie professionnelle.
Les stages devront se transformer en un espace de formation à la posture professionnelle, permettant au lauréat d’apprendre à communiquer en entreprise, à comprendre les codes comportementaux, et à répondre aux attentes en matière d’attitude et de savoir-être.
De plus, bien que les soft skills aient été intégrés dans les cursus universitaires, leur enseignement reste souvent limité à des cours théoriques. Or, pour préparer efficacement les lauréats à la vie professionnelle, ces compétences doivent être transmises par des professionnels issus du monde de l’entreprise, qu’il s’agisse de grandes structures ou de PME. Ce sont eux qui peuvent servir de pont entre l’univers académique et le monde professionnel, en apportant un enseignement ancré dans la réalité du terrain, fondé sur des attentes réelles et des situations vécues.
- Comment le développement de l’intelligence artificielle et son intégration progressive dans les entreprises ont-ils changé le paradigme des attentes dans le monde professionnel ?
Le Maroc est un pays riche en hard skills, avec des compétences techniques reconnues dans divers domaines à l’échelle internationale. Cette réalité a d’ailleurs poussé plusieurs grandes entreprises à implanter des hubs technologiques locaux. Cependant, tous les indices laissent présager un changement de paradigme sur le long terme, lié à aux capacités de l’IA à réaliser de façon efficace des compétences techniques et la monotâche. Ce qui est déjà recherché aujourd’hui, et qui le sera encore plus demain, ce sont des profils capables de couvrir un périmètre large, dotés d’une vision globale, au-delà de la simple exécution technique. Prenons l’exemple du développeur : hier, un bon développeur était celui qui savait coder proprement, sans bugs. Aujourd’hui avec l’émergence de l’intelligence artificielle, un développeur devra non seulement savoir coder, mais aussi comprendre les enjeux business, traduire les besoins en solutions concrètes et anticiper les impacts à grande échelle. Autrement dit, il devra posséder une vision d’ensemble que les outils d’IA, du moins pour l’instant, ne peuvent pas fournir. Ce constat s’applique à l’ensemble des métiers, d’où l’importance croissante des compétences hybrides, qui allient expertise technique, compréhension stratégique et soft skills.
- Le ministère de l’Emploi compte multiplier les formations certifiantes pour faciliter l’insertion des jeunes ayant des compétences techniques dans le développement informatique par exemple et n’ayant pas de diplôme. Comment valoriser ces compétences sur le marché ?
C’est un vrai sujet. La technologie évolue à une vitesse fulgurante, bien plus rapidement que les cursus de formation. Dans ce contexte, nombreux sont les jeunes qui ont su se former de manière autonome et évoluer avec les nouvelles technologies, indépendamment de la qualité ou de la durée de leur formation initiale. D’après notre expérience en matière de recrutement, les employeurs valorisent de plus en plus ce type de compétences, même en l’absence de diplômes classiques ou de formations longues issues d’établissements prestigieux. Car oui, la compétence la plus précieuse aujourd’hui sur le marché du travail est la capacité à apprendre par soi-même. Ces jeunes sont désormais soutenus par des programmes de formation courte, tels que "Job in Tech", porté par Maroc Numeric Cluster qui va former des dizaines de milliers de talents aux métiers du numérique, avec une ambition claire d’insertion professionnelle, via des bootcamps courts. La réussite de cette démarche suppose toutefois un changement de regard de la part des entreprises qui doutent de la compétence d’un jeune, sous prétexte qu’il n’a été formé que sur six mois. A contrario, elles sont appelées à accompagner ces profils à travers des parcours d’onboarding adaptés et des programmes de montée en compétence (upskilling) ciblés sur les savoir-faire complémentaires.
- Le télétravail fera l'objet d'un encadrement spécifique dans le Code du travail, dont une révision est prévue pour septembre ou octobre. Comment cette mesure pourra-t-elle agir sur la marque employeur ?
En plus d’être un choix désormais ancré dans les pratiques professionnelles, le télétravail demeure un levier de compétitivité pour les entreprises souhaitant attirer les meilleurs profils, pour qui la flexibilité constitue un critère de choix majeur. Cependant, cette pratique, largement adoptée depuis la pandémie de la Covid-19, évolue en l’absence d’un cadre légal clair, ce qui soulève plusieurs problématiques, notamment en matière de sécurité sociale et de conditions de travail à domicile. L'inscrire dans le cadre du Code du travail est destiné à la fois à protéger les salariés et les entreprises, tout en préservant l'équilibre existant. Certes, des défis organisationnels sont à prévoir, mais la réalité est que le télétravail repose avant tout sur un pacte de confiance : c’est à l’entreprise de favoriser un climat de confiance avec ses équipes, et au salarié de s’en montrer digne.
- Comment la plateforme Jobzyn participe à la dynamisation du marché du travail ?
Les talents marocains ont besoin de plus de transparence du côté des entreprises pour faire un choix avisé et les entreprises jouent le jeu sur Jobzyn, en se présentant de l’intérieur, via le canal vidéo, largement le plus consommé pour la nouvelle génération. Au-delà de la transparence, il y a un vrai sujet d’efficience dans les processus, que nous adressons via des outils reposant sur l’IA, pour accélérer le traitement des candidatures et les feedbacks aux candidats.
Recueillis par
Mina ELKHODARI
Mina ELKHODARI