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Interview avec Selma Sidki : « Le PLF 2026 est conçu dans un contexte économique et financier particulier »


Rédigé par Safaa KSAANI Lundi 20 Octobre 2025

Selma Sidki, enseignante-chercheuse en économie/finance publique à l'Université Ibn Tofail, analyse les grandes lignes du Projet de Loi des Finances (PLF) 2026, et décrypte les réformes fiscales et les leviers d'efficience de la dépense publique.



- Le Projet de Loi de Finances 2026 est élaboré dans un contexte de défis multiples. Quel est, selon vous, l'arbitrage le plus critique que le gouvernement a dû réaliser dans ce PLF ?

- Le projet de Loi de Finances 2026 est conçu dans un contexte économique et financier particulier : d’un côté les chantiers sociaux lancés dans les années précédentes, la volonté de confirmer les bases de l’Etat social qui nécessitent des dépenses publiques pas nécessairement créatrices de richesses de manière directe, et de l’autre côté l’engagement à préserver les équilibres macroéconomiques, notamment la maîtrise du déficit public qui nécessite une politique budgétaire moins laxiste. Ce qui met le gouvernement face à des arbitrages difficiles à réaliser. Il est vrai que depuis plus de deux décennies, le Maroc s’engage dans un processus visant à assurer la soutenabilité des finances publiques par la réduction des déficits et de l’endettement publics. Cet objectif peut être relayé au deuxième plan suite à des chocs qu’ils soient exogènes ou endogènes ou pour relancer l’économie et financer les chantiers sociaux. Dans ce sens, les revendications sociales de la Gen Z vont également faire pencher les arbitrages en faveur de l’augmentation des dépenses gouvernementales à caractère social, notamment dans la santé et l’éducation. Le PLF prévoit également le renforcement des capacités économiques des territoires notamment défavorisés en termes d’investissements, ce qui sera en faveur de l’augmentation des dépenses publiques d’investissement. Toutes ces considérations rendent l’objectif de réduction du déficit public difficile.

- Le PLF 2026 intègre des mesures fiscales importantes comme l'accélération de la facturation électronique et la réforme de l'IR. A quel point ces outils sont-ils suffisants pour élargir l'assiette fiscale et assurer l'autofinancement des réformes sociales ?

- Les mesures fiscales du PLF 2026 s’inscrivent dans la déclinaison de la loi-cadre de la fiscalité. La principale mesure, à mon sens, est l’élargissement de la retenue à la source qui permettra d’introduire l’informel et d’élargir l’assiette fiscale et la base fiscale en y intégrant plus de contribuables. La révision des régimes fiscaux incitatifs liés à la restructuration s’inscrit également dans cet objectif, la simplification et la sécurisation des dispositifs fiscaux pour encourager les opérations de restructuration des entreprises vont encourager les opérations conformes déclarées et une réduction du contentieux et avec moins de procédures judiciaires, l’Etat sera capable de rationaliser la dépense publique. L’encadrement des avantages fiscaux et le respect des règles induiront une stabilité des recettes fiscales également. Les mesures fiscales se renforcent également dans le PLF 2026, par la consolidation des mesures de marquage fiscal en y imposant les produits pétroliers et d’autres produits connexes au tabac et contenant du sucre, ce qui limitera la fraude fiscale et induira l’augmentation des recettes. Toutes ces mesures induiront sans doute une marge de manœuvre fiscale pour le gouvernement, ce qui permettra de financer les réformes sociales déjà entreprises et celles à venir, tout en s’inscrivant dans un processus de mise en place d’un système fiscal plus équitable et avec plus de pérennité.

- Au-delà des montants d'investissement massifs annoncés, notamment pour les grands projets (LGV, RAM), comment le PLF 2026 renforce-t-il les mécanismes pour garantir la qualité et l'efficience de la dépense publique ?

- Assurer la qualité et l’efficience de la dépense publique revient à instaurer un système de gouvernance rigoureux. Cela passe par la priorisation des secteurs économiques à forte valeur ajoutée et des chantiers sociaux pour lesquels le pays s’est engagé. Le PLF 2026 prévoit la révision du système de ciblage des aides de l’Etat pour les classes pauvres et démunies pour une meilleure efficience de la dépense publique. Le PLF vise également la sécurisation des recettes fiscales par les mesures de marquages de plusieurs produits comme déjà signalé, ce qui induira une meilleure affectation de la recette publique et, par conséquent, l’efficience de la dépense. Dans le même sens, le processus de modernisation de l’administration publique et l’allègement des procédures prévus dans le PLF 2026 s’inscrivent également dans cette volonté d’efficience de la dépense en permettant de réaffecter les économies réalisées à travers ces mesures à d’autres objectifs sociaux et économiques. Le PLF prévoit également la rationalisation des dépenses de fonctionnement, historiquement considérée comme un problème culminant des finances publiques marocaines. Par nature non productives, la maîtrise de ces dépenses permettra l’orientation de l’effort budgétaire vers les dépenses d’investissements jugés plus productifs, notamment dans les territoires défavorisés.

- La réduction des disparités sociales et territoriales est une priorité nationale. Quelles mesures fiscales ou budgétaires concrètes prévues dans le PLF 2026 sont spécifiquement conçues pour stimuler l'investissement privé et l'attractivité économique dans les régions et provinces les moins favorisées ?

- L’une des premières priorités du PLF dans ce sens est le soutien à l’emploi et à l’investissement local en valorisant les potentiels économiques régionaux et en créant un climat favorable à l’initiative et à l’investissement dans les territoires. L’arbitrage en termes de choix des investissements sera en faveur des projets cohérents avec les grands projets nationaux dans le but d’assurer un « aménagement harmonieux et intégré des territoires », comme il est précisé dans la note de cadrage. Le PLF prévoit également le renforcement de l’accessibilité aux services sociaux de base, notamment l’éducation et la santé, dans les territoires défavorisés pour une plus grande équité sociale. Dans la même logique, des mesures seront prises en faveur du renforcement de la justice territoriale, en particulier la standardisation des tribunaux de famille. Le but étant la consolidation de l’Etat social et d’aboutir sur le moyen-long terme à une transformation structurelle du capital humain marocain dans une vision de son intégration optimale au processus de développement national.

- Le Maroc reste exposé aux aléas climatiques et aux chocs géopolitiques. Comment ce PLF protège-t-il les équilibres budgétaires et le pouvoir d’achat des citoyens des répercussions du changement climatique ?

- La mise en place d’une taxe carbone était initialement prévue pour cette année. Mais, même si cette mesure ne figure pas parmi les dispositions fiscales du PLF, elle n’est pas abandonnée pour autant. Au contraire, elle demeure pleinement d’actualité et sera mise en œuvre dès que les modalités de son application auront été précisées. Cette démarche s’inscrit dans la logique du principe du « pollueur-payeur », et marque une étape déterminante dans la transition écologique du pays. L’introduction progressive d’une telle taxe viserait à instaurer une plus grande équité environnementale, en garantissant le droit de tous à un climat sain, tout en accompagnant les objectifs de transition énergétique et d’adoption d’énergies moins polluantes. À moyen et long terme, cette mesure devrait également contribuer aux équilibres budgétaires, en orientant les recettes vers des réformes prioritaires, notamment sociales, permettant ainsi de soutenir le pouvoir d’achat des citoyens et de financer les grands projets de transition énergétique. Toutefois, pour que cette réforme soit réellement efficiente, il sera essentiel de commencer par les secteurs les plus émetteurs, tout en mettant en place une période transitoire avant sa généralisation. Une fois celle-ci effective, il conviendra d’adopter des mécanismes compensatoires afin d’atténuer l’impact potentiel sur le pouvoir d’achat, notamment des ménages modestes et des classes moyennes inférieures. La réussite de cette mesure dépendra néanmoins de son articulation avec des politiques d’accompagnement en matière d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables et de soutien à l’innovation verte.

- L'ajustement des droits d'importation (DI) vise à encourager la production locale. Comment ce rééquilibrage douanier s'articule-t-il avec l'impératif de compétitivité des entreprises marocaines exportatrices et le respect des engagements pris dans les accords de libre-échange, afin d'éviter des effets pervers sur les chaînes de valeur ?

- Le Maroc s’est engagé tôt dans le système multilatéral international et, de ce fait, il a des engagements dans le cadre des accords de libre-échange qu’il a déjà signés. L’ajustement des droits d’importations, prévu dans le PLF 2026, relève du droit commun et ne relève pas de ce qui est inscrit blanc et noir dans les accords de libre-échange qui ne peut être modifié qu’en cas de renégociation des accords. Dans ce sens, modifier les droits d’importation est une prérogative normale de l’État, exercée dans le cadre du droit commun fiscal et douanier, à condition de respecter les plafonds, les préférences et les règles d’origine fixés par les accords de libre-échange et par l’OMC.







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