- Vous avez été témoin de la Marche verte, la guerre du Sahara que vous avez couverte, et puis le combat que le Maroc a mené aux Nations Unies. Quelle conclusion tirez-vous de cette lutte de 50 ans ?
Je m’estime chanceux d’avoir pu vivre cette épopée. Je me rappelle encore ce jour du 6 novembre 1975. A 10h33 du matin, j’étais, plein d’enthousiasme, sur un véhicule de la gendarmerie royale avec une équipe de télévision pour couvrir l’évènement.
Il fallait transmettre cette émotion et ce sentiment patriotique à ceux qui étaient à des milliers de kilomètres de la marche. A ce moment, je ne pensais pas qu’il y aurait une guerre. Pourtant, elle éclata et dura pendant 15 ans. Nous avons souffert, des milliers de martyrs ont sacrifié leur vie. Il ne faut pas l’oublier. J’ai visité le front plusieurs fois, et je garde un bon souvenir de ces officiers et sous-officiers qui se sont battus avec abnégation et un héroïsme hors du commun.
N'oublions pas qu’ils repoussent en permanence des assauts meurtriers. Heureusement, Dieu nous a inspiré l’idée du mur des sables. La guerre fut dès lors terminée sur le plan stratégique. Le Polisario n’avait plus de marge de manœuvre. Ils ont essayé d’ouvrir des brèches, sans succès. J’ai assisté moi-même à une tentative d'assaut. Une unité d’une quinzaine de blindés du Polisario a franchi le mur avant de se heurter aux régiments des FAR qui étaient stationnés à une vingtaine de kilomètres.
Avec l’appui aérien, l’assaut a été déjoué. Les assaillants ont pris la fuite mais quand ils passaient par le mur, ils se sont télescopés. Beaucoup sont morts et d’autres faits prisonniers. Moi, j'arrive à ce moment.
Après la fin de la guerre, on a dû batailler sur l’arène diplomatique face à l’Algérie et la Libye qui n’hésitaient pas à ouvrir les vannes de l’argent pour soudoyer les pays, surtout en Afrique, lors des sommets internationaux. SM le Roi Mohammed a été pragmatique. Il s’est dit qu’il fallait convaincre la communauté internationale pays par pays. Il a multiplié les tournées notamment dans les pays africains avec lesquels on a tissé des liens étroits. Cette stratégie s’est révélée gagnante.
- Le Conseil de Sécurité a finalement voté en faveur du plan d'autonomie après d’énormes batailles menées par la diplomatie marocaine. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru pour arriver à un tel résultat ?
D’abord, le Conseil de Sécurité, en privilégiant l'initiative d'autonomie, à laquelle il a donné un caractère officiel, a tout simplement réagi à un tsunami de l’opinion publique internationale et des grandes puissances qui ont déjà apporté leur soutien à la souveraineté marocaine, à commencer par les Etats-Unis. Cet acquis n'est pas le fruit du hasard mais d’un travail de longue haleine, malgré les innombrables obstacles auxquels nous avions fait face. Je pense à ceux qui nous disaient que ce ne serait jamais possible.
N'oublions pas que lorsque le président Donald Trump a reconnu la marocanité du Sahara, nos adversaires se moquaient de son fameux tweet et se disaient avec une confiance excessive que c’est une décision sans importance, émanant d’un président en fin de mandat. Ils croyaient à tort que sa décision allait être révoquée par son successeur. Ce n’était pas le cas. Le président Joe Biden n’a pas annulé la proclamation présidentielle à son arrivée à la Maison Blanche.
Gardons aussi à l’esprit que le Maroc a durci sa doctrine diplomatique, en regardant désormais son environnement international et en jaugeant la sincérité des amitiés par le prisme du Sahara. Le discours de SM le Roi fut d’une clarté proverbiale. Le Maroc a dû batailler en engageant, le cas échéant, des bras de fer avec les pays récalcitrants qui eurent des positions ambiguës. Je pense aux puissances européennes comme l’Espagne, l’Allemagne et la France. Le Maroc était allé jusqu’au bout quand il le fallait, en n’hésitant pas à rappeler ses ambassadeurs. Il fallait arrêter ce jeu de dupes pour que ces pays clarifient leurs positions. Je me rappelle des mises en garde de certains de mes vieux amis européens à Paris et Londres qui ne me disaient : “qu’est ce que vous êtes en train de faire, vous attaquez les puissances européennes, elles sont 27, vous serez écrasés !”.
Finalement, SM le Roi a vu juste. On a eu raison de durcir le ton. Après l’Allemagne, l’Espagne a fini par soutenir le plan d’autonomie contre vents et marées, malgré les pronostics pessimistes qui pariaient sur la chute du gouvernement Sanchez qui avait pris cette décision.
Puis, il y a eu la France. Le président Macron s’est rendu enfin à l’évidence après avoir cherché inlassablement à se rapprocher de l’Algérie quoiqu’il en coûte. Bien qu’il ait donné beaucoup de cadeaux au régime algérien, il s’est aperçu qu’il avait affaire à des gens dogmatiques dont le cerveau s’est arrêté dans les années 70. De l’autre côté, il s’est rendu compte que le Maroc reste l’unique pays sérieux et que le dossier du Sahara allait être de toute façon résolu avec ou sans son concours. A ce moment, les positions favorables des pays européens se succédaient. Les Britanniques se sont décidés à leur tour à rejoindre la dynamique. Ne parlons pas du bal des consulats à Laâyoune et Dakhla et les nombreux pays africains et latino-américains qui ont retiré leurs reconnaissances du Polisario. C’est pour cela que je parle de Tsunami car il s’agit d’un mouvement irréversible. Les deux tiers de la communauté internationale soutiennent désormais l'initiative d'autonomie. Tout cela est le fruit d’un travail de fond à titre bilatéral. Le Conseil de Sécurité l’a entériné en donnant à l'autonomie une force juridique.
“Nous avons traversé des moments très difficiles avant ce couronnement”
- SM le Roi a tendu la main à l’Algérie, est-ce qu’elle serait prête à négocier après le verdict onusien ?
Personnellement, je ne pense pas que le régime algérie soit prêt à négocier et apaiser les tensions. Le ministre des affaires étrangères, Ahmed Attaf, a prétendu que l’Algérie n’est pas perdante quand il a réagi à la résolution du Conseil de sécurité. Donc, pour l’instant, ils ne sont pas prêts à lâcher. Nous avons encore du travail à faire. Il ne faut pas oublier que l’Armée algérienne se sert de la question du Sahara pour rester au pouvoir. Tant que le conflit dure, elle peut brandir la carte de l’ennemi extérieur. Ce qui lui permet de justifier les dépenses militaires faramineuses. C’est deux fois et demi le budget marocain. Cette situation arrange les généraux qui gardent ainsi la main sur le pays au nom de la stabilité et s’amusent à placer les présidents à leur guise, en fonction de leurs intérêts. N’oublions pas qu’ils ont forcé le président Chadli Bendjedid à démissionner et tué en direct le président Boudiaf.
“Je ne pense pas que le régime algérie soit prêt à négocier et apaiser les tensions.
- Malgré la tension, certains présidents comme Chadli Bendjedid ou Boudiaf voire même Bouteflika au début de son mandat, veillaient à garder des canaux de communication mais avec le Maroc l’actuel président semble différent. Que pensez-vous du président Tebboune ?
Le président Tebboune ne ressemble pas à ses prédécesseurs. Je pense que c’est le moins intelligent et le moins outillé à gouverner. En fait, il est arrivé par hasard. Le Chef de l’Armée, Ahmed Gaïd Salah, l’a choisi de son propre chef. Il a été élu avec le plus faible taux de participation. Sa réélection a été encore pire à un désaveu populaire. Ils étaient obligés de truquer les résultats pour augmenter son score. C’est un homme malade, rancunier, sans expérience diplomatique et très faible intellectuellement. Il n’a visité au cours de sa vie que peu de pays. A chaque fois qu’il parle sans discours c’est un désastre. Souvenez-vous de ce qu’il a dit à Poutine à Moscou qu’il est l’ami de l’humanité. Poutine n’y croyait pas lui-même. Sa maladresse s’est révélée au grand jour quand il a visité la Slovénie dont il s’est réjoui à tort de son soutien à l’Algérie dans l’affaire du Sahara avant de se rendre compte qu’elle a voté en faveur du Maroc au Conseil de Sécurité.
“Le président Tebboune ne ressemble pas à ses prédécesseurs.C’est le moins intelligent et le moins outillé à gouverner”.
- Donc, face à un adversaire pareil, avons-nous intérêt à négocier ?
Tout change, les régimes se succèdent, sauf la géographie qui reste la même. L’Algérie restera toujours notre voisin. C’est pour cela que SM le Roi, avec sa hauteur de vue, est resté humble en gardant sa main tendue. C’est avec les Algériens qu’ont doit bâtir le Maghreb. Peut-être doit-on patienter plus. Mais, je crois que le pouvoir algérien actuel est au bout du chemin parce que c’est un pays à l’agonie sur le plan économique. L’Algérie ressemble à peu près au modèle vénézuélien. La situation est intenable. Mais le Maroc n’a pas intérêt à ce que l’Algérie soit affaiblie. On a seulement intérêt à ce qu’elle change de mentalité notamment à notre égard.
- Comment expliquez-vous cet attachement viscéral du régime algérien à la question du Sahara contre toute logique rationnelle ?
J’ai suivi tout au long de ma carrière les rapports avec l’Algérie. Parfois, les gens oublient rapidement l’histoire. Déjà en 1977-1978, les Algériens doutaient de la force du Polisario. Le président Boumedienne croyait que la guerre du Sahara allait provoquer un renversement de régime au Maroc. Puis, il a espéré semer la déchirure dans l’opinion publique marocaine. Mais, il a constaté que les Marocains restaient soudés autour de la monarchie malgré la guerre qui fut énormément difficile. Il vouait une haine historique au Maroc et, je vous l’assure, il s’est senti personnellement agressé par la Marche verte.
Lorsqu’il regardait le discours de feu Hassan II de la Marche verte, Boumedienne a perdu son calme et proféré des insultes grotesques. Le fondateur du nouvel OBS, Jean Daniel, le raconte bien dans ses mémoires. Il s’est senti personnellement agressé par la Marche verte. Pour sa part, Chadli Bendjedid est un militaire. Les premières rencontres avec SM le Roi étaient difficiles. Ils se sont ensuite rencontrés grâce à une médiation du Roi Fahd en Arabie Saoudite, à la frontière sous une tente. Puis, une nouvelle réunion à Fès à l’occasion de la signature sur le gazoduc Maghreb-Europe.
Là, même si la guerre se poursuivait, il y a eu un rapprochement. Malheureusement, après le départ de Chadli sous la contrainte de l’Armée, l’arrivée du Fis et la guerre civile qui s’en est suivie, il y a eu le vide. Le mandat du président Boudiaf fut un espoir, il était favorable à une solution avec le Maroc sur le Sahara. Il revint au Maroc en tant que président pour une visite familiale, Feu Hassan II en a profité pour le convier à une réception privée. L’armée algérienne fut prise de panique en le soupçonnant d’avoir négocié quelque chose en secret alors qu’il n’en fut rien. Puis, on connaît la suite. Il fut éliminé en direct à la télévision.
Avec Bouteflika, on était sûr qu’on allait pas au choc mais on est resté dans une crispation des relations. Lui, il connaissait bien le Maroc et il fut admiratif de feu Hassan II qu’il tentait d’imiter. Quand SM le Roi est monté sur le trône en 1999, il a voulu rapidement mettre fin à cette crispation. Il a envoyé son ministre des Affaires étrangères à Alger douze fois pour essayer une détente. Mais, Bouteflika est resté rigide. Quand il est tombé malade, c’est le clan de son frère qui a pris le pouvoir. Il n’avait pas intérêt à faire la paix avec le Maroc pour que l’armée reste au contrôle.
“Houari Boumediene s’est senti personnellement agressé par la Marche verte”
“L’Armée algérienne a tenté d’entrer au Sahara avant d’en être chassée, on l’oublie souvent”
- Maintenant, le Maroc a ouvert les bras aux populations de Tindouf, ça sera facile de les rapatrier si tout se passe comme prévu ?
L'autonomie est aujourd’hui le présent et le futur du Sahara. Les populations qui moisissent dans les camps ont intérêt à revenir dans leur pays. Le Maroc va détailler son plan. La version initiale donne un aperçu général, elle sera étoffée pour éclaircir toute l’organisation future des provinces du Sud. Le Parlement, le pouvoir exécutif régional, la répartition des compétences… Tout cela sera dévoilé. Mais il ne faut pas croire qu’on va ouvrir les portes sans contrôle. Il faut un recensement avec un traitement au cas par cas pour distinguer les vrais habitants du Sahara des individus infiltrés.



















