Des propos qui ont refroidi l'enthousiasme autour de l'hydrogène vert. Le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a estimé lors du Forum économique mondial à Ryad, le 28 avril dernier, que ce gaz bas carbone n'était pour l'instant "qu'au stade embryonnaire" et qu'il est illusoire de s'attendre à une production de 20 millions de tonnes annuellement, comme souhaité par l'Union Européenne dès 2030.
"Pour être clair, il n'y a aucun moyen de réduire le coût de l'hydrogène vert s'il reste confiné à un marché de niche", a insisté le PDG du géant énergétique français. L'impact de cette déclaration est significatif, car, à travers sa filiale Total Eren, TotalEnergies est considéré comme l'un des principaux acteurs mondiaux s’activant dans l'hydrogène vert.
D’ailleurs, le Maroc figure sur la liste des pays susceptibles d'accueillir les projets du groupe français. TotalEnergies étudie la possibilité d’investir plus de 100 milliards de dirhams dans un mégaprojet de production d’hydrogène et d’ammoniac verts dans la région de Guelmim-Oued Noun. Dans les tuyaux depuis 2022, ce projet devrait virtuellement être mis en orbite grâce à la nouvelle ”Offre Maroc” dévoilée par le gouvernement le 11 mars.
"Pour être clair, il n'y a aucun moyen de réduire le coût de l'hydrogène vert s'il reste confiné à un marché de niche", a insisté le PDG du géant énergétique français. L'impact de cette déclaration est significatif, car, à travers sa filiale Total Eren, TotalEnergies est considéré comme l'un des principaux acteurs mondiaux s’activant dans l'hydrogène vert.
D’ailleurs, le Maroc figure sur la liste des pays susceptibles d'accueillir les projets du groupe français. TotalEnergies étudie la possibilité d’investir plus de 100 milliards de dirhams dans un mégaprojet de production d’hydrogène et d’ammoniac verts dans la région de Guelmim-Oued Noun. Dans les tuyaux depuis 2022, ce projet devrait virtuellement être mis en orbite grâce à la nouvelle ”Offre Maroc” dévoilée par le gouvernement le 11 mars.
De l’euphorie à la prudence
En réalité, les doutes du patron français ne font que confirmer un scepticisme généralisé concernant l'avenir de l'hydrogène vert. Bien que ce gaz ait suscité un grand espoir chez plusieurs spécialistes, car vu comme un moyen de réussir la transition énergétique mondiale, il est évident qu'à ce jour, cet engouement ne s'est pas concrétisé.
Au moment même où le Maroc lance son offre, la tendance mondiale dans ce secteur est en train de dévier de sa trajectoire initiale, repoussant les projections (600 millions de tonnes par an en 2050) de plusieurs années, voire décennies.
D’après l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), sur les 360 GW d’électrolyseurs annoncés à l'échelle mondiale pour 2030, seuls 12 gigawatts (GW) de capacité d'électrolyse sont actuellement en construction ou ont déjà fait l’objet d’une décision finale d’investissement, soit 3,33% du total des annonces. Ce maigre bilan reflète les hésitations des investisseurs à se lancer dans de tels projets nécessitant des capitaux importants pour un marché peu lisible.
Le manque de dynamisme observé dans le secteur de l’hydrogène vert s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, le coût de l'hydrogène issu du renouvelable augmente au lieu de baisser, en raison de l'augmentation des coûts de financement, de l'électricité renouvelable et des électrolyseurs.
”Les investisseurs pensaient que les coûts allaient baisser beaucoup plus vite, du genre de ce qu'on a observé pendant la dernière décennie sur l'éolien et le solaire, mais ce n’est pas le cas”, observe Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy de l’Université Columbia, aux Etats-Unis.
Hydrogène vert mais cher
Ces dernières années, l'augmentation des coûts de financement a entravé plusieurs initiatives de production d'hydrogène vert. En effet, ce type de projet, nécessitant des investissements importants, est très sensible à de telles variations.
Selon les calculs de l’AIE, une augmentation de 3 points de pourcentage du coût de financement pourrait augmenter le coût total d’un projet d’hydrogène produit à partir d'électricité renouvelable de près d'un tiers. De ce fait, plusieurs projets ont vu leurs estimations de coûts initiaux réévaluées jusqu'à 50% de plus.
Cette hausse des coûts a une influence directe sur la compétitivité d’un tel procédé. Étant donné que jusqu'à 70% du coût final d'un kilogramme d'hydrogène dépend du prix de l'électricité, le marché n'a pour l’instant aucun intérêt à adopter l'hydrogène vert sans incitations. En Europe, notre marché cible à l'exportation consomme principalement de l'hydrogène gris, qui est produit par vaporeformage à partir de combustibles fossiles.
Cette option est préférée en raison de son coût inférieur par rapport à l'hydrogène vert. Selon une étude du marché mondial du H2 en 2023 réalisée par BloombergNEF, l'écart reste encore très important entre le vert et le reste. En moyenne, l'hydrogène gris coûte entre 0,98 et 2,93 dollars par kilogramme à produire. L'hydrogène bleu, ou hydrogène produit avec des combustibles fossiles mais soumis à la capture du carbone, coûte entre 1,8 et 4,7 dollars par kilogramme.
L'hydrogène vert, quant à lui, représente un coût considérable, allant de 4,5 à 12 dollars par kilogramme. Même si des réglementations européennes interdisaient à l'avenir l'utilisation de sources polluantes, il reste l'option de l'hydrogène rose, produit à partir du nucléaire, une énergie tout aussi décarbonée et moins chère.
Des utilisations limitées
Le marché de l'hydrogène vert sera d'abord stimulé par la demande. Or, “les acheteurs restent encore frileux à s'engager sur le long terme vu les coûts actuels”, affirme Anne-Sophie Corbeau. Pour l’instant, le marché mondial de l’hydrogène est encore étroit, avec à peine 95 millions de tonnes en 2022, soit une augmentation de près de 3% par rapport à l'année précédente.
Il reste également concentré dans quelques secteurs, particulièrement l'industrie et le raffinage, avec moins de 0,1% provenant de nouvelles applications dans l'industrie lourde, le transport ou la production d'énergie. Aujourd’hui, les nouvelles utilisations de ce gaz restent encore à un stade expérimental, et ne peuvent par conséquent pas être considérées comme des débouchées commerciales à grande échelle.
Parier sur l’OCP
Conscientes de l'immaturité du marché international, les autorités marocaines ont déjà indiqué que l'exportation de l'hydrogène vert n'était pas une priorité. Pour faire émerger l'écosystème marocain, le client le plus important sera l’OCP. Dans le cadre de sa nouvelle stratégie industrielle 2023-2027, le groupe ambitionne de produire un million de tonnes d’ammoniac vert à l’horizon 2027, et 3 millions de tonnes à l’horizon 2032. Cet ammoniac sera produit à base d’hydrogène vert et d’azote vert.
Quelques semaines après l’entrée en vigueur de “l’Offre Maroc", l’OCP et l’entreprise australienne Fortescue ont annoncé une Joint-Venture visant à “fournir de l'hydrogène vert, de l'ammoniac vert et des engrais verts au Maroc, à l'Europe et aux marchés internationaux”.
3 questions à Anne-Sophie Corbeau : «Il n’y a pas beaucoup de marchés qui veulent importer de l’hydrogène vert»
Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy de l’Université Columbia, aux Etats-Unis, répond à nos questions concernant l’avenir de l’hydrogène et de l’ammoniac verts.
- L’hydrogène vert sera-t-il véritablement un levier pour la transition énergétique dans les décennies à venir ?
Ce n’est pas la solution à tout, il doit être utilisé avec raison. On ne va pas mettre de l’hydrogène partout. Mais il est utile dans certains secteurs qui vont être difficiles à décarboner, parce que difficiles à électrifier. Par exemple, des secteurs comme la production d’engrais, les raffineries, la chimie, la sidérurgie, le transport maritime et aérien. Et sous différentes formes, peut-être le transport routier lourd, et la flexibilité saisonnière dans le secteur électrique.
- Le Maroc vise l’exportation vers le marché européen. Ce marché sera-til capable d’absorber la production d’hydrogène vert en provenance de pays voisins ?
Il n’y a pas beaucoup de marchés qui veulent importer de toute façon : l’Europe - et encore pas tous les pays -, le Japon, la Corée, Singapour. En fait, tout dépend du pays importateur dont on parle. L’Allemagne a de grandes ambitions, d’ailleurs on n’entend parler presque que d’eux (avec H2Global). Les autres pays ont des ambitions d’importations bien moindres, quand elles sont quantifiées (la France a dit qu’elle regarderait, mais sans rien de plus). Mais il faut que ces importations soient compétitives. Et il y aura des échanges intra-européens en provenance de pays comme la Norvège, par exemple.
- Est-ce que l’ammoniac vert est actuellement considéré comme l’utilisation la plus prometteuse de l’hydrogène vert ?
C’est une utilisation qui remplace l’ammoniac fait à partir de gaz. Il pourrait aussi être utilisé dans le transport maritime, secteur qui fait l’objet d’un grand débat pour savoir si le méthanol est mieux que l’ammoniac. Mais l’ammoniac n’est pas une solution universelle en termes d’utilisation finale. Par contre, cela peut être un vecteur de transport intéressant (d’ailleurs c’est le plus souvent celui qui est envisagé), tant qu’on contrôle les problèmes de toxicité.
Technologie : La prochaine guerre des électrolyseurs
Pour produire de l'hydrogène à grande échelle, le défi mondial réside dans la capacité à produire des électrolyseurs en quantités suffisantes et à surmonter les défis techniques associés à la réalisation d'électrolyseurs de haute capacité. À l'heure actuelle, seulement quelques industriels dans le monde en fabriquent.
Ces spécialistes des électrolyseurs sont principalement concentrés dans quelques pays tels que la Chine, les États-Unis et l'Europe. À Pékin, des investissements massifs sont réalisés dans des gigafactories spécialisées dans la production d'électrolyseurs, comme celle de Trina Solar, une usine avec une capacité de 1,5 GW qui a nécessité un investissement de 91 millions d'euros.
Pour assurer la souveraineté industrielle dans la production d'hydrogène vert, le Maroc doit être capable de fabriquer localement des électrolyseurs. À cet effet, plusieurs annonces ont été faites ces dernières années. L'entreprise marocaine Gaia Energy a signé un accord avec l'entreprise israélienne H2Pro pour la recherche et la fabrication d'électrolyseurs de nouvelle génération.
Il en va de même pour le groupe belge John Cockerill, qui a annoncé la création d'une coentreprise avec un industriel marocain dans le but de produire des électrolyseurs alcalins au Maroc. Cette usine sera la première du genre en Afrique.
Ces spécialistes des électrolyseurs sont principalement concentrés dans quelques pays tels que la Chine, les États-Unis et l'Europe. À Pékin, des investissements massifs sont réalisés dans des gigafactories spécialisées dans la production d'électrolyseurs, comme celle de Trina Solar, une usine avec une capacité de 1,5 GW qui a nécessité un investissement de 91 millions d'euros.
Pour assurer la souveraineté industrielle dans la production d'hydrogène vert, le Maroc doit être capable de fabriquer localement des électrolyseurs. À cet effet, plusieurs annonces ont été faites ces dernières années. L'entreprise marocaine Gaia Energy a signé un accord avec l'entreprise israélienne H2Pro pour la recherche et la fabrication d'électrolyseurs de nouvelle génération.
Il en va de même pour le groupe belge John Cockerill, qui a annoncé la création d'une coentreprise avec un industriel marocain dans le but de produire des électrolyseurs alcalins au Maroc. Cette usine sera la première du genre en Afrique.
Electrolyseurs : La problématique des métaux critiques
Pour produire de l’hydrogène vert, il faut des électrolyseurs. Ce sont ces appareils qui utilisent un courant électrique pour séparer les molécules d'eau (H2O) en hydrogène (H2) et en oxygène (O2) par un processus d'électrolyse. Pour réaliser des économies d'échelle, et donc baisser le coût du kilogramme d'hydrogène, il faut des électrolyseurs de plus en plus grands et puissants.
Or, comme tout outil industriel, l’électrolyseur est très gourmand en métaux, dont certains sont rares sur terre. Pour un électrolyseur de taille industrielle (1 mégawatt) basé sur la technologie des membranes échangeuses de protons (PEM), il faut 880 kilos de titane, 45 kilos d’aluminium, 1 kilo d’iridium, 300 grammes de platine et quelques grammes de fils de cuivre.
La rareté des matériaux utilisés dans les électrolyseurs PEM, en particulier l'iridium, pourrait constituer un goulot d'étranglement potentiel pour la croissance de cette industrie.
Aujourd'hui, la production mondiale annuelle d'iridium est d'environ neuf tonnes par an. À ce rythme de production, il faudrait plus de 77 ans en utilisant tout le stock annuel d'iridium, en ignorant complètement toutes les autres utilisations industrielles, pour atteindre les capacités installées estimées des électrolyseurs d'ici 2050.
En d'autres termes, il n'y a tout simplement pas suffisamment d'iridium sur Terre pour développer la technologie des électrolyseurs PEM au rythme nécessaire à l’accompagnement de la croissance attendue de la production d’hydrogène vert.
Or, comme tout outil industriel, l’électrolyseur est très gourmand en métaux, dont certains sont rares sur terre. Pour un électrolyseur de taille industrielle (1 mégawatt) basé sur la technologie des membranes échangeuses de protons (PEM), il faut 880 kilos de titane, 45 kilos d’aluminium, 1 kilo d’iridium, 300 grammes de platine et quelques grammes de fils de cuivre.
La rareté des matériaux utilisés dans les électrolyseurs PEM, en particulier l'iridium, pourrait constituer un goulot d'étranglement potentiel pour la croissance de cette industrie.
Aujourd'hui, la production mondiale annuelle d'iridium est d'environ neuf tonnes par an. À ce rythme de production, il faudrait plus de 77 ans en utilisant tout le stock annuel d'iridium, en ignorant complètement toutes les autres utilisations industrielles, pour atteindre les capacités installées estimées des électrolyseurs d'ici 2050.
En d'autres termes, il n'y a tout simplement pas suffisamment d'iridium sur Terre pour développer la technologie des électrolyseurs PEM au rythme nécessaire à l’accompagnement de la croissance attendue de la production d’hydrogène vert.