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Entretien avec Mme Mounia Boucetta : Difficile accessibilité des femmes aux opportunités économiques


Rédigé par Wolondouka SIDIBE Jeudi 6 Avril 2023

L’implication des femmes dans le tissu économique est une nécessité impérieuse à travers l’entrepreneuriat féminin soutenu quand on sait que, durant ces deux dernières décennies, le taux d’activité des femmes a régressé à un niveau inférieur à 20%, alors que celui des hommes se situe à près de 70%. Explications avec Mme Mounia Boucetta, FellowSenior, Policy Center News South-Rabat.



Entretien avec Mme Mounia Boucetta : Difficile accessibilité des femmes aux opportunités économiques
 
-Vous venez de publier un rapport sur l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques au Maroc. De quoi s’agit-il ?
 
L’analyse de l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques a été faite sur la base des données de l’enquête nationale sur l’emploi, publiées par le Haut-Commissariat au Plan (HCP), en prenant en considération quatre éléments, à savoir : l’âge, le milieu, le niveau de scolarité et le statut de la femme au Maroc. Les principaux indicateurs peuvent être résumés aux points suivants.Selon le HCP, il est constaté durant ces deux dernières décennies une régression du taux d’activité des femmes, atteignant actuellement un niveau inférieur à 20%, alors que le taux d’activité des hommes se situe à près de 70%. Ce taux est établi pour la population des femmes âgées de 15 ans et plus et varie selon la tranche d’âge concernée. En effet, deux facteurs à caractère positif accentuent cette baisse.Le premier est lié à l’amélioration de la scolarité des jeunes filles, pour cette raison il y a une décroissance plus importante pour la catégorie d’âge entre 15 et 24 ans. Le deuxième est dû à l’amélioration de l’espérance de vie qui impacte négativement l’évolution du taux d’activité des 60 ans et plus.Tenant compte de ces deux facteurs, l’analyse recommande de cibler les tranches d’âge de 25 à 59 ans pour mieux apprécier l’évolution de l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques.
 
-Mais ce n’est pas à la lecture des données, peut-on imaginer ?
 
Effectivement, plusieurs éléments étayent cette réflexion. En effet, on constate qu’entre 2000 et 2018, le nombre de femmes employées a augmenté de près de 347.000 en milieu urbain, contre seulement 69.000 en milieu rural, pour cette même tranche d’âge. Pour ce qui est du niveau de scolarité, les femmes diplômées de l’enseignement supérieur affichent le meilleur taux d’activité. Néanmoins, l’amélioration du niveau de scolarité des femmes ne favorise pas forcément la progression de ce taux d’activité. En effet, entre 2001 et 2021, ce taux s’est dégradé de manière plus accentuée, comparé au taux d’activité des diplômées du niveau moyen et des non-diplômées.Cette tendance est confirmée par l’augmentation du taux de chômage des diplômées de l’enseignement supérieur qui dépasse 30% en milieu urbain et 45% en milieu rural.Le quatrième élément qui semble déterminant dans l’activité de la femme est lié à son statut. Contrairement aux hommes, dont le taux d’activité augmente après le mariage, l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques est réduite de plus de 50% une fois mariées.
 
-Partant de ces éléments, peut-on parler d’un phénomène sociétal ou tout simplement sommes-nous devant des problématiques de croissance économique ?
 
Tout à fait, nous sommes face aux deux contraintes, le phénomène sociétal persiste puisque nous constatons encore des freins et des formes de discrimination ou de violence qui entravent l’accessibilité des femmes aux opportunités économiques.Selon le HCP, près de 54% des femmes sont au foyer et sont de ce fait considérées non actives.Parmi ces femmes, nombreuses sont celles qui ont choisi de ne pas exercer d’activités en dehors de leur foyer, pour des raisons purement économiques, surtout quand les salaires proposés ne leur permettent pas de couvrir les charges additionnelles générées par leur activité en dehors du foyer, à savoir les frais de transport, les services de ménage à domicile, etc.Pour pallier ces contraintes, le développement humain et la performance économique sont les vrais leviers pour apporter des améliorations substantielles à l’autonomisation économique de la femme.
 
-Concernant les opportunités économiques au Maroc, quels sont les enjeux pour les femmes entrepreneures ou porteuses de projets ?
 
L’entrepreneuriat reste un projet très complexe pour plusieurs femmes, en raison du manque de financement approprié, de garanties, de compétences ou de soutiens, notamment familial. Les difficultés liées aux stéréotypes sont encore plus présentes et freinent l’ambition de plusieurs femmes qui souhaitent développer leur propre projet.Selon l’Observatoire marocain de la très petite et moyenne entreprise (OMTPME), seulement 16,2% des entreprises sont dirigées par des femmes et 25,5% sont des auto-entrepreneuses.L’entrepreneuriat informel est par ailleurs pratiqué par certaines femmes par nécessité, pour assurer des revenus additionnels et couvrir les charges de leur famille, tout en bénéficiant de la flexibilité au travail et en exploitant leur savoir-faire (pâtisseries, produits traiteurs, couture et broderie, commerce, etc.).D’ailleurs, le nombre de coopératives féminines a atteint 4524 en 2019, certaines d’entre elles sont arrivées à se développer au niveau national et même à l’international, d’autres, par contre, sont restées au niveau de la subsistance, faute de moyens ou d’accompagnement.
 
-Qu’en est-il du Programme National Intègré d’Autonomisation Economique des Femmes à l’horizon 2030 ?
 
L’autonomisation économique de la femme a fait l’objet de plusieurs programmes et initiatives dont « ICRAM 1 » et « ICRAM 2 » couvrant les périodes successives de 2012-2016 et de 2017-2021, ainsi que le Programme « Maroc-Attamkine » à l’horizon 2030.Ces programmes ont été conçus selon une approche participative, impliquant plusieurs acteurs, notamment le gouvernement, la société civile et le secteur privé, avec la déclinaison de certains programmes à l’échelle des Régions.
Certaines avancées ont pu être réalisées, notamment au niveau législatif, néanmoins leur impact restera tributaire de l’évolution des pratiques.D’autres initiatives ont été lancées, entre autres pour former, accompagner et soutenir l’entrepreneuriat. Dans le même sens, le programme gouvernemental actuel a défini comme objectif l’amélioration du taux d’activité des femmes de 20% à 30% à l’horizon 2026.
 
-En attendant, dans leur ensemble que faut-il faire dans l’immédiat pour améliorer l’autonomisation des femmes ?
 
La question d’autonomisation des femmes reste un sujet complexe, au Maroc et ailleurs, nécessitant une mobilisation et un engagement continu de l’ensemble des parties prenantes. D’où il faut une approche pragmatique. Ainsi le besoin dans l’immédiat est d’identifier les actions à même de produire le plus d’impact et de manière durable et d’éviter des régressions dans certains domaines.Il y a aussi la réforme du cadre législatif et règlementaire. Il en est de même de la mise en place de politiques favorisant l’éducation, la formation et la qualification des filles et des femmes est aussi une priorité, en intégrant les dimensions inclusivité et adaptation aux besoins des marchés sans oublier les nouvelles technologies.On ne peut passer sous silence l’importance du renforcement de la représentation des femmes dans les organes politiques, les instances dirigeantes et de gouvernance est à même de permettre une meilleure prise en charge des questions liées à l’autonomisation de la femme au sein de notre société.(Lire l’intégralité de l’entretien sur lopinion.ma)
 
Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE

 
 

Bon à savoir

Mounia Boucetta est Senior Fellow au Policy Center for the New South (PCNS).Elle a plus de 20 ans d'expérience dans l'administration publique, occupant de nombreux postes de gestion et de leadership, et travaillant particulièrement sur le développement des politiques industrielles et commerciales. Mme Boucetta a été dernièrement secrétaire d'État auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Maroc de 2017 à 2019.Diplômée de la prestigieuse Ecole d'Ingénieurs Mohammadia (Maroc), Mounia Boucetta a rejoint le ministère de l'Industrie et du Commerce en 1991 où elle a occupé de nombreux postes avant sa nomination au poste de Secrétaire Générale en 2010.

Elle a occupé plusieurs fonctions et dirigé de nombreuses entités dont, entre autres, Directrice Générale Adjointe de CDG Capital (2013) et Directrice Générale de Madaef (2014) société leader de l'investissement touristique au Maroc et branche tourisme du Groupe CDG. Depuis 2020, Mounia Boucetta occupe le poste de directrice chargée de mission au cabinet du Président-directeur général du Groupe OCP. Elle a été décorée en 2013 du Ouissam Al Arch de l'Ordre de Chevalier. Elle est également membre du Conseil d'administration de l'Association Alamana pour la microfinance.